2000-2010

Ces illusions de mémoire à écrire

Œuvre référencée: Michon, Pierre. (2002) «Corps du roi». Nous avons déjà parlé de Pierre Michon ici, mais il importe de rappeler qui est l’auteur majuscule de ces fictions qui portent un regard archéologique sur le monde (avec d’autres) et qui, de ce fait, colorent d’une manière singulière le paysage francophone actuel. À mon avis nous ne parlerons jamais assez du recueil Corps du roi, dont l’originalité dépasse sans contredit la rhétorique propre à l’écriture du tombeau d’écrivain. Je propose ici une réflexion en surplomb sur les enjeux de filiation et d’imaginaire littéraire soulevés par l’œuvre de Michon, à partir du recueil qui m’a longtemps questionnée.

Québec taxidermiste

Œuvre référencée: Québec, ville dépressionniste (2008) «La Conspiration dépressionniste». La capitale nationale serait (devenue) dépressionniste. C’est-à-dire laide, monotone, instrumentalisée, ennuyeuse, léthargique, aliénante, abrutissante: les adjectifs se multiplient pour montrer que Québec «se tu[e] de l’intérieur» (Québec, ville dépressionniste, p.10). Le discours n’est pas joyeux, mais la réalité l’est encore moins: la population mondiale serait manipulée par des instances supérieures –politiques, culturelles, sociales– qui contrôleraient son intelligence en la maintenant sous le joug de la déprime. Voilà en quels termes s’exprime le collectif de La Conspiration dépressionniste qui, mi-figue, mi-raisin, dénonce l’existence d’un complot international dont Québec ne serait qu’une victime parmi d’autres.

L'assemblée politique des pirates des mers

Œuvre référencée: Larnaudie, Mathieu. (2009) «La constituante piratesque». L’assemblée fonctionne selon une certaine mouvance calquée sur le modèle de la communauté de pirates elle-même, qui permet une spontanéité inédite ailleurs qu’à bord de leurs navires. La seule stabilité que l’assemblée des pirates connaît est contenue dans la relation des individus vis-à-vis la communauté. Ils portent tous la responsabilité de la vie des uns et des autres. L’assemblée ne défend que sa propre liberté et ce à travers la responsabilité qu’elle confère à ses membres.

Le sauvetage du temps

Œuvre référencée: Rolin, Olivier. (2006) «Un chasseur de lions». Le roman atteste qu'à défaut de pouvoir découvrir des filiations réelles entre soi-même et le passé, il convient d'en inventer pour rattacher le fil de son histoire à celui de gens qui nous ont précédés, à celui de l'humanité, de façon à se sentir en faire partie. Sans ces histoires anecdotiques, sans les liens imaginaires entre les différentes époques et leurs projets avortés, sans cette représentation fictionnelle du retour et de la simultanéité des temps, le réel - le présent - et l'homme qui s'y trouvent en deviennent orphelins.

Réécrire Babel à l'ère médiatique

Œuvre référencée: Dickner, Nicolas. (2009) «Tarmac». Le deuxième roman de Nicolas Dickner, «Tarmac», raconte l’histoire de deux adolescents, Michel (dit Mickey) Bauermann et Hope Randall, qui se rencontrent par hasard à Rivière-du-Loup, à l’été 1989, et s’adoptent immédiatement. Au fil des journées passées dans le sous-sol du bungalow de la famille de Michel, surnommé le «bunker», les complices se laissent imprégner par les images médiatiques qui défilent à la télévision: des émissions de David Suzuki aux échos de la guerre froide, en passant par The Price Is Right, la chute du mur de Berlin et les films de zombies, tout est bon pour leurs solides appétits. L’actualité politique internationale est largement présente dans le roman, où les grands événements médiatiques qui ont marqué notre mémoire collective depuis 1989 deviennent autant de points de repère pour la temporalité du récit.

L'imagination en matière de navigation

Œuvre référencée: Fortier, Dominique. (2008) «Du bon usage des étoiles». De la fabulation naît la vérité cachée au cœur de la jeune femme. Sophia s’abandonne alors à l’imagination, elle scrute le ciel à la recherche d’autres constellations inventées, et elle réorganise les étoiles. Cet amour apparaît donc à Sophia (trop tard) en même temps que les plaisirs de l’action imaginante.

Traces, tracés, trajets: itinéraires d'un fils en deuil

Œuvre référencée: Rongier, Sébastien. (2009) «Ce matin». Sans doute quelques pièces du puzzle identitaire apparaissent-elles çà et là, mais toujours incomplètes ou inexpliquées: un certificat médical ancien signalant les traces d’une agression physique, un journal intime qui tourne court, un message téléphonique obscur laissé par une amie de la mère. Le roman éparpille, comme des cendres, les éléments de la biographie maternelle, nécessairement lacunaire. «Ce matin», premier roman de Sébastien Rongier, raconte une histoire simple: le narrateur apprend la mort de sa mère intervenue dans un accident de la route. Le récit se concentre sur les jours qui suivent ce décès, et, grâce à l’intensité, la tension, voire l’âpreté de l’écriture, restitue les difficultés avec lesquelles le personnage doit affronter la mort, le monde et s’interroger sur lui-même.

Au-delà de la matière romanesque

Œuvre référencée: Viel, Tanguy. (2006) «L'Absolue Perfection du crime». Tout se passe comme si les mots étaient engloutis par cette rumeur gênante et il semble presque que l’on se rapproche d’une «littérature du non-mot» telle qu’elle a été théorisée par Samuel Beckett. Le fait est que ce style en mouvement sert sans doute une forme de modernité littéraire, en se plaçant à la frontière de l’écrit, de l’oral et du mouvement de pensée.

Entre réalisme magique et paranoïa narrative

Œuvre référencée: NDiaye, Marie. (2007) «Mon cœur à l'étroit». Il est ici question d’une quête, celle des raisons qui poussent le monde à rejeter et mépriser soudainement Ange et Nadia, deux instituteurs de Bordeaux pourtant jusque-là respectés, sinon tolérés. On sera aussi en contact avec une multitude d’événements surnaturels qui vont d’un brouillard envahissant qui modifie la géographie de la ville à la gestation d’une sorte de fœtus démoniaque d’origine inconnue.

De l'exploration à l'obsession

Œuvre référencée: Vila-Matas, Enrique. (2008) «Explorateurs de l'abîme». Quel est ce vide, cette insatisfaction qui a rendu nécessaire l’écriture du livre que nous avons entre les mains ? Il y a certainement une tension, chez Vila-Matas, entre le monde réel et celui des livres, ces derniers occupant toujours une place plus importante que le premier dans la construction du discours. C’est-à-dire que cet écrivain répugne à parler du monde réel, celui de ses contemporains qui, réciproquement, vivent comme si la littérature n’existait pas.

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