Université du Québec à Montréal
RADICAL

Make Great Money Again. Donald Trump et la rhétorique paroxystique

Make Great Money Again. Donald Trump et la rhétorique paroxystique

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J’aimerais faire l’hypothèse ici que Donald Trump est le premier président présentiste, véritablement présentiste et que le trumpicisme est le razzle dazzle rhétorique du vingt-et-unième siècle.

« Donald Trump continues his savage assault on truth, honesty and candor. […]  We have never seen an occupant of the Oval Office who is actually allergic to the truth. We have never had an enemy of honesty. »
Charles M. Blow, “Feasting on False and Fake”, New York Time, 3 août 2017.


« Trump is also a prolific liar on stage: Of the 29 false statements the Washington Post tracked last week, five came in a speech to Boy Scouts, two came from a news conference, and a whopping 15 came from a rally in Youngstown, Ohio. (Seven others came from, where else, his personal Twitter feed.) »
Denise Clifton, “A Chilling Theory on Trump’s Nonstop Lies”, Mother Jones, 3 août 2017. http://www.motherjones.com/politics/2017/08/trump-nonstop-lies/

« On est à court de mots pour décrire Donald Trump. Mais de tous les qualificatifs peu élogieux auxquels on peut penser, j’ai une préférence. On peut dire, sans se tromper, que le président américain est un idiot. »

Alain Dubuc. "L'idiotie au pouvoir", La Presse, 11 novembbre 2017. http://plus.lapresse.ca/screens/fe641608-1638-4fa7-a5c2-c5127d2141f9%7C_...
 



Un politicien menteur on a déjà vu ça. En fait, soyons réaliste, un politicien ne fait que ça, mentir. Détourner, cacher, déformer, simplifier, banaliser, ce sont les bases de la rhétorique politique. L'objectif est tout de même de ne jamais se faire prendre la main dans le sac... au risque de se faire destituer. Parlez-en à tricky Dick... ce cher Richard Nixon, forcé de démissionner en plein scandale du Watergate.

Mais un menteur invétéré, voire impénitent devenu président ? Nous sommes sur une terra incognita. Puisqu’il n’est pas un politicien, puisqu’il s’est même donné le mandat de déboulonner la classe politique, Trump n’est pas assujetti aux critères et standards de cette classe. Il fait et dit essentiellement ce qu’il veut, car de toute façon, son but est de briser cette institution qui lui a permis d’acquérir un pouvoir inégalé.



Soyons honnêtes. Élire Trump président, c’est comme nommer un climato-sceptique à la tête d’une agence de protection de l'environnement (Scott Pruitt, quelqu’un ?), une critique forcenée des écoles publiques comme secrétaire de l’éducation ou encore un géocentriste à la tête de la NASA. C’est un désastre assuré, intentionnellement provoqué.
Trump ment comme il respire. En fait, d’un respire à l’autre, les mensonges se mutiplient et, surtout, ils ne constituent aucune trame crédible. Le mythomane, pour survivre dans son tissu de mensonges et de fabulations, doit s’assurer de la cohérence à court ou à moyen terme de ses propos, au risque de se faire démasquer. Donald Trump se moque totalement de se faire démasquer. À aucun moment se sent-il concerné par ses propres contradictions. Que ce soit le nombre de personnes présentes à son inauguration ou les lois passées lors de ses premiers mois de présidence, les faits ne font pas le poids dans ses fanfaronnades. Il multiplie les mensonges grossiers, quand ce ne sont pas les propos calomnieux.

On a même proposé, pour rendre compte de cet écart, la notion de faits alternatifs ou « alternate facts ». Il y a les faits ; et il y a ce que Trump ou l’un de ses sbires en font. La vérité n’est plus qu’un encombrant souvenir dans une rhétorique paroxystique. Puisque ces faits alternatifs sont avancés par le président des États-Unis, et non par un quidam, puisqu’ils sont énoncés par une figure politique et publique, une figure historique et d’autorité, ils ouvrent la voie à ce qu’on nomme une uchronie. Comme le signale adroitement Emmanuel Carrère, la tentation uchronique consiste à « Annuler ce qui a été, le remplacer par ce qui aurait dû être […], ce qui aurait pu l’être » (Le détroit de Behring. Introduction à l’uchronie, Paris, P.O.L.), et à poursuivre dans cette visée réformatrice. Quand cette volonté est celle du président des États-Unis, on mesure aisément sa dangerosité. Par ses déclarations et ses coups de gueule, il crée une réalité qui est parallèle aux évènements survenus. L’uchronie ainsi ouverte apparaît par contre comme une pure dystopie, une version essentiellement négative, où les fascistes et les nazis ont droit de cité, où les suprématistes blancs et les membres du Klan peuvent défiler, sans craindre de se faire arrêter, où le vrai et le faux cohabitent. Man In the Dark, le roman de Paul Auster  de 2008 apparaît dans ce contexte comme de la petite bière, une uchronie édulcorée.

 

Deux versions de l’histoire ont cours en même temps, la version présidentielle et l’autre, qui se voit de facto déchue de toute crédibilité. Les faits sont devenus des fake news, rapportés par des fake news media, qui n’ont de faux que leur vérité. Mais, comme cette vérité déplait, Trump entreprend de la dissimuler, en brouillant les pistes et les frontières. On assiste à de merveilleux exemple de razzle dazzle, cette technique de camouflage qui consiste à rendre l’adversaire confus, soit par des actions aberrantes, soit par un choix de couleurs éclatantes et tapageuses. Avant l’invention du sonar, qui se moque des apparences car ce sont les masses qui le préoccupent, quand on devait regarder par un périscope ou évaluer à vue d’œil la position des navires afin de pouvoir les torpiller, il était de bonne guerre de peindre lesdits navires de couleurs criardes en multipliant les formes asymétriques, voire cubistes. Il fallait jeter de la poudre aux yeux, plus précisément déjouer l’adversaire par de gigantesques tableaux qui faussaient les dimensions et les perspectives.

Le trumpicisme est le razzle dazzle rhétorique du vingt-et-unième siècle. Ce n’est pas que Trump réduise le langage à un novlangue orwellien – ne serait-ce que parce que le novlangue sert une idéologie et que Trump n’en a aucune à proprement parler–, mais sa posture énonciative est essentiellement disruptive. Il veut confondre, perturber, désarçonner, afin de gagner un avantage. Sa rhétorique paroxystique s’alimente d’inconséquences, d’une ignorance crasse, de narcissisme, de propos incendiaires, de simplifications outrancières, de mensonges répétés et délibérés, d’incohérences, de fanfaronnades. Le baron de Münchhausen ne ferait pas mieux. Quelqu’un qui ne sait pas de quoi il parle et qui fonde sa rhétorique sur les effets de surprise et les ruptures, ne peut que méduser son auditoire. Son spectacle est fascinant, irrésistible, mais ce n’est que ça, un spectacle.

Comme le signale Yves Boisvert, quand on lit le verbatim de ses entrevues, « C’est proprement stupéfiant. Il n’y a pas de moyen de comprendre ce qu’il dit. La raison en est très simple : il ne sait pas de quoi il parle. » (« Trumpistique », La Presse, 24 août 2017). Mais le plus étrange dans tout cela, c’est qu’il est irrésistible. Trump fascine. C’est morbide, évidemment, mais irrépressible. Comme un spectacle permanent. Mais, ce n’est pas un simple cas de politique-spectacle, auquel nous sommes depuis longtemps habitués, pour ne pas dire blasés, mais de pur spectacle sur fond de politique. C’est un spectacle en soi et pour soi, qui fait de la politique son prétexte. Prétexte d’autant plus réjouissant que le spectacle a pour but justement de le détruire. Les démolisseurs ont toujours beau jeu de ridiculiser ce qu’ils s’apprêtent à détruire.


À la lumière de ce que je viens de dire, j’aimerais faire l’hypothèse que Donald Trump est le premier président présentiste, véritablement présentiste.

Narcissique, Trump n'a qu'une seule vérité, la sienne. Or cette vérité ne se déploie pas sur la longue durée, dans le temps, mais dans l'instant. Il est une suite de présents, qui n’ont aucun lien entre eux, comme des tweets qui se suivent sans nécessairement se succéder. La seule logique présente est celle de la rupture, de la discontinuité, du spectacle même de cette discontinuité.

Le régime contemporain d’historicité fait du présent, nous le savons, son objet de prédilection, pour ne pas dire l’objet de son obsession de tous les instants. Un trait de ce régime apparaît en effet dans la tendance, voire l’urgence, de notre présent à s’historiciser lui-même et à s’inscrire dans un récit où il occupe le centre de la scène. Le présent s’y impose comme son propre horizon. Il ne faut pas se surprendre alors, comme le soutient Pierre-André Taguieff, que la tonalité dominante de notre époque soit la désorientation. On s’achemine, dit-il, « vers l’évidence, partagée par un nombre croissant de nos contemporains, que la marche vers le pire pourrait être ce qu’il y a de plus vraisemblable. » (« Faillite du progrès, éclipse de l’avenir », in Paul Zawadzki, ed., Malaise dans la temporalité, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p.  87)  

La marche vers le pire. C’est bien le spectacle auquel nous convie Trump depuis le début de son mandat. Sa présidence ne cesse de se détériorer et nous suivons de manière compulsive sa chute. C’est une faillite spectaculaire.  

Il faut dire qu’une star de la téléréalité qui voulait devenir le président des États-Unis ne pouvait que transformer sa présidence en téléréalité. Et nous suivons, médusés, cette émission quotidienne, où les principaux acteurs ne sont pas choisis pour leur intelligence ou leur maitrise des codes et des dossiers, mais pour leur télégénie (the Mooch?) et leur capacité à captiver l’auditoire. Ou alors, par la fin dramatique à laquelle ils sont inévitablement conviés : You’re Fired !

 



« Culte de l’urgence, dit Paul Zawadzki,  […] tyrannies de l’instant, de l’éphémère, de la vitesse, d’un temps frénétiquement soumis aux passions consuméristes et aux logiques marchandes » («  Les équivoques du présentisme » Paul Zawadzki, ed., Malaise dans la temporalité, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 114). À ce présentisme répond une présidence qui n’a de cesse de détruire ce qu’elle est censée protéger. Et qui remplace la parole présidentielle par le vide absolu. Habituellement, le slogan est un appui publicitaire à un discours. Avec Donald Trump, le slogan est le discours politique, l'ensemble du discours. Derrière le slogan, il n'y a rien. Il n’y a qu’un autre slogan. Pas étonnant que la prise de parole privilégiée du président soit le rassemblement électoral. Il peut y multiplier les slogans, les vantardises et les remontrances, sans égards pour la vérité ou les conséquences de ses insinuations. Il peut attaquer la classe politique, comme s’il n’en faisait pas partie. Même élu, Trump continue à organiser de tels rassemblements et à s’y vautrer. Pendant quelques instants, il redevient un candidat. Un simple candidat. Ce qu’il n’aurait jamais dû cesser être.

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