Énorme, énormiste
Définition
«Ce qui caractérise mon travail, c’est qu’il procède par cercles concentriques. Il y a le cercle de la pensée (les essais), le cercle de l’expérience vécue le long d’itinéraires (les livres de prose) et le cercle des poèmes proprement dits. De plus, ces cercles sont en perpétuelle évolution et influent l’un sur l’autre. On ne comprend pas ce qui est en jeu si on n’essaie pas de rentrer dans le mouvement total de l'œuvre. Ce qui est en jeu est énorme. Ce qui veut dire à la fois immense et hors normes», Le lieu et la parole, p. 119.
Citations
«La poésie veut quelque chose d'énorme disait Diderot (c'est mon côté encyclopédique). Travailler énormément, c'est essayer de sortir des normes, afin de vivre plus. Ça se situe à la fois dans le domaine du savoir, où j'essaie d'opérer des synthèses inédites, et dans le domaine de la psychologie, où j'essaie de me déconditionner, afin d'arriver à une vision claire du monde», Le poète cosmographe, p. 118.
«Une partie de mon travail, c'est de créer, de participer à la création d'autres normes. Travail é-norme», Le poète cosmographe, p. 175.
«Il me semble […] qu'il y a toujours eu dans la mentalité écossaise, dans la littérature écossaise, quelque chose d'extravagant […]. Il y a les errants. Il y a aussi le substratum écossais, ceux que j'aime appeler les énormistes» […]. Si les extravagants sont mes frères, les "énormistes" sont mes cousins", «Dans le sillage de Kentigern», Université de Bretagne occidentale, Triade, n°2, 1996.
Cheminement critique
«Il applique fréquemment ces termes à des écrivains d'origine celte ou à des héros de fictions écossaises (ainsi du romancier Smollett et de ses personnages). Les créateurs celtes favoris du poète sont plus ou moins des hors norme, "é-normes", parce qu'il sont des forces de la nature et de la culture, qu'il s'agisse d'un Urquhart de Cromarty surtraducteur de Rabelais, plus rabelaisien que son modèle, d'un Byron ("à demi écossais de naissance, entièrement écossais par l'éducation"), d'un Carlyle qui fut avec Coleridge le passeur du romantisme allemand en direction des transcendantalistes américains ou d'auteurs contemporains tels que l'Irlandais Yeats, le Gallois John Cowper Powys, l'Ecossais Hugh MacDiarmid; mais aussi d'un personnage aussi polyvalent que le naturaliste et sociologue Patrick Geddes qui a étudié à Roscoff et enseigné simultanément ou presque en Inde et à Edimbourg avant de fonder à la fin des années 20 un Collège des Ecossais à Montpellier. Ce sont tous des "polymathes", des penseurs pluridisciplinaires, voire transdisciplinaires, de grands érudits et des innovateurs dans tous les domaines de la culture. Extravagant, énormiste. Sans rupture de sens, White passe de "énorme" à "é-norme", hors de la norme ou des normes. Il s’agit toujours d’"extra-vaguer", c’est à dire de sortir des espaces mentaux reçus dans notre culture comme normaux et conformes», Michèle Duclos, Horizons de Kenneth White, p. 17.
Référence (voir aussi)
Principales occurences
Une apocalypse tranquille, p. 34; Le lieu et la parole, p. 119; Le poète cosmographe, p. 118, 175; Géopoétique et sciences humaine, coll. «Latitudes», n°6, p. 18; Triade, n°2, 1996.
Érotocosmologie, érotocosmologique
Définition
Néologisme (du grec).
«Cela m'est arrivé de parler d'un rapport entre "eros, logos et cosmos", et même, plus grotesque, d'érotocosmologie, qui serait la tentative de suivre les courbes du monde, de penser la sinuosité des choses, la fluidité de l'univers, du multivers», Goéland poésie, n°1, 2003, p. 15.
Citations
«Que l'eros fasse partie du voyage, c'est certain. Mais à l'eros s'ajoute le logos, et le logos s'ouvre sur le cosmos. En un mot - un mot de taille! - le voyage entier est érotocosmologique…», Une stratégie paradoxale, p. 199.
«Avec un humour peut-être similaire / je me suis appelé / à différentes époques et dans des contextes divers / Maître de Désagrégation au collège Archipélagique / ou / Professeur d'Érotocosmologie à l'Académie des Goélands», Les rives du silence, p. 265.
«A "eros" et "logos", j'ai par la suite, comme tu le sais, ajouté "cosmos". Ces trois mots grecs me paraissent tout résumer. L'eros a peut-être quelque peu manqué à Thoreau... mais si peu qu'il me semble vraiment représenter une "érotologie cosmique". Tu connais mon goût des mots extravagants!», postface à l’ouvrage: Gilles Farcet, Henry Thoreau, l'éveillé du Nouveau Monde, Sang de la terre, 1986, p. 305.
«Il n'est pas question en effet de stocker de l'information au sujet du cosmos ou d'autre chose ("recherche") mais d'effectuer une enformation à l'intérieur même du cosmos (poesis) l'unité finale constituant l'articulation eros-cosmos-logos», In'hui, p. 10.
Commentaires
Cheminement critique
Frédéric Dufourg, «De l’homme unidimensionnel au cosmo-érotisme» dans Le monde ouvert de Kenneth White, p. 139-145.
Référence (voir aussi)
Principales occurences
L'esprit nomade, p. 252; La figure du dehors, p. 50; Le livre des aîmes et des hauteurs, p. 30; Le local et le global dans l'oeuvre de Kenneth White, p. 503; Limites et marges, p. 53; «Petit album nomade», p. 191; La route bleue, p. 93; Les rives du silence, p. 265; Richard Texier. Latitude atlantique, p. 64; Une stratégie paradoxale, p. 199; postface à l'ouvrage: Gilles Farcet, Henry Thoreau, L'éveillé du Nouveau Monde, Sang de la terre, 1986, p. 305; Autre Sud, n°45, juin 2009, p. 34; Cahiers de géopoétique, n°6, p. 83; Goéland poésie, n°1, 2003, p. 15; In'hui, p. 10.
Espace du dehors
Définition
«Il y a donc un espace du dehors qui reste à trouver et à définir. Tant que nous n'y serons pas parvenus, nous irons vers un enfermement et une platitude grandissante, à l'intérieur de laquelle l'art ne sera qu'un reflet de la médiocrité. Cette complaisance à se montrer petit, étriqué, est aujourd'hui tout à fait évidente dans nombre de romans. Mon travail poétique fondamental consiste à découvrir cet espace du dehors; et seuls peuvent, à mon avis, le faire, les poètes-penseurs-existentiels», postface à l’ouvrage: Gilles Farcet, Henry Thoreau, l'éveillé du Nouveau Monde, Sang de la terre, 1986, p. 300.
Citations
«J'aime, au contraire, que la perspective soit presque nihiliste. C'est la raison pour laquelle il m'a fallu peu à peu inventer mon propre vocabulaire afin de parler de cela. J'utiliserai donc des expressions telles que "espace du dehors", "surnihilisme"...», Filigrane 2, p. 110.
«Toute société a besoin de figures du dehors. Il y a une figure du dehors dans chaque vrai poète. Toutefois, la poésie dans son ensemble ne représente pas, malheureusement, un espace du dehors. Elle n’est, la plupart du temps, qu’une lamentation, l’expression personnelle de gens qui se sentent mal à l’intérieur, dans le dedans d’eux-mêmes», postface à l’ouvrage: Gilles Farcet, Henry Thoreau, l'éveillé du Nouveau Monde, Sang de la terre, 1986, p. 299.
Cheminement critique
«Le soi, la partie la plus cachée, vitale de la psyché, ne se perçoit qu’au dehors, et c’est à juste titre que l’on peut parler de "figure du dehors". Le propre de la démarche géopoétique, est de saisir dans l’univers des choses, du paysage, la matrice, le contenant de notre fonctionnement psychique qui est représentable, entre autres, sous la forme du paysage archaïque. Nous avons ainsi un renversement du fonctionnement psychique: ce qui est le plus à l’intérieur est inaccessible par le dedans, mais il est par contre représentable comme "figure du dehors", c’est-à-dire comme forme organisatrice de notre fonctionnement psychique». Jack Doron, «L’appel du vide» dans Le monde ouvert de Kenneth White, p. 98.
Dans son approche psychothérapique, Jack Doron a recours à des représentations mentales sous formes de dessins symbolisant des cartographies de la psyché: «On peut dire ainsi que cet outil, qui est une des matrices de notre représentation de l’espace, se crée, d’un point de vue psychologique, dans une rupture de la connaissance corporelle de l’espace. C’est ce processus cognitif analogique qui va nous permettre, en utilisant un outil, de saisir de manière holistique un espace familier ou inconnu et d’élaborer une stratégie de déplacement ou d’appropriation. Dans la représentation que nous pouvons avoir du monde, la carte est une interface entre l’espace du dedans et celui du dehors». «L'appel du vide» dans Le monde ouvert de Kenneth White, p. 111.
Référence (voir aussi)
Principales occurences
Filigrane 2, p. 110; postface à l'ouvrage: Gilles Farcet, Henry Thoreau, l'éveillé du Nouveau Monde, Sang de la terre, 1986, p. 299-300.
Euramérasie, euramérasiatique
Définition
Néologisme par contraction (mot-valise).
«Or, on sait que pendant que l'Occident vivait replié sur lui-même, dans tout le "monde blanc" du Nord, les communications ne se sont jamais interrompues: entre l'Amérique du Nord-Ouest et l'Asie du Nord-Est, par exemple. Il faut parler là en termes euramérasiatiques. Il se peut d'ailleurs que les Celtes aient été en contact avec cette culture sub-arctique, ce qui expliquerait les correspondances entre mythes amérindiens et mythes celtes, de même que les communications dans tout ce monde circumpolaire expliquent les affinités étonnantes entre poésie amérindienne, poésie esquimaude, poésie celte et poésie japonaise», Le poète cosmographe, p. 23.
Citations
«C'est pourquoi, il est de nouveau nécessaire de trouver un espace. Pour moi, il ne peut qu'être euramérasiatique. Et il ne s'agit plus seulement de la langue anglaise. La culture de demain sera mondiale ou ne sera pas», La figure du dehors, p. 134.
«Mes images premières viennent de mon territoire original, qui couvrait 5 km² à l'ouest de l'Ecosse. C'est en partant de là que je suis arrivé en Euramérasie [...] Grâce à un approfondissement, un espacement, mes 5 km² sont devenus l'Euramérasie. Rien d'"exotique", une expression naturelle», Le poète cosmographe, p. 79.
«L'Euramérasie, c'est mon continent spirituel», Le poète cosmographe, p. 195.
«A mon avis plusieurs régions peuvent contribuer, donner des matières, des énergies à cet espace... Une certaine Amérique, un certain Orient, des aspects cachés de l'Europe, toute une culture celte souterraine par exemple... Tout ça est lié dans mon esprit. J'essaie d'ouvrir un espace que j'appelle euramérasiatique: Europe, Amérique, Asie - parce qu'à la limite tout cela est lié. Si on va au nord-est de l’Europe, il y a un tout petit détroit à traverser pour arriver en Amérique. Si on va à l’ouest de l’Amérique on a le Japon. Tout est lié…», Fanal, p. 15.
Commentaires
Une carte de l'espace euramérasiatique se trouve reproduite dans la revue Cosmose consacrée à Kenneth White (n°10-11, printemps 1980, p. 19). Elle est reproduite également dans Le monde blanc et White signale en note: «La carte de l'Euramérasie a été dressée par moi-même il y a des années», (Le monde blanc, itinéraires et textes, p. 78).
Voir aussi «Errances en Euramérasie», entretien avec Daniel Curtis dans la revue Peuples et Continents (repris dans Le poète cosmographe, p. 51).
Cheminement critique
Michèle Duclos: «Ce n'est pas une civilisation qui l'intéresse, mais un monde, qu'il s'agit d'atteindre à travers un plus vaste "continent": l'Euramérasie: "J'étais obsédé de l'idée de monde, de 'nouveau monde'". Avec l'Amérique comme référence, mais seulement comme référence, aucunement comme modèle ou comme but. Je n'y voyais, sur le plan général, qu'un énorme échec, tout en m'intéressant à des surgissements d'énergies premières ici et là, (Cahiers de géopoétique, n°4, p. 32)», Kenneth White, nomade intellectuel, poète du monde, p. 145.
Référence (voir aussi)
Principales occurences
La figure du dehors, p. 129, 134, 139; Le monde blanc, itinéraires et textes, p. 78; Le lieu et la parole, p. 25; Le poète cosmographe, p. 23, 79, 117-118, 145, 195; Le passage extérieur, p. 247; Revue de belles-lettres, p. 83; Fanal, p. 15; Cosmose, n°10-11, printemps 1980, p. 19; In'hui, p. 5.
Extravagant, extravaguer
Définition
«L'adjectif "extravagant" me trottait donc aussi dans la tête (du latin extra, et vagans, participe présent du verbe vagare, "errer"), et je l'ai retrouvé chez Thoreau, lequel était un excellent latiniste…», postface à l’ouvrage: Gilles Farcet, Henry Thoreau, l'éveillé du Nouveau Monde, Sang de la terre, 1986, p. 298.
«J'entends évidemment le mot "extravagant" dans son sens étymologique extravagare, "errer en dehors" - en dehors des cloisonnements théoriques et parfois d'un excès de technicité qui a tendance à se substituer à la pensée», Géopoétique et sciences humaines, coll. «Latitudes», n °6, p. 8.
Citations
«A vie extravagante (en dehors des ornières) langage extravagant», Goéland, Atlantique Nord, n°1, printemps 2003, p. 11.
«Il commence [Le poète lettré] à penser en termes de "logique érotique", et à inventer des vocables extravagants tels que "chaoticisme", "biocosmographie"…», Le plateau de l'albatros, p. 51.
«J'ai même "traduit" Heidegger en haïkus. Peut-on extravaguer plus que cela?», L'ermitage des brumes, p. 39.
«Pour cela, il faut extravaguer en dehors des enclos et des conventions littéraires, arriver à un autre contexte, à une conjonction inédite entre l'esprit, l'espace des phénomènes et l'écriture, tout en restant résolument "sur terre"», préface à Thoreau, Couleurs d’automne, p. 20.
«Les transcendantalistes n'étaient pas des technologues de l'intelligence, ce furent des chercheurs, des chercheurs extravagants, qui cherchaient un nouvel espace de vie et de pensée, ainsi qu'un langage pour l'articuler», L'esprit nomade, p. 91.
«Le penseur extravagant occidental, comme l'écrivain-voyageur occidental (et ils peuvent se trouver réunis dans la même personne) finissent, s'ils vont jusqu'au bout de leur chemin, par voir eux aussi dans le Vide», Frontières d'Asie, p. 34.
Commentaires
Dans un chapitre consacré à la vie et l'œuvre de Frédéric Le Play, White précise sa conception de l'extravagance: «aller rapidement d'un domaine à l'autre, ouvrir un éventail de possibilités, avancer des concepts fertiles, élargir les conceptions du monde», Une stratégie paradoxale, p. 183. Cette conception rejoint celle du maître du baroque, Eugénio d’Ors: «Nécessité de l'exil [...] oui, mais je dirais plutôt nécessité de l'extravagance. Ce qui nous ramène à Eugénio d'Ors qui dit que l'extravagance n'est pas un "simple libertinage", comme peuvent le penser des esprits "sérieux", mais "gravitation vers un centre différent". J'aime beaucoup ce vocabulaire "cosmique"! Nous en sommes sevrés depuis si longtemps», Le poète cosmographe, p. 61.
Dans la revue Cosmose, l’auteur s'est même défini ainsi: «[...] et moi je m'appellerais un Ecossais extravagant!» (p. 74)
Cheminement critique
Gilles Farcet, «L’individualiste cosmique et ses extra-vagances», Rivages, p. 47.
Référence (voir aussi)
Principales occurences
Une apocalypse tranquille, p. 65, 128; Les affinités extrêmes, p. 134, 207; L'ermitage des brumes, p. 26; L'esprit nomade, p. 20, 39, 91; La figure du dehors, p. 43, 48, 87, 132; Le lieu et la parole, p. 32, 111; Le plateau de l'albatros, p. 51, 200, 215, 233; Le passage extérieur, p. 41, 57; Le poète cosmographe, p. 61, 93, 107, 117, 141, 148; Une stratégie paradoxale, p. 154, 183, 187; Frontières d'Asie, p. 34; Le visage du vent d'est, p. 11; Goéland, Atlantique Nord, n°1, printemps 2003, p. 11; Géopoétique et sciences humaines, coll. «Latitudes», n°6, p. 8; postface à l'ouvrage: Gilles Farcet, Henry Thoreau, l'éveillé du Nouveau Monde, Sang de la terre, 1986, p. 298; préface à Henry David Thoreau, Couleurs d'automne, Éditions Premières pierres, 2001, p. 20.
Erotocosmologie: c'est également le titre d'un chapitre de L'esprit nomade (p. 176).
L'auteur utilise ce terme avec facétie et une certaine extravagance: «Je déteste ces petits mots tels que "Dieu", "âme", et à un degré moindre "patrie" car ils ont fait beaucoup de mal. C'est la raison pour laquelle j'utilise des mots grotesques qui ne peuvent faire de mal à personne: "érotocosmologie", par exemple! Voilà un mot inoffensif, mais qui peut faire rire, et c'est bien ainsi», Filigrane 2, p. 116.
Fondamentalement, ce qui est en jeu à travers cette notion c'est un véritable changement de paradigme: «Pourrait-on envisager un renouvellement d'eros, de logos, et de cosmos grâce à ce qu’un physicien et un philosophe des sciences, Ilya Prigogine et Isabelle Stengers (La nouvelle alliance), utilisant une phrase sans se rendre tout à fait compte sans doute de sa portée possible, appellent "une écoute poétique de la nature"?», L'esprit nomade, p. 67.