Soumis par Joël Gauthier le
Les Cantoos de Dan Waber – nommés selon l’expression enfantine anglaise «can too», signifiant «moi aussi, je suis capable» – sont une série de poèmes minimalistes présentés sous la forme de livre (du plus ancien au plus récent) ou de blogue (du plus récent au plus ancien), selon l’option de lecture choisie par l'internaute sur la page d’accueil. Au moment d’écrire ces lignes, en septembre 2010, le site de Dan Waber abritait 105 «cantoos».
Le traitement visuel de chaque «cantoo» obéit toujours aux mêmes règles de base: le texte apparaît en police Courier New 13.5 points, noir sur fond blanc, et est surmonté du numéro identifiant le «cantoo» (par exemple, «Cantoo 31», «Cantoo 9», etc.). Lorsqu’un «cantoo» est dédié à une personne en particulier, la dédicace est inscrite immédiatement sous le numéro du «cantoo».
Bien que l’internaute garde la liberté de commencer sa lecture par les «cantoos» les plus anciens ou les plus récents et qu’il contrôle lui-même le passage d’un «cantoo» à un autre grâce aux contrôles dans le coin inférieur droit de l’écran, les «cantoos» n’offrent pas d’autres possibilités d’interactivité. Chaque «cantoo» joue en boucle, et l’internaute demeure un simple spectateur.
L’intérêt des «cantoos» se situe dans l’exploration que fait Dan Waber des différentes formes de poésie minimaliste infra-verbale. Pour reprendre la classification de Bob Grumman, il existe cinq sortes de poésie minimaliste infra-verbale: fissionnelle (comme dans «p ar ex e mpl e»), fusionnelle («parexemple»), mutationnelle («per exmple»), microhérente («PR/XM/PL») et alphaconceptuelle («aABcD») (Grumman, 1997). Waber s’amuse à tordre les possibilités, à désarticuler les mots et à en créer de nouveaux – quitte à faire sombrer ses «cantoos» dans l’illisibilité temporaire. Ainsi, au fil des transformations, le mot «drift» présenté dans le troisième «cantoo» devient «fd rfifft», avant de revenir «drift», puis de répéter le même cycle. L’utilisation du médium électronique permet d’intégrer une dimension d’expression supplémentaire à l’entreprise poétique, celle du temps (Simanowski, 2004), qui fait que chaque «cantoo» ne se limite pas à un seul état mais passe successivement par plusieurs formes, exprimant une diversité de mutations poétiques. Les principes poétiques minimalistes infra-verbaux utilisés par Waber n’ont certes rien de nouveau, mais le support électronique permet de les déployer dans le temps selon des modalités impossibles à envisager sur papier.
Les thèmes plus généraux abordés par Dan Waber dans ses poèmes touchent le désir, la foi, les sentiments, les tensions entre les êtres, l’élan qui porte les individus les uns vers les autres (les mots formant des ponts difficiles entre ceux-ci), les perceptions (toujours trompeuses) et la médiation des sens. Les mutations complexes qu’il fait subir aux mots renferment toute la complexité liée à la simultanéité des possibles, propre à l’imprévisibilité des relations humaines. Le douzième «cantoo», par exemple, est particulièrement représentatif de cette «effervescence» des possibles. Ainsi, derrière chaque «cantoo» se cache une réflexion sur le chaos qui entraîne l’internaute à questionner l’évidence du donné. Il n’y a pas d’ordre, pas de Dieu («g p / g d»; 77ième «cantoo»), qu’un vide à remplir par les hommes. Pour citer un passage du 87ième «cantoo», qui résume bien le sentiment général se dégageant de cette série de poèmes: «Life is Messy».
On remarque une certaine épuration du style de Dan Waber au fil du temps, des «cantoos» les plus anciens aux plus récents, qui n’affecte cependant pas réellement l’orientation thématique de la série. Certains des «cantoos» sont dédicacés à d’autres poètes minimalistes contemporains, dont Karl Kempton, Nico Vassilakis, Geof Huth, bpNichol, Stuart Pid et Paloin Biloid. Des versions finlandaises sont disponibles pour certains «cantoos», traduits par Marko Niemi.