2000-2010

L'entité sentinelle Chloé Delaume

Œuvre référencée: Delaume, Chloé. (2006) «J'habite dans la télévision». Le roman n’a qu’un véritable personnage, si on oublie le poste de télévision, aucune intrigue sauf la transmutation de Chloé Delaume qui se met à hanter le réseau. Elle commence à habiter la chose, parce qu’elle a décidé de tenter l’expérience de n’écouter que la télévision pendant vingt-deux mois.

Sous le signe de l'amour

Œuvre référencée: Gailly, Christian. (2007) «Les oubliés». Dans «Les oubliés», la simplicité d’une écriture plus détendue, moins heurtée, tend à favoriser une rencontre plus sensible avec le lecteur. Certes, l’amour manque de passion, la mort manque de douleur, mais la détresse de Brighton n’est pas moins palpable, ne serait-ce que dans son réflexe de s’attarder à des détails insignifiants qui l’empêchent de «[céder] de partout» . Il faut y voir la difficulté de traduire l’émotion en mots.

Un bourgeois en proie aux événements

Œuvre référencée: Lefebure, Mathyas. (2006) «D'où viens-tu, berger?». La tranquillité n’est que de courte durée, mais pour un jeune héros de la terre, tous les défis sont bons. Le loup vient de surgir. La panique s’installe en montagne et les cadavres de moutons se multiplient. «Vais-je abdiquer? Me rendre à l’évidence que je ne suis qu’un idéaliste de l’ovin?» L’idéal n’a pas de prix et se nourrit, malgré tout, de ses déceptions.

Temps et contretemps dans le conte quignardien

Œuvre référencée: Quignard, Pascal. (2006) «Triomphe du temps, quatre contes». Chez Quignard, le temps que fait éprouver le conte est une expérience du Jadis, qui triomphe toujours du temps chronologique pour faire de l’extrême contemporain un régime temporel originaire, un «ce fut» d’aoriste qui fait du maintenant une pointe d’enchantement, un contretemps qui fracture le continuum temporel.

Pierre Michon, roi et bouffon

Œuvre référencée: Michon, Pierre. (2007) «Le Roi vient quand il veut. Propos sur la littérature». Parmi les pairs, la pose est reconnue comme telle et acceptée, voire encouragée, sourire en coin. Surtout depuis que l’arrêt a été prononcé, à l’occasion d’une émission sur les auteurs contemporains de la regrettée Qu’est-ce qu’elle dit Zazie?, il y a une dizaine d’années: «Au fond, Michon, c’est le roi!»

L'exploration du quotidien

Œuvre référencée: Huizenga, Kevin. (2006) «Curses». Depuis l’avènement de la BD alternative dans le milieu des années 1980, on constate un glissement dans les préoccupations des artistes, plus intéressés à dépeindre leur monde réel et connu qu’à se lancer dans des délires spectaculaires. Cette tendance a atteint sa pleine expression avec Kevin Huizenga, jeune bédéiste du Michigan qui s’efforce de traduire sa réalité par le biais de son personnage Glenn Ganges, à force d’images et de mots.

Écrire avec un marteau

Œuvre référencée: Jauffret, Régis. (2007) «Microfictions». Au fil de la lecture, bien qu’aucun événement ne vienne lier entre elles les histoires qu’on y rencontre, se dégage néanmoins une forte impression de cohésion qui vient de l’uniformité du ton avec lequel s’expriment les personnages qui peuplent le livre. Tout se passe comme si un narrateur omniscient s’amusait à incarner diverses individualités fictives, d’où l’étrange homogénéité du discours que celles-ci produisent.

Là où on souffre

Œuvre référencée: Bond, Edouard H. (2008) «Prison de poupées». Ce passage vers la littérature, qui n’est qu’une solution de dernier recours, ne se fait pas sans heurt. Après une dédicace à l’honneur de Paris Hilton, qui fit récemment un bref séjour carcéral, Bond se cite lui-même en exergue, revendiquant le statut littéraire de son oeuvre: «Malgré ce qu’a pu te raconter, Marguerite fuckin Duras, ma Belle, chuis aussi de la littérature» (p. 13). Cette défense du narrateur, qui apparaît ainsi dès le début du roman, quant à ses ambitions littéraires supposent qu’elles sont remises en question.

Crave ou la profanation d'un mutisme

Œuvre référencée: Cathrine, Arnaud. (2007) «La disparition de Richard Taylor». Un plaisir coupable de lecteur devant un texte que Barthes dirait «de jouissance»: une brèche s'ouvre dans le plaisir pris à se faire raconter une histoire dont on connaît la fin, histoire sans transitivité; le plaisir pervers est consumé à même le clash de la mort répétée, du degré zéro de la lecture, du «crave» (titre d'une pièce clé de Kane) assouvissant. Cette perversion est ce qui rend le texte de Cathrine intéressant.

Le Bonheur ou l'art de la perte

Œuvre référencée: Delerm, Philippe et Martine Delerm. (2008) «Traces». Le texte devient la possibilité de mieux voir le matériau du monde en l’usant, en le fatiguant. Le texte deviendrait dans cette optique un tissu conjonctif, un liant et un lisant du monde. Ce dé-corps, n’est-ce pas aussi une déroute, puisqu’il n’y a «[p]as même l’idée d’un trajet, d’une destination»? Peut-être y a-t-il un point de rencontre entre cette idée et une société qui fait la promotion de la vitesse, de l’efficacité à tout prix. Ce dé-corps c’est accepter de s’abandonner aux lieux et entrer avec eux dans une entière complicité, les faire participer à l’espace de notre corps.

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