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vers une étude des réseaux sociaux

Ce trimestre, je suis un cours en méthodologie de recherche, en vue de déposer mon projet de mémoire en mai. L’un de nos premiers projets  est d’expliquer, en cinq minutes, la problématique qui nous intéresse, et ce que l’on a déjà pu découvrir à son propos. Dans un esprit d’ouverture, je présente ici cette petite introduction à mon projet. En une trentaine de mots, mes questionnements se résument ainsi: 1) qu’est-ce que les réseaux sociaux peuvent nous dire sur le discours social ambiant qui ne se saurait pas ailleurs? et 2) qu’est-ce que la théorie littéraire peut expliquer des réseaux sociaux qui ne s’expliquerait pas autrement?


Définissons nos termes

Par réseaux sociaux (ou ‘social media’), on entend l’ensemble de sites et d’outils en ligne qui permettent aux utilisateurs de publier des images, du texte, des vidéos, etc., et de commenter, partager et éditer les publications d’autres utilisateurs, dans un endroit libre de hiérarchie explicite. Cela s’oppose aux médias traditionnels, où la publication est restreinte à quelques acteurs désignés (l’écrivain dans une maison d’édition, le journaliste dans un journal, le metteur en scène au théâtre) et où il y a une hiérarchie explicite (le journaliste rend son travail au rédacteur en chef qui l’approuve, et qui l’envoie au conseil d’administration pour le faire approuver; la personne lectrice n’est pas libre de répondre directement).

Ici, nous voyons se dessiner une distinction importante: dans les médias traditionnels, on peut parler de la personne lectrice comme ‘consommateur’ de production médiatique, qui a à peu près les mêmes droits qu’un consommateur d’aliments dans un restaurant: on est libre de quitter le restaurant, de plus jamais y revenir, de publier une critique en ligne ou sur papier, mais point d’entrer dans la cuisine et de changer des choses. Le consommateur médiatique est alors passif devant l’oeuvre qu’il lit. Sur les réseaux sociaux, par contre, la personne lectrice est plus proprement considérée comme un ‘collaborateur’. Au lieu de consommer ce qu’on lui sert au restaurant, un collaborateur assiste plutôt à un pot-luck, où chaque invité prépare un plat et tout le monde mange un petit peu des contributions des autres. Ils parlent de leurs créations et s’exposent aux pratiques et aux visions des autres. Le collaborateur médiatique ne peut être qu’actif dans la création de l’oeuvre, qui n’appartient dans sa totalité à personne.


Le cas de Twitter

Jusqu’ici, mes recherches n’ont visé que Twitter. Il y a deux raisons pour cela:

1) Sa simplicité. Sur Twitter, chaque intervention comporte une limite stricte de 140 caractères. Chaque tweet ne peut comporter que quatres fonctions de base: le texte simple (visée de la théorie littéraire, bien sûr), le @profil (qui sert à adresser un tweet à un utilisateur en particulier), le #hashtag (qui sert à insérer un tweet dans le discours entourant un #sujet particulier) et le hyperlien (manifestation pure de que Genette appelle l’intertexualité, c’est-à-dire la présence effective d’un texte au sein d’un autre texte). À ces quatre fonctions de base rajoutent quatre opérations fondamentales: le retweet (où l’on republie verbatim le tweet d’un autre utilisateur), la réponse (qui se fait par la fonction @profil, mais qui permet à Twitter d’afficher à une troisième personne lectrice le tweet auquel on répond, ainsi que la réponse elle-même), le ‘favourite’ (qui désigne au-delà du simple retweet que le tweet en question plaît à la personne qui republie), et l’abonnement (faire afficher les tweets du profil auquel on s’abonne dans son propre flux). Les structuralistes, j’en suis persuadé, auraient eu bien moins de difficulté à formuler leurs théories si la littérature avait adhéré à une structure si nette.

2) Son achalandage. Il y a 500 millions de profils actifs sur twitter. Même si on suppose que les 3/4 (chiffre à confirmer) sont des bots (profils automatisés) ou des sock-puppets (multiples profils alimentés par un seul auteur), cela nous donne quand même 125 millions de personnes uniques dans l’environnement du site. Cela fait quatre fois la population du  Canada et treize fois celle du Québec. Parmi eux, Barack Obama, le Pape, NotACop, et l’astromobile Curiosité – c’est-à-dire des vraies personnes qui entrent en contact avec les personnages inventés. Ça fait bizarre, si ce n’est pas intéressant.


Que sait-on déjà de Twitter?

Beaucoup et pas beaucoup. Twitter se distingue des autres réseaux sociaux, cela on le sait déjà. Sur Twitter, il y a parfois, mais pas toujours, une correspondance entre le nom et l’image du profil et l’identité de la personne derrière le clavier (sur Facebook, ce lien étroit est obligé par les conditions de l’utilisations du site – il faut normalement que ça soit son vrai nom et sa vraie photo sur son profil, et cela tient à 95% (chiffre à vérifier)). Sur Twitter, il y a une limite très stricte du nombre de caractères qu’un message peut comporter (sur Reddit ou Wikipédia, il n’y a pas de telle limite). Sur Twitter, il y a beaucoup de monde (sur Google+, il n’y en a presque pas).

On sait qu’il n’y a pas d’auteur unique sur Twitter. Nous pouvons postuler un ‘texte zéro’ sur Twitter, qui serait la somme totale de tous les messages n’ayant jamais été sur le site. Nous ne pouvons pas observer ce texte, bien que nous pouvons en concevoir son existence. Un texte à auteurs multiples n’est pas quelque chose que l’on trouve souvent dans la littérature traditionnelle – oui, il y a des anthologies (où il est clair que tel auteur a écrit telle partie de l’oeuvre), oui, il y a des romans ayant plus qu’un auteur (où c’est le rédacteur qui est le médiateur entre eux), mais ce n’est pas le même ordre de choses.

On sait que le rédacteur/narrateur est absent de Twitter. Chaque message est publié au nom de son auteur, mais il n’y a pas de superstructure qui vient imposer un sens – la structure de Twitter émerge des messages publiés là-dessus. Il y a des commentateurs qui peuvent a posteriori interpréter la signification de tel ou tel tweet, mais personne qui ne le fait dans une capacité d’autorité, comme le fait le narrateur dans le roman humoristique, qui peut médiatiser entre les différents points de vue qui sont représentés. Dans la littérature traditionnelle, il y a toujours soit un narrateur, soit un rédacteur qui s’assure d’une unité de sens dans l’oeuvre: cette unité est évacuée de Twitter.

So what?

Ce sont juste des petites ébauches de théorie que je me suis permis de publier ici, car le grand travail d’interrogation n’est pas vraiment commencé. Reprenons nos questionnements du tout début:

1) qu’est-ce que les réseaux sociaux peuvent nous dire sur le discours social ambiant qui ne se saurait pas ailleurs?

Ici, il est clair qu’un milieu où peuvent interagir le Pape, le Président, et Curiosity est un milieu fécond pour l’observateur de l’imaginaire contemporain. En mettant ces acteurs sur un pied d’égalité (un profil, une voix, 140 caractères), Twitter permet une interaction libérée en partie des exigences du protocole social qui informe toute interaction dans une société. Moi, en réalité, je prendrais plus que 140 caractères si je m’adressais au Pape, je m’habillerais d’une certaine manière, je me rendrais probablement en Italie pour le faire, je serais entouré d’autres personnes voulant elles aussi lui adresser la parole – bref, c’est une interaction complètement différente de celle que j’ai quand je lui adresse un ‘what’s crackin » en pyjama de ma chambre à coucher. Et, ce qui est de plus, si on se limite à considérer cette interaction dans la twittosphère (et non pas une éventuelle réponse où His Holiness se pointe chez moi pour me dire what’s what, et où les protocoles sociaux normaux s’appliqueront), Sa Sainteté elle aussi est contrainte à me répondre en 140 caractères (peut-être alors qu’il est en pyjama lui aussi).

En fait, la différence entre la médiatisation effectuée entre des individus par les médias traditionnels et celle qu’effectuent les réseaux sociaux, c’est l’instantanéité. Si j’avais voulu  écrire au Pape dans mon pyjama en 1950, j’aurais très bien pu le faire, mais il m’aurait fallu des semaines pour avoir une réponse (imaginant qu’il reçoit mon message et qu’il y répond immédiatement). Maintenant, on parle d’un délai de secondes. Si j’avais voulu dire qu’un journaliste était un crétin en 1950, j’aurais très bien pu le faire, mais il m’aurait fallu une semaine pour voir ma lettre dans le journal (dans une autre section) – si le rédacteur avait décidé de l’approuver et de republier. Les réseaux sociaux nous permettent de voir la réponse sociale à un propos où une idée à peu près en temps réel. Si, enfin, cela ne nous permet pas de comprendre de manière différente, cela nous permet au moins de comprendre plus vite.

 2) qu’est-ce que la théorie littéraire peut expliquer des réseaux sociaux qui ne s’expliquerait pas autrement?

À cette question, je n’ai pas encore de réponse. Les travaux des structuralistes (surtout Barthes) nous permettent de dessiner une idée de la structure de Twitter, et possiblement les réseaux sociaux en général. Les théories de la lecture (chez Eco, par exemple) et l’idée du maître absent (chez Michel Biron?) nous permettent de combler l’absence de narrateur/rédacteur. Le plurilinguisme chez Bakhtine nous permet de comprendre un peu l’impact d’une multitude de perspectives au sein d’une même oeuvre. La théorie du discours social chez Marc Angenot nous donne une idée des différents discours existants et entourants avec lesquels les réseaux sociaux peuvent entrer en contact. Ces théoriciens ont mis en place des réflexions qui expliquent quelques-uns des phénomènes que le lecteur averti remarque sur Twitter.

Il reste à les développer face à un nouvel objet.

(edit: corrections de S. Marcotte intégrées le 22 janv. 16h45)

introduction/accueil

Il n’est jamais facile de commencer ce genre d’affaire: d’afficher son premier article sur un nouveau blogue. Je suis conscient que cet article va informer le ton à ceux qui vont suivre. Il faut alors, dès le tout début,  choisir mes mots soigneusement, pour susciter une ‘bonne’ impression chez mes lecteurs et mes lectrices. Voilà  !  Je féminise, c’est déjà quelque chose. On est plutôt bien parti, me semble-t-il.

Je me présente donc. Je m’appelle Marc Rowley. Je suis un étudiant en première année à la Maîtrise en Littératures francophones et résonances médiatiques à l’Université Concordia. Je suis né en 1988, en Angleterre, et j’ai grandi depuis l’âge de deux ans à Cambridge, en Ontario. En 2006, j’ai déménagé à Waterloo, et mis à part un séjour de huit mois à Nantes, en France, en 2008-09, j’y ai vécu jusqu’à mon déménagement à Montréal le 1 janvier 2011. Je suis la première personne dans ma famille à avoir appris le français, et le seul à le parler maintenant (vous êtes prié.es, donc, d’excuser mes maladresses et mes erreurs, mon ‘accent’ autrement dit!).

Pour cet article d’introduction, je vais aborder très brièvement la question de mon identité culturelle. Qui suis-je, justement, et comment cette identité va-t-elle influencer mes recherches et ma pensée?

Évidemment, c’est une question à laquelle il n’est pas facile de répondre. On peut d’abord établir (et plus facilement) ce que je ne suis pas. Je ne suis pas Anglais, bien que je détienne un passeport britannique. Il ne reste presque aucune trace de l’accent de mes parents dans mon anglais parlé;  quand je rends visite à ma famille en Angleterre, j’ai l’impression d’être un étranger de passage dans le coin, et non pas un exilé.

Je ne suis non plus Ontarien, bien que j’aie grandi dans cette province. J’ai l’impression de partager de moins en moins la manière d’envisager le monde de mes anciens collègues et de mes amis d’enfance  ; il s’agit peut-être d’une idée à développer plus tard, mais je trouve, tristement, que cela devient de plus en plus ‘étasunien’ là-bas, tant au plan de la rhétorique politique que de la culture populaire. Je ne suis pas non plus, bien entendu, Étasunien, bien que je partage leur accent et leur continent (et leur affinité pour le baseball). Quand je retourne en Ontario, soit à Toronto, à Cambridge, ou bien à Waterloo, j’ai encore l’impression d’être de passage, et non pas de faire encore partie du tissu social.

Que me reste-t-il  ? Selon ma carte soleil et ma facture d’Hydro-Québec, je suis sensé être Québécois et, techniquement, c’est le cas. J’ai voté lors des dernières élections, et je crois que je suis établi dans à ‘la belle province’ pour de bon. Mais je ne suis pas Québécois au sens où l’entendent les plus ‘old-fashioned’ c’est-à-dire qu’un Québécois.e est une personne francophone (au lieu de francophile) pur laine (au lieu de ‘nouvel arrivé’). Je suis très conscient qu’il y a une place pour moi au Québec: même le PQ dit que c’est un pays accueillant, moderne, ouvert. Mais en même temps, je suis conscient qu’ici je vois mon futur, et point un reflet de mon passé.

Alors, je n’appartiens ni à ma culture d’origine, ni à celle de mon enfance, ni à celle de mon présent. Qui suis-je, alors  ?

Une réponse se dessine. Je suis Montréalais. Je vis ici, mes amis sont ici (pour la plupart), mon emploi est ici, mes études se font ici. J’adore cette ville parce que je ne suis pas seul à être ‘autre’ en fait, je constate qu’une pluralité importante de Montréalais et de Montréalaises se situent dans la même catégorie d’« Autre  » que moi: en train d’apprendre à  maîtriser le français, en train de s’établir quelque part pour que leurs enfants et leurs petits-enfants auront aient des opportunités que leurs parents n’ont pas eues. Je suis tombé en amour avec la diversité de la ville  une diversité qui fait le pont entre le Vieux-Port et Parc Ex, qui relie (dans l’espace défini qu’i est notre île) le passé et l’avenir. C’est une diversité qui fait le pont entre l’Ancien et le Nouveau Monde, où entrent en contact des pratiques et des croyances venant de partout dans le monde et en histoire.

Alors oui, au plan physique, je suis Montréalais.  Je vis ici, ma vie est ici, et je m’y sens bien. Mais suis-je autre chose aussi  ?

J’ose dire que je suis également Canadien. Je peux m’inscrire dans le registre honorable des personnes étant venues ici pour bâtir une nouvelle vie, même si la décision n’a pas été la mienne, il reste que ce sont mes enfants qui seront Canadien.nes de la première génération. Tout.e Canadien.ne, sauf pour les peuples autochtones, est venu, ou ses ancêtres sont venus, pour construire quelque chose de différent, qui n’aurait pas pu exister dans son pays d’origine: que ce soit une demeure, une chanson, un niveau de vie, ou un widget, on est ici pour innover. Je suis un Canadien responsable, bien sûr, et pour en savoir plus sur ma canadienneté, je vous invite à consulter mon blogue en anglais  : torontrealis.wordpress.com. Je suis fier, en tout cas, d’être citoyen d’un pays composé de nations diverses, où chaque personne est la bienvenue peu importe ses origines.

Donc, ni Anglais, ni Ontarien, ni Québécois, mais un Canadien montréalais. Mais n’y a-t-il pas quelque chose de plus  ?

Effectivement. Mon identité ce n’est pas seulement la transposition des endroits où je vis. Je suis, ce que l’on appelle en anglais, un ‘digital native’– un natif du monde numérique. Ma vie sociale est en contact avec les réseaux sociaux depuis leurs origines au début des années 2000. Sur l’Internet, des questions de race, d’orientation, et d’âge peuvent s’effacer quand elles ne sont pas pertinentes, et il y a juste la qualité de ma pensée qui compte. Je ne suis pas obligé de respecter les normes sociales ni mon ‘rôle’ de jeune diplômé de la manière où ce jeu est attendu dans ma ‘vie réelle’. Je suis libre de me comporter comme je veux, de projeter l’image de moi que je souhaite, et d’entrer en contact avec qui je souhaite pour parler de ce qui nous fait plaisir.

Il y a un espace physique où j’habite, où je fais mes courses, où je prends l’autobus. Il y a des drapeaux, la langue publique, les codes sociaux à respecter. Cet espace physique comporte donc des limitations: il y a certains livres disponibles dans la bibliothèque du coin, d’autres qui sont introuvables. Il y a certains sujets que je peux aborder, certains qui sont tabous. Il y a du marketing partout, des propriétés privées où je n’ai pas le droit d’entrer (même si c’est un bel endroit et une belle journée et que j’ai apporté un petit pique-nique). Mais il y a aussi un espace numérique où je suis libre de suivre mes intuitions et nourrir mon imagination, où les seules limites sont celles qui sont imposées par mes compétences techniques et la taille de mes rêves.

Alors, en fin compte, c’est ce que je suis, ou ce que je pense être, ou au moins d’où je pars. Un Canadien montréalais numérique. Il y a plusieurs contradictions dans cette petite définition de trois mots, des contradictions qui feront bien sûr l’objet de futures recherches. Et le monde numérique ne peut point se résumer dans un petit paragraphe à consonance poétique telle que je l’ai explicité ci-haut. Mais c’est un point de départ, et dans un monde déraciné (et peuplé de plus en plus de personnes déracinées elles aussi) ce que l’on croit être là au départ devient, effectivement, le point de départ.

À suivre.