Ces poussières faites pour troubler l'oeil

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Œuvre référencée: Foster Wallace, David. Infinite Jest. New York/Boston/Londres, Back Bay Books, 1996, 1079 pages.

Come, come, and sit you down, you shall not budge.
You go not till I set you up a glass
Where you may see the inmost part of you
1.

 

Peu de temps après la publication d’Infinite Jest, David Foster Wallace (DFW) discutait de son roman avec Michel Silverblatt à l’émission radiophonique Bookworm2. Interrogé sur ses motivations quant à l’écriture d’une œuvre d’une telle ampleur —on parle d’un texte faisant 1079 pages—, DFW affirme avoir voulu écrire un livre aussi amusant qu’exigeant, et insiste sur l’importance qu’il accorde à l’effort de lecture, avançant que la relation du sujet contemporain à la culture se vivrait le plus souvent dans le confort de la facilité. Ce rapport de facilité à la culture est incarné principalement, toujours selon DFW, par la télévision et le cinéma populaire, qu’il range sans vergogne dans la catégorie du «low art». Il s’agit d’œuvres divertissantes dont le but avoué est non seulement de répondre à l’urgent besoin de plaisir qui habite l’humain, mais aussi, bien sûr, de générer des profits en y répondant: «TV and popular film and most kinds of "low" art —which just means art whose primary aim is to make money— is lucrative precisely because it recognizes that audiences prefer 100 percent pleasure to the reality that tends to be 49 percent pleasure and 51 percent pain3

Un roman de l’envergure d’Infinite Jest repose sur le projet de s’opposer à la facilité de l’art divertissant, tant par sa structure narrative complexe et par les thèmes qui y sont abordés que par l’engagement que sa lecture implique. Le nombre d’heures nécessaires à la lecture de cette brique agit de façon décisive sur le lecteur, l’exposant longuement à la tristesse du sujet contemporain qui apparaît, au fil du texte, être l’un des fils reliant entre eux les nombreux personnages de l’histoire4. C’est pourquoi il me semble pertinent d’aborder ici ce roman qui, bien qu’ayant été publié il y a quinze ans, demeure d’une actualité criante, tant par la réflexion qu’il propose sur la culture contemporaine que par le regard critique qu’il porte sur l’écriture de fiction.

Infinite Jest se déploie en un écheveau et il est nécessaire d’en dégager les fils narratifs principaux avant de poursuivre. L’histoire se déroule dans un futur5 où les années ne sont plus comptées en nombres, mais portent plutôt le nom de diverses compagnies ayant payé des droits pour, littéralement, passer à l’histoire. Le cœur du récit se déroule lors de The Year of the Depend Adult Undergarment6. Le roman contient trois trames narratives principales qui se recoupent en de nombreux chassés-croisés. La première trame concerne une académie de tennis, Enfield Tennis Academy, où étudie Hal Incandenza, un jeune surdoué à la mémoire exceptionnelle qui possède une vaste culture, en plus d’être dépendant à la marijuana. La deuxième trame expose la vie des pensionnaires d’un centre de réhabilitation pour drogués et alcooliques, Ennet House, qui se trouve en bas de la colline où est située l’académie Enfield. Don Gately, un ex-toxicomane travaillant pour le centre, occupe une place importante dans cette partie. Finalement, une troisième trame met en scène Marathe, un membre des Assassins des Fauteuils Rollents, ce groupe de terroristes québécois souhaitant que le Québec se sépare de l’ONAN7 (Organization of North American Nations), c’est-à-dire l’union politique du Canada, des États-Unis et du Mexique. Il faut préciser que ces trois trames principales sont accompagnées de nombreuses scènes secondaires où l’on rencontre divers personnages qui ne participent pas de façon directe à l’intrigue. D’ailleurs, l’emploi du terme «intrigue» ne rend pas justice à la logique qui prévaut dans Infinite Jest, où l’enjeu lectural ne se situe pas tant dans la découverte d’un dénouement que dans l’exploration d’une expérience collective du réel, de la tristesse de ce réel et des personnages qui l’habitent.

Il est évident qu’un commentaire de quelques pages ne peut suffire à donner ne serait-ce qu’une idée générale d’Infinite Jest. Il me semble néanmoins important de discuter, même brièvement, la façon dont DFW pose la question de l’empathie et de la place qu’elle devrait occuper dans le travail du romancier contemporain. Pour le dire sans détour, l’écrivain reproche à son époque de favoriser un rapport individualiste à la réalité, renforçant le penchant naturel qu’aurait l’individu à se considérer comme étant le centre du monde. L’empathie est décrite par DFW comme étant cette capacité, cet effort que l’humain peut et doit fournir, afin de se décentrer et de pouvoir ainsi accéder à l’autre. Cet effort, cette volonté de penser le monde à partir de l’autre est, pour DFW, la vraie liberté, et il en fait un projet d’écriture: «The really important kind of freedom involves attention, and awareness, and discipline, and effort, and being able truly to care about other people and to sacrifice for them, over and over, in myriad petty little unsexy ways, every day. This is real freedom8.» On le comprend, cette liberté évoquée par DFW implique un rejet du culte du moi et de l’égocentrisme qui régissent à bien des égards les rapports sociaux de notre époque. En ce sens, ses propos rejoignent la thèse défendue par Christopher Lasch dans The Culture of Narcissism: American Life in an Age of Diminishing Expectations, à savoir que l’individu contemporain, en se repliant toujours plus sur soi-même, devient inapte à conférer un sens à son existence, qu’il appréhende le plus souvent avec anxiété: «The new narcissist is haunted not by guilt but by anxiety. He seeks not to inflict his own certainties on others but to find a meaning in life. Liberated from the superstitions of the past, he doubts even the reality of his own existence9

Cette conception de l’empathie, transposée dans l’écriture romanesque, se traduit en un effort soutenu pour cerner la singularité des différents maux qui affligent les sujets contemporains: les angoisses liées aux pressions sociales, la consommation de drogue vécue comme moyen d’échapper à la vie immédiate en altérant un réel perçu comme étant l’insupportable même, sans oublier ces dépressions s’enracinant dans la banalité du quotidien, dévoilant ce que ce mal-être a de plus troublant, c’est-à-dire le fait qu’il soit incontournable. Cette attention soutenue, ce regard qui s’efforce de comprendre la souffrance de façon littérale et empathique, sans ironie ou cynisme, est pour DFW un authentique projet d’écriture romanesque. Il s’oppose par exemple à l’écriture de Bret Easton Ellis, à qui il reproche de seulement dépeindre la noirceur du monde dans lequel on vit, sans toutefois chercher à proposer des possibilités de rendre le monde habitable. C’est ce qu’il déplore du célébrissime et controversé roman de Bret Easton Ellis, American Psycho (1993):

Really good fiction could have as dark a worldview as it wished, but it’d find a way both to depict this world and to illuminate the possibilities for being alive and human in it. You can defend Psycho as being a sort of performative digest of late-eighties social problems, but it’s no more than that10.

Mais DFW ne s’oppose pas seulement aux écritures qui s’évertuent à dépeindre le monde dans sa noirceur. Cette idée de l’importance de l’empathie et d’un effort sincère pour comprendre les humains va de pair avec un rejet d’une certaine pratique de la métafiction où la prouesse formelle devient une fin en elle-même. DFW en fait même une avenue possible pour dépasser la métafiction, dont on connaît l’importance aux États-Unis. Celui-ci évoque plusieurs écrivains, dont William T. Vollmann, Loorie Moore et Jonathan Franzen11, qui appartiennent selon lui à cette nouvelle génération qui cherche à se débarrasser des mécanismes de la métafiction, notamment de son ironie. Pour l’auteur, il y a une distinction importante à faire entre l’écriture et la lecture de texte qui fonctionnent en circuit fermé (la fascination du monde universitaire pour les dispositifs narratifs, indépendamment des idées qu’ils supportent, en est un bon exemple) et les textes qui parlent du monde. Rejetant en bloc les discours visant à valider l’écriture de fiction par le biais de pirouettes narratives exposant la sagacité de l’écrivain et sa compréhension des mécanismes de l’écriture, DFW adopte une posture résolument du côté de la vie, aux antipodes du solipsisme de ce qu’il considère être le propre de la mauvaise métafiction, c’est-à-dire le retournement de l’écriture sur l’écriture, ce cercle parfait duquel la vie est exclue:

Fiction’s about what it is to be a fucking human being. If you operate, which most of us do, from the premise that there are things about the contemporary U.S. that make it distinctively hard to be a real human being, then maybe half of fiction’s job is to dramatize what it is that makes it tough. The other half is to dramatize the fact that we still "are" human beings, now. Or can be12. (Je souligne.)

Cet appel à l’ouverture et à l’empathie peut, a priori, sembler cliché et moralisateur. Je préfère pour ma part y voir une prise de position philosophique sérieuse qui s’appuie sur un constat troublant et difficilement réfutable, soit celui d’un amenuisement des rapports sociaux réifiant le sujet contemporain en le réduisant à une fonction qui l’isole, celle du travailleur/consommateur. En cela, il me semble également que la réflexion romanesque dans laquelle DFW s’engage est à mettre en parallèle avec le travail amorcé par Peter Sloterdijk dans sa trilogie des Sphères, par lesquelles celui-ci s’évertue à repenser l’existence humaine en termes de relations et de transferts. Cette phrase, qui résume bien l’esprit dans lequel est rédigée cette trilogie, pourrait sans l’ombre d’un doute se trouver en exergue d’Infinite Jest: «Il faut être au moins deux pour constituer une subjectivité réelle13

Être humain, dans Infinite Jest, c’est être l’arène où combattent, bien souvent jusqu’à la mort —par suicide, évidemment—, le désespoir et l’envie d’échapper à une condition jugée insupportable. En ce sens, il est juste de dire que ce roman propose une vision tragique du monde; l’emprunt du syntagme «Infinite Jest» au Hamlet de Shakespeare invite à suivre cette piste dès le titre14. Cette affirmation mérite tout de même d’être nuancée; il y a une indéniable part de grotesque aux scènes tragiques, dans Infinite Jest, grotesque qui ne peut qu’entraîner le malaise du lecteur. Il suffit de penser au suicide du père Incandenza qui, bien que tragique, n’échappe pas au grotesque, celui-ci se donnant la mort en se faisant cuire la tête dans le four à micro-ondes. Il est difficile d’évoquer cette coprésence du grotesque et du tragique sans mentionner Schopenhauer, qui affirme, dans Le monde comme volonté et comme représentation, qu’il s’agit là du propre de l’existence humaine:

La vie de chacun de nous, à l’embrasser dans son ensemble d’un coup d’œil, à n’en considérer que les traits marquants, est une véritable tragédie; mais quand il faut, pas à pas, l’épuiser en détail, elle prend la tournure d’une comédie. Chaque jour apporte son travail, son souci; chaque instant, sa duperie nouvelle; chaque semaine, son désir, sa crainte; chaque heure, ses désappointements, car le hasard est là, toujours aux aguets pour faire quelque malice; pures scènes comiques que tout cela. Mais les souhaits jamais exaucés, la peine toujours dépensée en vain, les espérances brisées par un destin impitoyable, les mécomptes cruels qui composent la vie tout entière, la souffrance qui va grandissant, et, à l’extrémité du tout, la mort, en voilà assez pour faire une tragédie. On dirait que la fatalité veut, dans notre existence, compléter la torture par la dérision; elle y met toutes les douleurs de la tragédie; mais, pour ne pas nous laisser au moins la dignité du personnage tragique, elle nous réduit, dans les détails de la vie, au rôle du bouffon15.

Pour ne donner qu’un exemple de cette vision tragique de l’existence proposée par Infinite Jest, on peut évoquer Kate Gompert, cette femme dépendante à la marijuana qui, après trois tentatives de suicide, donne le choix à son médecin de lui administrer des électrochocs ou bien de lui rendre la ceinture avec laquelle elle a tenté de mettre fin à ses jours... Cette lucidité devant l’immuabilité du mal qui l’habite a de quoi faire frémir le lecteur, et les mots le rapprochent peut-être des secondes insupportables évoquées par Kate:

‘I want shock,’ she said finally. ‘Isn’t part of this whole concerned kindness deal that you’re supposed to ask me how I think you can be of help? Cause I’ve been through this before. You haven’t asked what I want. Isn’t it? Well how about either give me ECT again, or give me my belt back. Because I can’t stand feeling like this another second, and the seconds keep coming on and on.’ (p.74; je souligne.)

Ce passage permet de saisir comment s’imbriquent deux des thèmes majeurs d’Infinite Jest, soit la solitude et l’empathie. Évidemment, le problème de l’empathie est indissociable de celui de la solitude et laisse entendre qu’il y aurait quelque chose qui résiste, entre les sujets, les empêchant de partager leur expérience du monde. Ce qui est triste à propos de notre temps, dit DFW, c’est cette solitude, ce quelque chose qui fait écran, empêchant l’humain de vivre une relation immédiate avec ses proches. Quelques pages avant de réclamer des électrochocs, Kate Gombert insiste justement sur la radicalité de sa solitude, les médicaments représentant tout ce qu’elle avait dans le monde:

The doctor said could she tell him a little bit about why she’s here with them right now? Can she remember back to what happen?
She took an even deeper breath. She was attempting to communicate boredom or irritation. ‘I took a hundred-ten Parnate, about thirty Lithonate capsules, some old Zoloft. I took everything I had in the world. (p.70)

Si j’insiste sur l’impossibilité qu’ont plusieurs personnages d’Infinite Jest à vivre une relation immédiate à la réalité, c’est qu’il me semble que la tristesse de l’existence, dans ce roman, est à mettre en lien avec les différentes formes de médiations qui participent de l’expérience du monde contemporain. Par cela, le roman de DFW peut être lu comme l’exemplification de la thèse soutenue par Guy Debord dans La société du spectacle, qui veut que «[t]oute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation16.» De fait, un élément majeur du roman est l’intrigue qui gravite autour d’un film, Infinite Jest, qui a été réalisé par James Incandenza quelques mois avant qu’il ne se suicide. Ce film, qui représente dans le roman le divertissement par excellence, a la propriété du tuer son spectateur en lui procurant une dose létale de plaisir. Celui-ci n’arrive plus à détourner son attention du film, source de plaisir intarissable, et meurt simplement d’inanition. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les Assassins des Fauteuils Rollents tentent de mettre la main sur ce film, qu’ils aimeraient bien distribuer dans les foyers des citoyens de l’ONAN.

Cette idée d’un divertissement qui provoque un plaisir mortel gagne à être mise en parallèle avec la solitude du sujet contemporain. DFW semble vouloir proposer, par de nombreuses scènes, que la relation de l’individu à ce qu’il considère être la liberté soit totalement erronée, puisque ce que l’individu contemporain choisit, c’est toujours le plaisir, sous diverses formes. Les expériences des drogués, des alcooliques et des citoyens friands de télévision, en ce sens, peuvent être pensées conjointement en tant que sources de plaisir opérant une médiation entre le sujet et le monde, ajoutant une enveloppe (faussement) protectrice entre sa personne et ce qui s’offre à lui. Ce qui est important de souligner, c’est que ces différentes sources de plaisir sont traitées dans le texte comme autant de formes d’aliénation. Ainsi, la scène où Marathe, membre des Assassins des Fauteuils Rollents, discute du libre arbitre avec Steeply, un représentant des services secrets américains, montre bien que la notion de choix pose problème dans la mesure où les citoyens n’ont pas les moyens de choisir de façon éclairée, si bien que la possibilité de mourir de plaisir, pour plusieurs, constitue sans doute un sort enviable:

Marathe shrugged. ‘Us, we will force nothing on U.S.A. persons in their warm homes. We will make only available. Entertainment. There will be then some choosing, to partake or choose not to.’ Smoothing slightly at his lap’s blanket. ‘How will U.S.A.s choose? Who has taught them to choose with care? How will your Offices and Agencies protect them, your people?’ (p.318)

Plus loin, Marathe propose que la nation américaine est de toute façon déjà morte, les citoyens étant désormais incapables d’effectuer le moindre choix éclairé:

Someone or some people among your own history sometime killed your U.S.A. nation already, Hugh. Someone who had authority, or should have had authority and did not exercise authority. I do not know. But someone sometime let you forget how to choose, and what. Someone let your peoples forget it was the only thing of importance, choosing. (p.319; je souligne.)

Ici, il faut se rappeler les propos de DFW au sujet des arts du divertissement, qui ne proposent rien d’autre que du plaisir, niant par le fait même tout ce qui est triste dans l’existence, la solitude en premier lieu. Le jeune Hal, habitué au fonctionnement rigoureux de l’Institut de tennis d’Enfield, explique par exemple aux plus jeunes que la solitude est la condition à laquelle ils sont tous condamnés: «We’re all on each other’s food chain. All of us. It’s an individual sport. Welcome to the meaning of individual. We’re each deeply alone here. It’s what we all have in common, this aloneness.» (p.112) Ce diagnostic, qui concerne d’abord les jeunes athlètes de l’académie Enfield, mérite qu’on l’applique à l’ensemble des personnages du roman et peut-être également aux lecteurs. Dans l’entrevue accordée à Valerie Stivers, DFW exprime de façon explicite ce lien qu’il établit entre la tristesse, les médias de divertissement et l’usage de drogues:

I wonder why I'm lonely and doing a lot of drugs? Could there be any connection between the fact that I've got nothing to do with other people, that I don't really have a fucking clue what it is to have a real life and the fact that most of my existence is mediated by entertainment that I passively choose to receive17?

Il devient intéressant, à la lumière de cette déclaration, de penser l’articulation des thèmes de la solitude et de la dépendance aux drogues et aux médias de divertissement, incarnés de façon tout à fait emblématique par le film Infinite Jest. En effet, il est difficile de ne pas y voir un commentaire sur notre propre rapport aux médias, sur le semblant de relation au monde que leur fonctionnement induit. Le sujet contemporain apprécie l’art divertissant, dit DFW, parce que les médias supportent des œuvres faites uniquement de plaisir et lui permettent, en lui procurant une expérience esthétique heureuse, d’oublier tout ce que sa vie a de triste. Cette fuite dans la fiction, devons-nous comprendre, n’est pas tellement éloignée de la mort effective des spectateurs du film Infinite Jest.

C’est dans cette représentation du divertissement, au cœur d’une œuvre qui s’efforce de confronter le lecteur à la tristesse de la vie contemporaine, qu’il faut voir l’effort de l’auteur à susciter l’empathie de celui-ci. Si la télévision, comme le propose DFW, conforte l’illusion que nous ne sommes pas seuls, Infinite Jest cherche au contraire à lever le voile sur cette solitude. Il y aurait, dans l’expérience de lecture que propose DFW, quelque chose qui relève du sevrage, et donc de la douleur. Ce sevrage, on l’aura compris, concerne l’illusion médiatique du bonheur socialement partagé. Celui-ci a une valeur positive, car il implique une forme de renouement avec la réalité immédiate, le refus de l’illusion de ce monde «100% plaisir» de l’écran qui, précisément, fait écran devant le tragique de l’existence. Tragique qui, pour DFW comme pour Pier-Paolo Pasolini, réside dans l’amenuisement des rapports humains, et même, peut-être, dans leur simple disparition: «Je tiens simplement à ce que tu regardes autour de toi et prennes conscience de la tragédie. Et quelle est-elle, la tragédie? La tragédie, c’est qu’il n’existe plus d’êtres humains; on ne voit plus que de singuliers engins qui se lancent les uns contre les autres18.» 

Pour citer ce document:
Brousseau, Simon. 2010. « Ces poussières faites pour troubler l'oeil ». Dans Lectures (Salon double, 2010-2011). Carnet de recherche. En ligne sur le site de l’Observatoire de l’imaginaire contemporain. 12/2010. <https://oic.uqam.ca/fr/carnets/lectures-salon-double-2010-2011/ces-poussieres-faites-pour-troubler-loeil>. Consulté le 1 mai 2023.
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