Le présent programme de recherche
portera sur le cinéma interactif, à savoir sur des types d'«oeuvre
cinématographique dans laquelle les spectateurs peuvent intervenir pour
orienter le déroulement du récit». Il est d'entrée de jeu intéressant
de souligner que ce que l'on considère comme le «premier» film
interactif, One Man and his World de Raduz Cincera, a été
présenté ici au Canada à l'Expo 67 de Montréal et que l'une des seules
compagnies à réaliser encore aujourd'hui des films interactifs, les
Studios Immersion, est localisée à Toronto. La raison d'être de ce
projet de recherche se veut cependant beaucoup plus profonde que cette
simple parenté géographique. En effet, les expériences de cinéma
interactif, à tout le moins dans le domaine du divertissement
populaire, sont de plus en plus rares et le genre accuse un déclin
indéniable de nos jours. Pourtant, il y a à peine une décennie,
l'enthousiasme entourant ces expériences semblait annoncer la venue
d'un genre nouveau, promis à un bel avenir. Qu'est-ce qui aurait bien
pu engendrer ce déclin ?
C'est pour tenter
de répondre à cette question, mais surtout pour éviter qu'un large
corpus d'oeuvres ayant été qualifiées (à divers degrés) de film
interactif ne sombre rapidement dans l'oubli, que ce programme de
recherche se propose de retracer l'histoire du phénomène depuis ses
premiers balbutiements. Déjà, des recherches précédentes ont permis de
scinder le phénomène en deux occurrences distinctes : le film
interactif à proprement parler, puis le film-jeu, plus spécifiquement
associé au jeu vidéo. Et à même ces occurrences s'attache tout un pan
des arts médiatiques, médium aussi riche que diffus. Ainsi, plus de 200
oeuvres renvoyant au cinéma interactif ont été recensées et
sommairement fichées à l'été 2004. D'autre part, il faudra retracer
l'évolution des deux occurrences mentionnées, en dégager les temps
morts et les périodes fortes, cerner les enjeux technologiques qui ont
rendu possible (ou alors handicapé ?) le cinéma interactif, etc. Afin
de confirmer les hypothèses et la typologie du cinéma interactif, il
faudra retracer les oeuvres, constituer ce corpus le plus
rigoureusement possible et l'analyser. Cette dimension historique est
tout à fait centrale à la présente démarche. Dans la mesure où le
cinéma interactif va mener à une autre pratique artistique, à savoir
les oeuvres interactives d'aujourd'hui en images de synthèse, le corpus
à l'étude peut être qualifié de «cinéma interactif des
premiers temps». Ce faisant, ce programme de recherche convoque les
importants acquis de la nouvelle démarche historique des années 80
entourant en études cinématographiques le cinéma des premiers temps.
Afin
d'enrichir l'examen systématique des oeuvres, il faudra constituer un
fonds documentaire inédit sur le cinéma interactif. D'une part, peu
d'outils de recherche intègrent « cinéma interactif » dans leurs
mots-clés. D'autre part, les bibliothèques universitaires ne donnent à
toute fin pratique pas accès aux périodiques consacrés au jeu vidéo, et
les bibliothèques municipales, à une quantité fort négligeable. C'est
pourquoi il faudra chercher, dépouiller et traiter l'information. Le
cinéma interactif convoquant une série de problématiques (immersion,
interactivité, narration, attraction, etc.) qui recoupe les discussions
actuelles au sujet des médias récents et qui s'intègre plus
particulièrement aux champs d'étude du jeu vidéo et des arts
médiatiques, il faudra passer en revue cette littérature.
Ce
programme de recherche permettra de mieux cerner ce qui distingue le
cinéma interactif et voir de quelle façon il s'est intégré, et se
(dés)intègre présentement, dans des champs médiatiques plus vastes. Qui
plus est, la qualité quasi cinématographique que l'imagerie de synthèse
semble présentement acquérir amènera l'un des questionnements
importants de ce projet : qu'est-ce qui constituera le cinéma
interactif de demain ? Pour répondre à cette question, il faudra
ultimement cerner les visées du cinéma interactif afin d'établir les
correspondances et disparités avec les médias récents. En définitive,
ce programme de recherche est essentiel dans la mesure où il permettra
d'examiner une multitude d'oeuvres dont l'étude se révèle capitale à la
compréhension de la culture audiovisuelle interactive.