Présentation de la communication
«La connotation négative de l’expression “Tumblr Feminist” ou encore “Social Justice Warrior” qu’on retrouve caricaturé dans la dernière saison de South Park (saison 19, 2015) en dit long sur l’agacement et l’incompréhension que provoquent encore ces individus qui s’indignent et critiquent sur les réseaux sociaux. La médiatisation de la tentative de suicide du fanartiste Zamii qui y aurait été poussé par la pression des autres fans bien pensants, témoigne de la méfiance face à ce phénomène (voire l'article d'Aja Romano sur The Daily Dot ; 'Steven Universe' fandom is melting down after bullied fanartist attempts suicide, 2015). Mais ce serait oublier que les Geeks et autres Nerds ont aussi été décriés au Saturday Night Live, comme le rappelle Henry Jenkins dans Textual Poachers (p. 9), avant de conquérir la Pop Culture mainstream ces dix dernières années. Il s’agit de ne pas s’attarder sur des faits divers médiatisés et orientés mais d’observer par une petite fenêtre le fourmillement de cette subculture de fangirls queers et féministe née dans les années 1970 avec la fanfiction slash autour du couple Kirk/Spock de la série Star-Trek. Ceux mais surtout celles qui la composent n’hésitent pas à s’approprier une production culturelle ne répondant pas à leurs attentes.
Le cas spécifique du manga Shingeki No Kyojin, un shonen destiné donc aux jeunes garçons, mais réapproprié et disséqué par des lecteur-rices autoproclamé-e-s queer et féministes sur la plate-forme Tumblr, est édifiant en ce sens. En effet, si l’on remonte aux sources, on peut déjà constater une dimension féministe mais surtout queer dans l’oeuvre d’origine mais également dans la culture dont elle est issue, la culture japonaise où, à titre d’exemple, l’homosexualité masculine n’est devenue un tabou qu’avec l’influence de l’Occident au XIXème siècle. De nombreux éléments de Shingeki no Kyojin peuvent donc être perçus comme féministes et gay friendly: des uniformes mixtes, un personnage déclarant son désamour du sexe opposé, un couple de femmes rendu canonique par une laconique déclaration de l’auteur du manga sur Twitter... sans compter le fanservice, marketing brossant le public dans le sens du poil, surfant allègrement sur le Boys Love et le Yaoi. En réaction à cela, une audience occidentale et anglophone était tout prêt à se réjouir au travers d’analyses, fanfictions et fanarts publiés sur Tumblr de la non binarité, confirmée ou extrapolée d’un tel et à remodeler à plusieurs un nouveau Shingeki no Kyojin correspondant parfaitement à leurs désirs de représentations, allant même jusqu’à changer l’identité raciale de nombreux personnages. Enfin, on peut constater que la lecture des fangirls japonaises, les Fujoshi adeptes du Yaoi dont la naissance s’est faite en parfait parallèle avec celle des fangirls occidentales, a une certaine influence sur le manga lui-même. On peut ainsi voir certains éléments crées par le public Fujoshi comme le travestissement d’un personnage, injecté dans un produit officiel. Il y a donc un réel contact entre l’auteur et le fandom.
Le constat de Michel de Certeau dans La culture au pluriel s’applique ainsi parfaitement à ce cas spécifique où consommateurs et auteurs ne sont finalement séparés que par la mince cloison du “canon” et du “headcanon”: "En réalité, la création est une prolifération disséminée. Elle pullule. Une fête multiforme s’infiltre partout [...]" De là à voir une sorte de Gay Pride Otaku dans cette fête multiforme, il n’y a qu’un pas.»