Dans une étude consacrée aux éléments d’identification identitaires présents dans les textes d’écrivains immigrants, Daniel Chartier a souligné à quel point le rapport de ces auteurs à la spécificité de l’espace québécois (plus particulièrement montréalais) est, dans un premier temps du moins, médiatisé par un discours stéréotypé sur le Nord. Cela permet à ces écrivains, selon Chartier, d’énoncer l’expérience de la nouveauté et de l’altérité de l’espace, mais aussi de revendiquer la participation à l’«expérience collective et fondatrice du froid, de l’hivernité et de la nordicité.» Or, l’analyse de la réception des oeuvres de romanciers ayant émigré au Québec révèle que cette représentation de Montréal est généralement acceptée et validée par la critique. Jacques Allard, par exemple, mentionne l’importance des «lieux opposés du chaud souvenir de l’enfance et de la froidure adulte» dans le Pavillon des miroirs de Sergio Kokis, sans s’interroger sur la nature des représentations convoquées dans le texte. Louise Gauthier, pour sa part, affirme que Le double conte de l’exil, de Mona Latif Ghattas, «traduit bien l’atmosphère de Montréal en novembre, le froid humide, le vent, la pluie, les premiers brins de neige.» D’une manière générale, loin de se distancier de ces représentations convenues de la métropole, les critiques québécois y adhèrent pleinement et entérinent cette «nordification du paysage» qui, non seulement semble aller de soi, mais renforce aussi, dans l’imaginaire commun, la prégnance d’une certaine image stéréotypée de Montréal. Ce constat s’impose avec force lorsque l’on considère le peu d’intérêt manifesté, au contraire, par la critique à l’égard de romans tels que Une femme muette de Gérard Étienne, Passages d’Émile Ollivier et Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer? de Dany Laferrière qui offrent, par rapport à beaucoup d’autres auteurs immigrants, une perspective originale sur l’espace montréalais.
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Cet article a d'abord été publié dans l'ouvrage Topographies romanesques, dirigé par Audrey Camus et Rachel Bouvet (PUR /PUQ) en 2011.
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