Le 23 mars 2016, à la Cinémathèque québécoise, Samuel Archibald, professeur au Département d'études littéraires de l'UQAM et chercheur du RADICAL, a présenté la projection de A Cabin in the Woods, un film de Drew Goddard, co-scénarisé par Drew Goddard et Joss Whedon (Canada, 2012).
Communauté et violence: c’est la faute de René Girard
En tant que chercheur1 et en tant qu’écrivain, j'ai toujours considéré la communauté comme quelque chose d’instinctivement, non pas mauvais, mais doté d’un arrière-plan vaguement méphitique, néfaste, méchant. Je pense que cette année, quand l’anthropologue René Girard est décédé, j’ai compris qu’au fond, tout ça, c’était la faute de René Girard et que c'est ce dernier qui m’avait fait voir la communauté comme étant fondée sur la violence et fondée, particulièrement, sur le sacrifice.
L’hypothèse centrale de ce penseur, pensée assez radicale en elle-même, tient justement de cette idée que les communautés et les sociétés cachent sous la forme de la culture, des arts et des récits, une violence qui leur est fondatrice. Girard a construit ses hypothèses en fréquentant d’abord la littérature, puis l’ethnologie, en revenant notamment à la mythocritique, c’est-à-dire aux récits primordiaux.
Mon regard se porte beaucoup, ces derniers temps, à la lumière des théories de Girard, sur la culture populaire et sur la nature de son rapport entretenu à la violence sacrificielle décrite autant comme autant chez René Girard. L’hypothèse de base de mon raisonnement tient au fait qu’à partir du 19e siècle, au moment de la césure entre culture savante et culture populaire, la culture savante, contrairement à la grande époque shakespearienne, se déleste un peu de la question de la violence, la regarde un peu moins, alors que la culture populaire s’en empare, mais sans y répondre réellement.
La culture populaire fait le spectacle de la violence, remplit son rôle cathartique -la culture populaire ayant toujours été friande de meurtres, de massacres et de violences en tous genres-, mais elle ne se pose rarement la question de sa propre nature violente, de sa propre nature sacrificielle.
J’en suis arrivé à interroger ces moments où la culture populaire se pose à elle-même la question de sa propre violence. Elle le fait, selon moi, à deux moments: soit lorsqu’elle thématise le sacrifice lui-même, soit lorsqu’elle se fait métafictionnelle et qu’elle interroge ses propres codes. Dans les deux cas, très souvent, ce sont les motifs de la violence, principalement sacrificielle, qui sont donnés à voir.
A Cabin in the Woods: théorie vernaculaire, métafiction et hyperviolence
A Cabin in the Woods réalisé en 2012 par Drew Goddard et co-scénarisé par Joss Whedon, n’est peut-être pas un des plus grands films de l’histoire du cinéma, mais c’est un des scénarios les plus malins et les plus intelligents que j’ai vu dans les dernières années. A Cabin in the Woods, par rapport à cette grande usine à sacrifices qu’est le genre de l’horreur, thématise la logique du sacrifice et interroge les codes de l’horreur, en imbriquant ces mécaniques l’une dans l’autre.
Ce qu’il y a de fascinant dans ce film, c’est qu’il arrive à dépasser ce rapport à la métafiction qu’a souvent entretenu la fiction populaire, c’est-à-dire le jeu du clin d’oeil, qui est l’adage des Simpsons ou des Scream de Wes Craven, dans une logique de pur recyclage. Ce que j’ai beaucoup aimé du film de Goddard, c’est comment, à partir d’un discours essentiellement métafictionnel d’un clin d’oeil à ses propres codes, le film finit par faire une critique de société assez potente de notre ère d’austérité, de notre ère de guerre des drones et de ce que Gilles Deleuze aurait appelé les sociétés de contrôle.
A Cabin in the Woods offre un kaléidoscope absolument fou furieux de références à l’histoire du cinéma populaire et plus spécifiquement à l’histoire du cinéma d’horreur, tout en trichant et en se permettant d’inventer, voire de cabotiner. Ce qui est intéressant, par ailleurs, c’est que, même en n’étant pas un grand adepte de films de genre, on reconnait les codes qui nous sont présentés, selon le concept de «théorie vernaculaire» qu’on retrouve dans les études sur la culture populaire: une théorie qui appartient au spectateur et qui apparait presque par génération spontanée. Choisir Sigourney Weaver, par exemple, pour incarner la figure tutélaire qui explique, à la fin du film, la nature du rituel, est très drôle parce qu’elle incarne, pour reprendre une notion importante de la théorie vernaculaire, la final girl originale, la vierge, qui doit toujours survivre, ou du moins mourir en dernier. Lorsque Sigourney Weaver apparait à la fin du film, les spectateurs reconnaissent immédiatement la final girl d’Alien. Dans cette logique du rituel sacrificiel, celle qui doit mourir en premier, c’est toujours la prostituée, la putain, le film de Goddard rejouant ce côté fondamentalement puritain des slashers, qui provenant de l’époque reganienne, sont une forme plénière des années 1980. C’est cette idée qu’un tueur à masque de hockey puisse faire la morale à notre place et purger la société des jeunes délinquants jusqu'à ce qu'il ne reste que la jeune vierge studieuse. Ce qui est assez curieux, dans l’histoire de la critique universitaire sur le cinéma d’horreur, c’est de voir que les notions, le regard sur les codes, la structure presque invariable de ces films se sont d’abord manifesté chez les fans, chez le public, de manière quasi clandestine, avant qu’ils soient étudiés et repris dans des articles et des livres. Il y a donc quelque chose dans le cinéma de genre, et dans le cinéma d’horreur en particulier, qui tend déjà vers le méta et rend saillante une structure afin de peut-être pouvoir en jouer.
Les incarnations de figures auctoriales dans A Cabin in the Woods sont beaucoup moins sympathiques qu’elles peuvent l'être dans The Truman Show de Peter Weir (1998), par exemple, où le personnage joué par Ed Harris entretient une relation organique avec son personnage. Dans le film de Goddard, on nage dans un cynisme absolu. Ce qu’il y a de plus choquant dans cette posture, c’est qu’on laisse aller le hasard, mais on ne cesse d’en jouer, de le fausser constamment. Tous les moments d’indifférence totale de l’équipe de production mise en scène dans le film, ces réalisateurs-producteurs incarnés, sont littéralement horrifiants: on fait la fête alors que les images en direct de la vierge se faisant battre à mort sur le quai sont diffusées dans la salle où l’on sabre le champagne. Évidemment, il s’agit là d’une critique politique, mais aussi une critique de la politique de l’industrie hollywoodienne. A Cabin in the Woods se fait la parodie féroce des films des décennies 1980-1990, des vieux films slasher dans lesquels un tueur quelconque décimait des adolescents à la campagne. Les films de cette époque se créaient à partir d’un canevas des plus répétitifs et, ces productions rapportant beaucoup à l’industrie d’Hollywood, les réalisateurs ont continué à reproduire ce modèle, peu importe ses aspects pernicieux.
Goddard et Whedon ont réussi à créer un film qui se veut à la fois lettre d’amour au genre, assumant ses codes et ses effets, et à la fois critique de la dégénérescence vers les formes d’hyperviolence de plus en plus accentuées et du cynisme de l’industrie.
Le film, sorti en 2012, démontre bien que cette tendance à l’hyperviolence, non seulement ne s’est pas démentie, mais elle est en train de se décloisonner.
On peut aisément amalgamer la réflexion sur la prospérité pop de René Girard et l’obsession de la mort si présente dans notre culture populaire aujourd’hui, de cette mort presque ritualisée qui se manifeste surtout dans les séries télévisées. Des séries comme Game of Thrones et The Walking Dead brisent le tabou de la mort, tuent leurs personnages principaux et leurs personnages attachants. Cela fait exploser cette hypocrisie des séries classiques comme Star Trek, dans laquelle lorsque Kirk et Spock partaient sur une planète accompagnés d’un personnage qu’on avait jamais vu avant, c’était vraisemblablement qu’il était là pour mourir. Star Trek donnait à ces personnages vides le rôle de mourir: ils étaient là pour ça, jouant le rôle de pion. Pourtant, depuis environ sept ans, les téléspectateurs sont rapidement devenus amo d’un effet d’un grand sadisme, celui de construire des personnages de plein droit, des personnages auxquels on s’attache, pour leur faire connaitre des dénouements, pour les faire littéralement mourir comme des animaux, comme les agneaux du sacrifice. Cette obsession-là se reproduit dans maints autres produits culturels et j’en suis à me demander: qu’est-ce que cette culture qui fait apparaitre des entités fictionnelles seulement pour les torturer? On se trouve devant un sadisme scopique institué: on a formalisé le meurtre au cinéma, la scène de mise à mort, et on avance peut-être vers des abîmes.
Un mot sur Drew Goddard
Drew Goddard est un scénariste, réalisateur et producteur originaire du Nouveau-Mexique. Il a notamment scénarisé les premières saisons de Lost (2005-2008) et a signé les scénarios de Cloverfield (2008) et de World War Z (2013). A Cabin in the Woods est son premier long-métrage à la barre de la réalisation. A Cabin in the Woods a d'ailleurs été récompensé du prix pour le meilleur scénario au Fangoria Chainsaw Awards en 2013 et a été nominé aux Prix Hugo, au Prix Ray Bradbury et aux Saturn Awards en 2013.
Découvrir A Cabin in the Woods
Vous pouvez aller visionner la bande annonce originale du film de Drew Goddard.
Lewis Wallace de la revue WIRED a aussi publié une critique du film à sa sortie en 2012 intitulée «Cabin in the Woods Rips Horror a New One».
Et pour s'amuser un peu, vous pouvez écouter la vidéo de GoodBadFlicks recensant (presque) toutes les références contenues dans A Cabin in the Woods.
Vous pouvez aussi consulter la programmation de la Cinémathèque québécoise pour de plus amples détails sur le film et la projection qui a eu lieu le 23 mars 2016.
- 1. En 2014, Sylvano Santini et moi-même avions dirigé, dans le cadre du programme RADICAL, un séminaire de recherche intitulé «La sémiologie tardive. Penser ensemble, la communauté» pour penser cette question de la communauté.