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Photogénie du terroriste

Côté-Fournier, Laurence
Montréal, Le Quartanier & Hogarth Press II, 2005
88 pages.
Paris, Léo Scheer, 2006
164 pages.
Paris, Verticales, 2009
143 pages.
Dans la «trilogie allemande» d’Alban Lefranc, art et politique ne peuvent être dissociés, sinon au prix d’un oubli volontaire, d’un abandon à l’euphorie d’un discours dominant d’où sont expulsées toutes les impuretés. Si, aux mots révolutionnaires des dadaïstes jamais transformés en véritables incendies, répondent les actes autrement plus violents de la RAF, Alban Lefranc n’oppose pas stérilement les armes aux paroles. Trois biographies fictives évoquent trois figures allemandes réelles de l’après-guerre : l’enfant terrible du cinéma Rainer Werner Fassbinder dans Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige (2005), le poète Bernward Wesper dans Des foules des bouches des armes (2006) et la chanteuse et mannequin Nico dans Vous n’étiez pas là (2009). Comme Fassbinder, qui appariait dans son œuvre des extraits de journaux et d’émissions de radio et de télévision de l’époque, Lefranc intègre dans ses biographies des citations de politiciens, d’artistes et d’historiens, citations qui dévoilent ce qu’a pu être l’air du temps dans lequel –et contre lequel– ses trois sujets ont évolué. En témoigne cet extrait d’une Histoire de l’Allemagne datant de 1992: «Dans les années soixante, la reconstruction était largement achevée; l’accroissement du temps libre et de l’aisance donna à chacun le loisir de réfléchir sérieusement à la portée du passé nazi». Ou encore, cette phrase lancée en plein boom économique allemand par Franz Josef Strauss, ministre-président de Bavière : «un peuple capable de telles prouesses économiques a le droit de ne plus vouloir entendre parler d’Auschwitz».

 

Double Houellebecq : littérature et art contemporain

Balint-Babos, Adina
Paris, Flammarion, 2010
428 pages.

Quiconque s’intéresse à l’art, à la littérature, ne reste pas indifférent à ces paroles: «Je veux rendre compte du monde… Je veux simplement rendre compte du monde». Insérés vers la fin de La carte et le territoire de Michel Houellebecq, ces mots de Jed Martin, l’artiste contemporain qui est également le personnage principal du roman, peuvent nous servir de fil conducteur pour une lecture à rebours et nous investir d’une mission: tenter de décrypter un dialogue entre l’art et le monde, la représentation et le réel, l’artiste et son pouvoir de créativité. Car rappelons-le: ces dialogues complémentaires ou antinomiques se trouvent au cœur du dernier texte de Houellebecq primé cette année avec le Prix Goncourt.

Éloge de la relecture ou L’invraisemblance qui réactive le récit

Landry, Pierre-Luc
Pour une (re)lecture réaliste magique du roman Un an de Jean Echenoz

On retrouve dans la production littéraire contemporaine plusieurs occurrences de récits qui permettent la cohabitation non problématisée de naturel et de surnaturel dans un même univers de fiction, et qui en appellent ainsi à une lecture différente du roman en général en posant autrement la question de l’adhésion au raconté. Certains de ces récits, que l’on peut qualifier de réalistes magiques à la suite d’Amaryll Beatrice Chanady, réinventent en quelque sorte le paradigme de la transmission narrative; le lecteur n’est pas appelé à questionner les événements surnaturels du récit réaliste magique et accepte les invraisemblances qui le ponctuent comme allant de soi: il les considère comme faisant partie de la réalité du texte —réalité artificielle, certes, mais cohérente à l’univers diégétique mise en place dans le roman. Le cas que je propose d’étudier est assez particulier: lors d’une première lecture, le roman Un an de l’écrivain français Jean Echenoz, paru aux Éditions de Minuit en 1997, ne semble pas appartenir au réalisme magique comme je le définirai. Toutefois, l’invraisemblance diégétique finale qui vient désavouer le récit tout entier permet de relire le roman à l’aune du réalisme magique. Cette invraisemblance majeure perd alors de son impossible et la relecture ainsi activée, orientée par le réalisme magique, vient à son tour mettre en lumière d’autres invraisemblances qui, jusque-là, ont pu passer inaperçues. C’est ce cas particulier de fiction vertigineuse que je propose d’observer dans le cadre de ce texte.

Fin d'une ère et début de jeu

Tremblay-Gaudette, Gabriel
Toronto, Anansi, 2010
246 pages.










Oublions un instant les scénarios extrêmement improbables, comme une invasion de zombies, une guerre intersidérale, ou une rébellion de robots-tueurs. Peut-on penser à une plausible amorce de fin du monde, dont l’humain serait directement responsable? Le mode de vie occidental actuel et le nombre élevé d’habitants sur la planète pourraient-ils provoquer des circonstances menant au déclenchement du dernier acte de la comédie humaine humaine? Certes, les bonzes d’Hollywood s’évertuent à nous proposer sur grand écran des visions de telles catastrophes, mais ceci n’est que prétexte à enchaîner les séquences spectaculaires d’effets spéciaux. Toutefois, dans le domaine de la littérature, dont le terrain de jeu se situe habituellement davantage au plan de l’intériorité psychologique que dans le fla fla tonitruant, l’imaginaire de la fin est un moment fort de remise en question et de l’introspection collective: le désastre y est source de réflexions, et non de pyrotechnies. 









Ces poussières faites pour troubler l'oeil

Brousseau, Simon
New York/Boston/London, Back Bay Books, Little, Brown and Company, 1996
1079 pages.
Un roman de l’envergure d’Infinite Jest repose sur le projet de s’opposer à la facilité de l’art divertissant, tant par sa structure narrative complexe et par les thèmes qui y sont abordés que par l’engagement que sa lecture implique. Le nombre d’heures nécessaires à la lecture de cette brique agit de façon décisive sur le lecteur, l’exposant longuement à la tristesse du sujet contemporain qui apparaît, au fil du texte, être l’un des fils reliant entre eux les nombreux personnages de l’histoire. C’est pourquoi il me semble pertinent d’aborder ici ce roman qui, bien qu’ayant été publié il y a quinze ans, demeure d’une actualité criante, tant par la réflexion qu’il propose sur la culture contemporaine que par le regard critique qu’il porte sur l’écriture de fiction.

Littérature impolitique

Bejarano, Alberto
Paris, Christian Bourgois, 2008
1015 pages.

Comment un écrivain, dans notre cas Bolaño, transforme un fait divers en symptôme et avertissement politique? Or, l’écrivain chilien Roberto Bolaño n’a pas fait une simple transposition d’un fait divers; il construit plutôt, dans son roman 2666, un récit apocalyptique sur la violence totalitaire et la violence suicidaire, considérées comme violences autodestructrices. Bolaño reprend plusieurs informations concernant certains faits divers oubliés, qui se seraient déroulés entre 1993 et 1997 au Mexique —notamment l’enquête approfondie menée par le journaliste mexicain Sergio González  (Les os dans le désert) sur certains crimes ayant eu lieu à Ciudad Juárez —, et s’en sert pour fabriquer 2666, un roman noir en forme de thriller politico-psychologique. Il cherche ainsi à comprendre le fonctionnement de la violence et de la justice à Ciudad Juárez. Sa toile de fond est le rapport entre vieilles et nouvelles violences au XXe siècle. Bolaño veut parler des crimes de Ciudad Juárez comme du possible, pour reprendre l’expression de Georges Bataille. Il s’interroge en tant que romancier sur la violence et transforme Ciudad Juárez en Santa Teresa, un trou noir, ou l’endroit où se cache le secret du monde, selon ses propres mots. 

 

La littérature postironique, une rebelle qui vous veut du bien

Messier, William S.
Auger, Anne-Marie

Une œuvre plutôt éclectique, intitulée Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles de Nicolas Langelier (2010), récupère une réflexion sur l’ironie entamée chez nos voisins du sud. Or, un bref survol de la réception de l’ouvrage permet de constater que la critique accorde étonnamment peu d’importance à un aspect crucial de l’œuvre, c’est-à-dire le joug de l’ironie, voire du cynisme latent dans la plupart des expériences sociales, politiques ou artistiques de l’individu dit hypermoderne. Pourtant, on est placé dans une position particulière: l’auteur souligne abondamment la tendance du lecteur contemporain à se rabattre sur un certain deuxième degré –une espèce de décalage «surconscient» du réel– pour appréhender les faits plus ou moins dramatiques de son existence. Le choix de Langelier d’imiter la forme psycho-pop peut d’ailleurs être interprété comme faisant allusion à cette tendance. Réussir son hypermodernité a parfois l’aspect d’un livre de croissance personnelle fait sur mesure pour un lecteur qui conçoit d’emblée l’ironie comme mode premier d’expression et de représentation, un lecteur méfiant de tout ce qui ne se présente pas d’office comme ayant une posture ironique.

Le corps sur la main

St-Laurent, Julie
Paris, Seuil (Déplacements), 2009
217 pages.

Cambouis est le deuxième carnet de travail publié par Emaz. Cet ouvrage collige un ensemble de notes, d’impressions et d’observations: il constitue à la fois un espace d’épanouissement et de survivance. Demander si la poésie a un avenir dans l’époque contemporaine, c’est au moins lui accorder un présent, remarque Emaz, d’où le besoin pour le poète d’un lieu de sécurité qui, même sans arborer de datation précise, pérenniserait le plus fugace. Dans cette perspective, j’aimerais m’attarder à la façon dont l’écriture de Cambouis témoigne d’un parti pris de l’être-au-monde, c’est-à-dire d’un être dont la subjectivité s’affirme ressentie et incarnée.

Les gros bras du conteur

Grenier, Daniel
New York, Little, Brown and Company, 2010
729 pages.

The Four Fingers of Death, le très massif roman de l’américain Rick Moody, auteur de The Ice Storm et The Black Veil, est assez facile à résumer. Dans une longue introduction rédigée en 2026, le narrateur, un écrivain qui se qualifie d’ultra-minimalisteappelé Montese Crandall explique comment il en est venu à être l’auteur de la novélisation de The Four Fingers of Death, la nouvelle version du film culte de 1963 The Crawling Hand. La suite du roman de Moody est la novélisation en tant que telle, divisée en deux parties (Book I et Book II), écrites de la plume de Crandall; la première racontant, sous forme d’entrées de journal/blogue, les mésaventures d’une équipe d’astronautes durant le voyage interplanétaire de plusieurs mois qu’ils doivent faire pour se rendre sur Mars; la seconde décrivant en détails les conséquences effroyables de cette première mission humaine de la NASA en vue de l’exploitation et de la colonisation de la planète rouge. À la page 702, après avoir inscrit les mots THE END, Montese Crandall revient au premier plan, le temps d’une courte postface qui clôt le livre. Bien entendu, on pourrait complexifier infiniment ce résumé bêtement structurel en ajoutant des détails sur ce qui se déroule à l’intérieur de chacune des parties. C’est probablement ce que Moody aurait voulu, le roman s’inscrivant résolument, et dès les premières lignes, dans une esthétique de la surenchère, alors allons-y.

Dans le « vestibule de l'enfer »

Auger, Manon
Landry, Pierre-Luc

Dans ce recueil de réflexions au titre saisissant, Richard Millet tente de livrer une définition du «cauchemar contemporain nommé roman». Voilà bien une entreprise pour le moins complexe et téméraire, si on en juge par la position privilégiée qu’occupe la littérature narrative en régime contemporain. Mais c’est justement là, on le devine, l’intérêt du propos de Millet. Il serait facile de s’en prendre à l’écrivain (qui revendique pleinement toutes les opinions exprimées dans le recueil) et de dénoncer son hypocrisie de romancier ou son eurocentrisme —pour ne pas dire son gallocentrisme. Néanmoins, cette utilisation à des fins polémiques des réflexions de Millet n’est pas celle qui nous a semblé d’emblée la plus féconde, même si cet essai y invite indubitablement. Nous avons plutôt préféré aller au-delà des «montées de lait» occasionnelles, afin de faire émerger la réflexion plus fondamentale qui est au cœur de la démarche de l’écrivain. Car notre ambition n’est pas de rendre Millet sympathique ou antipathique, mais bien plutôt de dégager les grands éléments de sa pensée par rapport à cette notion de postlittérature, notion qui nous paraît, sinon opératoire, du moins intéressante pour penser la production littéraire actuelle, qu’elle soit française, québécoise ou —pour reprendre un terme maintes fois utilisé par Millet lui-même— «internationale».