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Fiction de la vérité, vérité de la fiction. Écrire le 11 septembre

De la vérité à la fiction, de la fiction à la réalité, l’écriture semble ainsi établir les frontières pour mieux les brouiller. Peut-être vient-il toujours un moment, lorsqu’on écrit, où l’on s’interroge sur la vérité. Mais il s’agit d’une vérité relative, liée davantage à une vérité de l’expérience qu’à l’authenticité des faits. Le principe même de la fiction, son exigence, semble nous placer à l’extérieur des choses, dans la distance nécessaire à la transformation du matériau. Mais que se passe-t-il lorsque la distance nécessaire nous semble hors d’atteinte?

Introduction [Les meilleurs vendeurs]

Les «meilleurs vendeurs»: qu’ils appartiennent à une forme littéraire, un mode, ou un genre bien précis ou qu’ils s’inscrivent plus «simplement» dans le champ du roman de grande consommation, les livres qui réussissent à se hisser dans les palmarès dressés religieusement à chaque semaine par les grands journaux, les chaînes de librairies et les autres intervenants du monde du livre sont bien souvent l’objet de cynisme et de critiques a priori, comme si l’engouement commercial et médiatique pour une œuvre remettait inévitablement en question ses potentialités esthétiques et littéraires. Toutefois, les bestsellers ne forment une catégorie que dans la mesure où leur succès commercial leur mérite ce titre, ce qui relève d’une entrée dans la catégorie a posteriori. Comment alors penser le meilleur vendeur en littérature autrement que par une posture critique négative, atrabilaire, d’emblée convaincue de la médiocrité de ces œuvres?

Best-sellers: sur les traces d’Hermès

Qu’y a-t-il de commun entre «Harry Potter» de J. K. Rowling, le «Da Vinci Code» de Dan Brown, la saga «Twilight» de Stephenie Meyer et les polars de James Ellroy? Ils sont tous à la tête des listes des ventes. Alors, la question qui s’impose est la suivante: Pourquoi? Pourquoi ces livres plaisent autant au public? De quoi un best-seller est-il fait? La réponse est sans doute multiple. Un texte qui se place à la tête des ventes fait souvent l’objet de critiques. On le taxe d’artificialité et de superficialité; c’est-à-dire, d’appliquer des recettes avec le but de plaire à un public aussi large que possible. Cette vision, cynique et assez répandue, manque de rigueur et ne suffit pas pour expliquer les motifs d’un succès d’édition. Mon hypothèse est qu’un texte devient un best-seller parce qu’il réussit à traduire le fonctionnement intime, l’essence profonde de son époque.

Pour en finir (une fois pour toutes?) avec Stephen King

C’est à Stephen King que je dois mes premiers émois de lecteur de romans. J’ai lu «The Shining» (1977) en cachette à onze ans; premier roman que je lus de ma propre initiative, dans une ambiance grisante de secret et de clandestinité. Je ne conçois toujours pas de meilleure porte, aujourd’hui, pour entrer dans le monde de la littérature que celle-là: montrez-moi un lecteur assidu de Beckett et de Proust, et je vous montrerai un adolescent qui a fait ses premières classes littéraires en lisant des auteurs comme King. Mais la suite de l’histoire se complique. Au cours des six années suivantes, j’ai lu du King à m’en écœurer. Et c’est à «It» (1986) que revient le mérite de m’avoir écœuré de ses histoires pour de bon. Depuis It, King semble publier ce qu’il veut, allongeant au kilomètre des romans plus ou moins bien ficelés, dans une apparente absence de contrôle éditorial, lui permettant de devenir une industrie à lui tout seul. Son nom fait confortablement recette, même si son imaginaire n’a pas su imposer à l’horreur moderne des figures aussi marquantes, iconiques, que celles de ses débuts.

Meilleurs vendeurs et Fidèles Lecteurs

Mais existe-t-il un lecteur type pour les meilleurs vendeurs? Répondre par l’affirmative serait réducteur, puisqu’on assimile ainsi une frange de la population à un type de lecture bien précis. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’auteurs qui développent une base de lecteurs qui suivent avec attention la sortie d’un nouveau roman. Chez King, le fan a un statut particulier. L’appellation «Constant Reader» illustre très bien, selon nous le rapport que King entretient avec ses fans. En effet, il est parfaitement conscient que, sans le (Fidèle) lecteur, son art ne peut exister.

Des faits et des mythes, la création de faux-authentiques chez Dan Brown

Dan Brown a, en quelque sorte, transformé le cadre et du coup les horizons d’attente des lecteurs. Le lecteur sait qu’il a acheté un roman et pourtant, par l’entremise des deux pages présentant «les faits», il y a une remise en question des attentes. Où est le vrai? S’agit-il seulement d’un roman historique, puisque l’auteur nous rappelle qu’il s’agit de faits «avérés», qu’«on peut encore les admirer» (même les bâtiments du CERN) et que même la «Confrérie des "Illuminati" […] a aussi existé»? Le «aussi» apparaît être plus qu’un adverbe, c’est surtout l’élément qui permet de valider l’ensemble des propos comme vrai. Par cette manipulation adroite, Brown dirige son lecteur, mais surtout fabrique des faux-authentiques.

Introduction [Daniel Clowes]

Daniel Clowes est certainement l'un des bédéistes les plus populaires du courant du «Alternative Comics» américain apparu au milieu des années 1980. Élevé aux bandes dessinées de super-héros et ayant par la suite refaçonné sa sensibilité artistique en fréquentant l'oeuvre de Robert Crumb, Clowes est très connu du grand public, notamment grâce aux adaptations au grand écran très réussies de «Ghost World» (2001, nominé pour un Oscar dans la catégorie «Meilleur scénario adapté») et «Art School Confidential» (2006), réalisées par Terry Zwigoff. Bien que très appréciées, les oeuvres de Clowes sont loin de donner dans la facilité: en dépit de son écriture efficace et de son dessin limpide, le bédéiste créé des récits qui ne dévoilent pas tous les tenants et aboutissants, et baigne ses personnages dans une atmosphère nourrie de cynisme, de mélancolie et d'aigreur, l'humour s'y déclinant en des teintes de jaune et de noir.

Le syndrome de Stockholm. Daniel Clowes et l'équivocité

Lire une des bandes dessinées de Clowes est un peu comme jouer au jeu du bunto (également appelé jeu des gobelets): on sait que l’objet est bel et bien caché sous l’un des trois contenants, mais on sait aussi que la personne qui s’occupe de les brasser est très habile, et que si d’aventure on parvenait à le trouver, ce serait peut-être seulement parce que la personne qui permute les gobelets à une vitesse sidérante nous a laissé gagner, afin de nous inciter à jouer à nouveau. C’est une manipulation de haute voltige, à laquelle nous donnons notre assentiment même si l’on se doute bien que les dés sont pipés.

Daniel Clowes. La ligne autoréflexive

Loin d’être une simple suite d’effets esthétiques, l’hétérogénéité graphique dans «Ice Haven» interroge en profondeur le support et plus précisément les possibilités de narration de la bande dessinée. Clowes fait reposer la narration de son album sur deux procédés narratifs différents: il allie l’économie du «strip» de presse aux possibilités de développement qu’offre l’absence de format arrêté du roman graphique. Le format horizontal et la référence au «strip» de presse, qui entrent en rupture avec une bonne part du corpus de l’auteur —qu’il interroge volontairement ou involontairement la généalogie du neuvième art— renvoient inévitablement à tout un pan de l’histoire de la bande dessinée américaine, à une narration qui se construit sur une logique d’efficacité: l’espace réduit, longtemps réservé aux «strips» quotidiens des journaux, comme le nombre de vignettes et la quantité restreinte de texte devaient à la fois faire avancer l’histoire, développer intrigue et personnages, tenir le lecteur en haleine jusqu’au lendemain et garder une certaine indépendance.

Un monde fantôme

Du monde fantôme au médium d’apparition et à la case spectrale, du brouillard de la mémoire à l’élément graphique-souvenir, des images du monde flottant à l’écoulement d’images, du «hanteur sous la pluie» au «eavesdropper», ces différents concepts s’enchaînent, tressent un réseau de sens pour tenter de définir un médium dont l’impalpable définition semble justement toujours résider dans l’entre-deux, au propre comme au figuré.

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