Soumis par Joël Gauthier le
Le site Web de Je suis disponible. Et vous? a été créé par Nadine Norman pour accompagner la présentation au Musée d’art contemporain de Montréal du troisième volet de sa série de projets Je suis disponible1. En arrivant sur la page d’accueil, l’internaute voit l’image d’une jeune femme (l’artiste elle-même) qui parle au téléphone, allongée sur le sol, à la manière d’une publicité de réseau-rencontre. En cliquant sur cette image, l’internaute est dirigé vers le menu principal de l’œuvre; un autre lien, placé en bas de l’image, permet quant à lui d’accéder aux informations sur le projet, rédigées par Sandra Grant Marchand, conservatrice du Musée d’art contemporain de Montréal. Le menu principal de Je suis disponible offre plusieurs possibilités à l’internaute: tout d’abord, une petite icône placée sur la gauche permet d’ouvrir au premier plan une interface qui présente des miniatures de l’artiste dans différentes positions, vêtues d’un jeans et d’un t-shirt sur lequel on peut lire «Je suis disponible», accompagnées de la phrase incomplète «ceci n’est pas une…». Juste en bas, l’internaute peut jouer avec les deux curseurs rouges pour faire varier la position de l’artiste et compléter la phrase par différents termes: nana, coquine, putain, garce, sorcière, chienne, allumeuse, blonde, princesse, dominatrice, grue, salope, tigresse, etc. Tout autour de l’écran, de faux bandeaux publicitaires mènent quant à eux l’internaute à un formulaire d’inscription en ligne qui lui propose de soumettre sa candidature afin de «rencontrer la femme disponible». (L’internaute qui désire s’inscrire devra fournir une photo, un pseudonyme, son nom, prénom, âge, courriel, et décrire en moins de 60 caractères ses fantasmes, sa vision de la complicité, de l’amour, du sexe, de la famille, du travail et de la solitude.) Toujours dans le menu principal, trois autres photos miniatures de l’artiste permettent d’accéder aux informations sur le projet, à différents courts métrages dans lesquels l’artiste utilise son image pour mettre en scène différents stéréotypes associés à la féminité «disponible» et aux profils des autres utilisateurs qui se sont déjà inscrits à l’aide du formulaire. Une icône représentant une enveloppe permet aussi de contacter directement l’artiste (c’est-à-dire la «femme disponible») par courriel.
Dans les faits, lorsque Je suis disponible était présenté au Musée d’art contemporain de Montréal (21 novembre 2002 au 26 janvier 2003), plusieurs publicités présentant l’artiste dans différentes situations de «disponibilité» avaient été disséminées dans la ville, accompagnées de l’adresse Web du site. Les profils soumis par les internautes qui visitaient le site étaient par la suite réellement évalués par une firme de marketing, groupes-témoins à l’appui, afin de déterminer quels candidat(e)s étaient «dignes» de rencontrer l’artiste. Les rencontres individuelles étaient alors organisées à l’intérieur du Musée, en direct, et intégrées aux installations de l’exposition. (Ces rencontres étaient aussi enregistrées sur vidéo par l’artiste.) Le caractère irréaliste des attentes des internautes, inspirées des photos et des courts-métrages de l’artiste, étaient ainsi confrontée dans les faits à l’irréalité du personnage de l’artiste mise-en-scène comme «femme disponible». Les courts métrages présentés sur le site, intitulés «fantasme», «complicité», «amour», «sexe», «famille», «travail», «solitude», explorent d’ailleurs cette image fragmentée de la femme tantôt sulfureuse et cultivée, joueuse et accessible, moderne et urbaine, professionnelle et distinguée, banlieusarde et coquine, domestique et vaporeuse, patiente et appliquée au cœur de notre vision complexe (et impossible) de la Féminité. Chez l’artiste, tout est en effet exagéré, caricatural, parodique. C’est ce qui permet ultimement de mettre à distance l’objet parodié et de provoquer une réflexion sur celui-ci: que signifie être «disponible»? Sur quoi repose notre image de la femme? Pour reprendre le texte de présentation de Sandra Grant Marchand, conservatrice du Musée d’art contemporain de Montréal: «Le projet offre des possibilités de rencontres et d'échanges où la fusion entre fiction et réalité remet en cause nos attentes quant à notre propre disponibilité et à notre conditionnement, au regard des communications interpersonnelles» (Grant Marchand, 2002). Le double-sens du leitmotiv de l’œuvre («Soumettez-vous»), qui se fait entendre à plusieurs moments de l’expérience de l’internaute lorsqu’on l’invite à remplir son profil en ligne, révèle à lui seul toute l’ambigüité de ce jeu entre séduction, critique, parodie et objectivation du corps.
Anciennement hébergé au http://www.jesuisdisponibleetvous.com/, l'oeuvre demeure aujourd'hui accessible sur Internet Archive.
- 1. «Je suis disponible (01) ‹ Lyon, de 2001, touchait au phénomène des clubs de rencontres; Je suis disponible (02) Paris, 2001, proposant une promenade où les participants se croisent sur le trajet et ont la possibilité d'échanger leurs partenaires.» (Grant Marchand, 2002)