Scotus vagans, homo scoticus erraticus
Définition
«Scot. J'aime l'étymologie qui donne à ce mot le sens de "errant". Oui, c'est bien cela. L'Ecossais extravagant (extra-vagans, qui erre au-dehors). Scotus vagans. Errant, mais suivant plus ou moins obscurément une orientation fondamentale», Dérives, p. 178.
Citations
«Quant aux voyages, on parlait tout à l'heure des vieux celtes, la pratique ascétique, méditative des anciens celtes c'était justement la pérégrination. C'est Brandan qui s'embarque et part n'importe où. J'ai ça en moi, j'appelle ça l'homo scoticus erraticus, anthropologiquement, c'est l'Ecossais errant, le Scot errant et on rencontre ça jusque dans le Melville de la baleine blanche…», Fanal, p. 10.
«C'était un de ces voyages surnihilistes / comme seul un Scot extravagant / ou peut-être un Grec ou un Russe / peut en faire», Atlantica, p. 115.
«Et il y a eu le fameux Scotus Vagans du Moyen Age, allant à pied de ville en ville, d'université en université», Le poète cosmographe, p. 164.
Commentaires
Cheminement critique
«Dans la tradition scoto-celtique (et européenne), le terme Scotus Vagans (que White traduit en en renforçant et en prolongeant la sémantique par "Ecossais extravagant"), désignait les moines ou étudiants qui au Moyen Âge et à la Renaissance fréquentaient les universités du continent pour y apprendre ou pour y enseigner. White s'est parfois référé à cette coutume pour expliquer son départ d'Ecosse, un "exil" de motivation purement culturelle qui l'a amené à venir vivre et travailler au pays de Montaigne, de Rimbaud, de Segalen, d'André Breton, d'Artaud, de Caillois, mais aussi de Mac Orlan et de Delteil... et la liste est loin d’être limitative», Michèle Duclos, «Kenneth White, un Ecossais extravagant» dans Horizons de Kenneth White, p. 16. Voir aussi: Michèle Duclos, Kenneth White, nomade intellectuel, poète du monde, p. 59-66; Olivier Delbard, Les lieux de Kenneth White, p. 128.
Référence (voir aussi)
Principales occurences
Atlantica, p. 115; Dérives, p. 178; Le poète cosmographe, p. 164; Le passage extérieur, p. 97; Fanal, p. 10.
Séminaire Orient-Occident
Définition
«Lecteur, à un moment donné, à l'université "gauchiste" de Paris-VII, j'avais pu introduire dans le contexte de l'éducation nationale, par la porte de derrière si je puis dire, un séminaire qui s'intitulait officiellement "Orient-Occident" et, plus familièrement, "Séminaire du Vieil Etang" (d'après Basho) ou "Séminaire de la Montagne Froide" (d'après Han Shan). J'y convoquais tous les "étrangers au monde" de l'Occident, les mettant en rapport avec les "extravagants" de l'Orient», Les affinités extrêmes, p. 207.
«A l'intérieur d'une université parisienne, j'ai fondé le séminaire Orient-Occident. A travers une suite d'espaces: "la forêt profonde", "le bosquet de bambous", "le vieil étang", "les hauteurs blanches", nous sommes allés, des années durant, de la logique de Nagarjuna au haïku de Basho, en passant par les dix-mille chants de Milarépa», Une stratégie paradoxale, p. 159.
«Dans les séminaires que j'ai dirigés pendant des années à Paris, le "Séminaire Orient-Occident" à Paris VII, connu familièrement sous les noms de "Séminaire de la Montagne froide", ou "Séminaire du Vieil Etang", et le Séminaire "Poétique du Monde Ouvert" à Paris IV, qui est devenu graduellement un séminaire de géopoétique, je procédais d'une manière encore plus radicale. Je commençais au début de chaque série de séances par un travail négatif, pour déblayer le terrain. Les gens étaient réduits au degré zéro. C'est à partir de là que je proposais une nouvelle carte mentale», Le champ du grand travail, p. 34.
Citations
Extrait d’un entretien avec Erik Sablé, où celui-ci interroge White à propos du «Séminaire de la Montagne froide»: «C'était, c'est sûr, le lieu d'une grande jouissance intellectuelle… […] C'était un des noms familiers que je lui avais donnés, parce que je venais chaque semaine des Pyrénées où je lisais beaucoup Han Shan. L'autre nom familier de ce séminaire était "le séminaire du vieil Etang", qui était une allusion au célèbre haïku de Basho où il est question d'un vieil étang et du bruit que fait une grenouille en sautant dedans. Mais on peut y lire aussi, de manière plus latente, "séminaire du vieil étant" (nous travaillions, entre autres, la notion d'"être"). Parfois je partais de l'Occident pour aller en Orient, parfois de l'Orient pour aller en Occident : de Heidegger à Basho, de Li Po à Whitman... Je faisais beaucoup plus que de la "littérature comparée". Je travaillais dans un esprit synthétique. Je faisais des synthèses abruptes, en parlant, par exemple, de celtaoïsme. Je faisais des transpositions, des translations d'un monde à l'autre. J'ai même "traduit" Heidegger en haïkus. Peut-on extravaguer plus que cela?», L'ermitage des brumes, p. 38.
«En ce moment, et depuis quelques années, je fais un cours de poésie américaine ("l'ouverture du champ") et je dirige un séminaire Orient-Occident (exploration de logiques et de poétiques)», In'hui, p. 57.
Commentaires
Voir le témoignage de White sur cette période dans L’ermitage des brumes (p. 38-39).
Cheminement critique
Anne Bineau a recensé les nombreux séminaires animés par Kenneth White: «Ces séminaires de recherche eurent pour noms successifs, entre autres, "séminaire Wakan" (à Pau), en hommage, on l'a vu, au monde amérindien; "séminaire de la Montagne froide" (Université Charles-V à Paris), en hommage au poète chinois Han Shan, dont le nom signifiait précisément "Montagne Froide"; "Séminaire du Vieil Etang" (Université Charles-V à Paris), en hommage au poète japonais Bashô. Quand j'ai commencé à suivre les cours de Kenneth White à la Sorbonne, en 1985, ils avaient pour noms "East-West Synthesis" et "Poétique du monde ouvert". A propos de ces séminaires, je renvoie le lecteur au témoignage de Georges Amar, "White Seminar" (le titre est en anglais, mais le texte en français) dans Le monde ouvert de Kenneth White, p. 125-141. Je signale qu'il existe pour les années 1985-1994 des cassettes enregistrées de ces séminaires déposées au fonds Kenneth White à Bordeaux[1]", Horizons de Kenneth White, p. 60. Voir aussi Michèle Duclos, Kenneth White, nomade intellectuel, poète du monde, p. 168.
[1] Le fonds Kenneth White est accessible maintenant à l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine) en Normandie.
Référence (voir aussi)
Principales occurences
Les affinités extrêmes, p. 207; L'ermitage des brumes, p. 38-39, 87; Le champ du grand travail, P. 34; Le lieu et la parole, p. 19; Le poète cosmographe, p. 51; Une stratégie paradoxale, p. 16, 159; In'hui, p. 57.
Surnihilisme
Définition
Néologisme: «Le nihilisme, qui frappe l'Occident vers la fin du XIXe siècle, c'est la perte des valeurs, des structures, des critères. Certains s'y complaisent, ce sont tous les marchands du n'importe quoi. D'autres réagissent, prêchent le retour au patrimoine mythique, aux systèmes purs et durs. Le surnihiliste se situe ailleurs. Pour lui, le nihilisme n'est pas entièrement négatif. Il peut constituer un point de départ, un terrain de décollage. C'est sans doute ici que White est le plus proche de Nietzsche, mais en évitant les excès de celui-ci. C'est dans ce contexte aussi qu'il s'intéresse au bouddhisme, mais en tant que logique (négativiste: ni ceci, ni cela) non en tant que religion. Voir, par exemple, Le visage du vent d'est», «Lexique géopoétique», Poésie 98, octobre, n°74, p. 15.
Citations
«Nietzsche, lui, va jusqu'au bout de la nuit nihiliste, et débouche, y perdant la tête, dans ce que j'appellerais un surnihilisme», La figure du dehors, p. 76.
«Ce que dit le koan, c'est donc que si l'on est vraiment centré, l'on voit au centre, non pas le Bouddha, non pas le Moi, non pas une Pensée, mais une vacuité, un néant. Il ne s'agit pas de nihilisme, d'absence de contenu positif, mais, pourrait-on dire, de surnihilisme (la nouvelle présence qui surgit de la négation). Une vacuité, un néant, un espace que sans doute on aurait tort de trop substantialiser», La figure du dehors, p. 232.
«J'aime, au contraire, que la perspective soit presque nihiliste. C'est la raison pour laquelle il m'a fallu peu à peu inventer mon vocabulaire afin de parler de cela. J'utiliserai donc des expressions telles que "espace du dehors", "surnihilisme"...», Filigrane 2, p. 110.
Commentaires
Dans Scènes d’un monde flottant, White décrit son cheminement intellectuel en cinq étapes:
«Christianisme (sauvage et christique, pas jésuitique).
Humanisme (révolté, pas conventionnel et classiciste).
Egoïsme (transcendental, pas borné).
Nihilisme (négativiste et joyeux, pas désespéré).
Surnihilisme (atopique, pas défini, en cours)» (p. 110).
On peut lire dans Une apocalypse tranquille un chapitre consacré à Cioran dans lequel White indique l'origine bouddhiste du surnihilisme en se référant aux textes du Mahayana (p. 110).
Cheminement critique
Michèle Duclos commente: «Sans cesse le poète lance un pont lexical entre ses propres vocables et la terminologie immuable du bouddhisme: "C'est le surnihiliste qui se reconnaît tout de suite en Asie, car l'Asie est passée par le nihilisme des siècles avant nous. Le bouddhisme est un surnihilisme (Le poète cosmographe, p. 56)"», Kenneth White, nomade intellectuel, poète du monde, p. 174. Voir aussi: Olivier Delbard, Les lieux de Kenneth White, p. 186; Pierre Jamet, Le local et le global dans l'oeuvre de Kenneth White, p. 32-39.
Référence (voir aussi)
Principales occurences
Une apocalypse tranquille, p. 110; L'ermitage des brumes, p. 74; La figure du dehors, p. 76, 232; Le champ du grand travail, p. 73; Le poète cosmographe, p. 56, 97; Les rives du silence, p. 269; Scènes d'un monde flottant, p. 110; Filigrane 2, p. 110; «Lexique géopoétique», Poésie 98, octobre, n°74, p. 15.
Surnihiliste
Définition
Néologisme: «Celui qui ne croit à rien mais qui suit une voie», préface aux Lettres de Gourgounel (1986, p. 19).
«Ces voyageurs, qui sont passés par toutes les vicissitudes de l'Occident moderne et en sont sortis dépouillés du bagage encombrant de l'espoir, appelons-les les surnihilistes. Ils touchent du pied les assises rocheuses de l'être, c'est-à-dire un sol nettement défini, si dénudé soit-il. En fait, c'est cette nudité qu'il leur faut, ce dépouillement, c'est la seule chose qui satisfasse leur besoin d'aller plus loin que leurs racines et de voir au plus profond de leur nature. Ce qui retient leur attention, c'est cette "zone difficile", et d'autres comme elle: l'Urgrund de Boehme, la sunyata bouddhiste. Mais si ces espaces extrêmes les attirent, ces surnihilistes ne sont pas pour autant des adeptes de l'ascétisme, mais plutôt de l'eros», La figure du dehors, p. 168.
Citations
«Qui connaît encore les possibilités de la biopoétique, de la psychocosmogrammatologie, et du gai savoir de l'activisme surnihiliste? Rions d’un rire nouveau», La figure du dehors, p. 81.
«On le présenta comme poète / il parla en surnihiliste», Ode fragmentée à la Bretagne blanche, p. 7.
«C'était un de ces voyages surnihilistes / comme seul un Scot extravagant / ou peut-être un grec ou un Russe / peut en faire», Atlantica, p. 115.
«Si le blanc peut sembler une absence (nihiliste), en fait c'est le prélude à une nouvelle présence (que j'appelle surnihiliste...)», Le poète cosmographe, p. 18.
«J'ai nommé surnihiliste celui qui va jusqu'au bout de notre semi-nihilisme d'aujourd'hui et débouche dans un vide-plénitude qui n'est pas inscrit sur nos cartes mentales», «Vers un nouvel espace culturel», IIIème millénaire, n°2, mai-juin 1982.
Commentaires
La figure du surnihiliste est inspirée de la pensée nietzschéenne, pour autant Kenneth White a pu prendre ses distances avec certains aspects de la pensée du philosophe allemand: «Au sujet de la comparaison entre le surnihiliste et le surhomme, dans une conversation avec l’auteur, White insistait sur son souci d’éviter les connotations mythiques et d’écarter, en définissant très précisément son concept, toute mésinterprétation», Michèle Duclos, Kenneth White, nomade intellectuel, poète du monde, p. 97.
On notera que, dans son propos, White va progressivement privilégier nomade intellectuel à surnihiliste.
Cheminement critique
Michèle Duclos: «A l’issue d’une ascèse libre relatée dans les trois volumes de L’itinéraire d’un surnihiliste (Dérives, Les limbes incandescents, Lettres de Gourgounel) et fortement inspirée par des pratiques tantriques, il réussit à sortir de sa situation historique, nationale et familiale, "sortir des MacNie, des Cameron, des Mackenzie, des MacGregor, et d’atteindre - le blanc. Un état transpersonnel [...] Ne pas savoir où l’on est, qui l’on est, afin de pénétrer, sans identité, l’espace indéterminé, et laisser venir les images essentielles (...)" (Dérives, p. 178), pour retrouver une dimension de l’être, spatiale et cosmique, généralement ignorée de l’Occident. Il sort de la "conscience historique" qui est aussi "ego psycho-social" pour atteindre à la "conscience cosmique", le "monde blanc"», «Traits chamaniques dans la poésie du XXème siècle: Ted Hughes et K. White» (en ligne sur le site de l’Institut international de géopoétique, l’Archipel). Voir aussi: Régis Poulet, «Suivre les hautes erres avec Kenneth White», La revue des ressources, 16 juillet 2007.
Référence (voir aussi)
Principales occurences
Atlantica, p. 115; Les affinités extrêmes, p. 41; La carte de Guido, p. 26, 28; L'ermitage des brumes, p. 74; La figure du dehors, p. 81, 168; Lettres de Gourgounel, p. 17, 19; Le lieu et la parole, p. 77, 118; Ode fragmentée à la Bretagne blanche, p. 7; Le plateau de l'albatros, p. 213, 237; Le poète cosmographe, p. 18, 79, 100, 113; La route bleue, p. 45; Les rives du silence, p. 135; Géométrie - géographie - géopoétique, coll. «Latitudes», n°4, p. 16; «Vers un nouvel espace culturel», IIIème millénaire, n°2, mai-juin 1982.
On pourra se rapporter au poème «Scotus Vagans» (Le passage extérieur, p. 97) et à l’hommage que White a rendu à Brandan («Le dernier voyage de Brandan», Atlantica, p. 94-105).
Etre lui-même un Ecossais errant constitue une part essentielle de l’identité de White: «Plus tard, ayant quitté l’Ecosse (grâce à la Wanderlust écossaise, grâce à l’identité extensive de l’Ecossais errant - je n’abandonnais pas mes racines, je les prolongeais), j’ai étendu mon territoire, explorant, pas après pas, de manière méditative, d’autres lieux de la terre», Marche et paysage. Les chemins de la géopoétique, dirigé par Bertrand Levy et Alexandre Gillet, Metropolis, 2007, p. 247.