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Mahamudra

Définition

Mot sanskrit signifiant «le grand geste»: «Tandis que pour moi, il s'agit en poésie de bien plus que du talent et de bien plus que de la personne. Il s'agit d'un champ entier. Donc, à la place du geste tronqué et du geste rétréci qu'est souvent la poésie aujourd'hui, j'essaie d'atteindre ce que j'ai appelé dans un de mes derniers livres, le Grand Geste [...] La Mahamudra, c'est à dire un geste qui réponde aux grandes dimensions du monde, qui soit une réponse du monde, qui indique en quelque sorte un rapport plénier au monde au lieu simplement, je le redis, de ce talent qui tourne autour de la personne. Ouvrir un champ, redécouvrir le monde…», Cosmose, p. 85.

 

«Mahamudra, le Grand Geste, c'est ce qui a lieu, c'est ce qui surgit dans le bouddhisme extrême quand tu es au-delà de toute orthodoxie et quand la conscience personnelle fusionne avec la conscience cosmique», Le poète cosmographe, p. 98.

Citations

«C'est pour cela qu'en épigraphe à mon dernier livre, Mahamudra (mot sanskrit signifiant "le grand geste"), je cite un passage du Yoga tibétain d'Evans-Wentz: "Quand par la méditation un lien a été établi entre la conscience humaine normale et la conscience cosmique, l'homme arrive à la vraie compréhension de lui-même. Simultanément naît le Grand Geste, la mahamudra". Ce n'est pas une question de gymnastique mais d'identité», Le poète cosmographe, p. 21.

 

«"Où il n'y a nul lieu où se fixer, là est la mahamudra" […] On est dans le champ où peut s'accomplir le "grand geste" quand on n’est plus établi dans un système, attaché à un concept, obsédé par un modèle», Le poète cosmographe, p. 46.

 

«Dans l'école de la mahamudra (le grand geste), nous sommes loin de tout attachement religieux, de toute dévotion, et la méditation, détachée de tout objet spécifique, ne vise rien d'autre qu'une limpidité», L'esprit nomade, p. 73.

 

«On peut considérer son existence même comme un haïku - ou, disons, comme un mahâmudrâ: un grand geste dans le Vide», Les affinités extrêmes, p. 209.

 

«Le yoga, c’est d’abord l’unité du corps-esprit (hatha yoga), ensuite, c’est l’unité du corps-esprit et de l’univers (raja yoga et mahamudra). C’est ce yoga physico-mental que l’on découvre en marchant dans le dehors. Et cela se traduit par une autre poésie, une autre poétique», «La marche», entretien avec Kenneth White par Michèle Duclos, Temporel, n°3, mars 2007.

Commentaires

Pour aller plus loin sur cette notion voir: Evans-Wentz (W.-Y., Ed.). Le yoga tibétain et les doctrines secrètes ou les 7 livres de la sagesse du grand sentier suivant la trad. du Lâma Kasi Dawa Samdup. Avec introductions et commentaires. Trad. franç. de Marguerite La Fuente. P., Adrien-Maisonneuve, 1938.

Voir le recueil de poèmes portant ce titre: Mahamudra, Mercure de France, 1978: «C'est pour cela que j'ai décidé de donner comme titre à cette édition bilingue franco-anglaise un mot sanskrit: Mahamudra, qui signifie "le grand geste". C'est insister sur la nécessité, et la possibilité, de sortir de tous les petits jeux littéraires qui ne sont que le signe d'un manque d'espace et de respiration vitale. C'est suggérer aussi que la poésie est une sorte de "sanskrit" (langue universelle) au-delà des langues nationales, et affirmer un mondialisme culturel au-delà des cultures nationales», extrait du prière d'insérer.

Cheminement critique

Michèle Duclos insiste sur ce que recherche l'auteur dans la tradition bouddhiste: «Sa finalité est de retrouver cette véritable nature, en réalisant la "conscience cosmique" dénommée, selon les régions du bouddhisme, mahamudra ou sunyavada, et en suivant le chemin du "vide" qui nous aide à sortir de la dualité où nous nous sentons étranger au cosmos: "S'ouvre alors une aire d'activité et de jouissance nouvelle. Un au-delà de l'écartèlement, un au-delà du nihilisme (c'est ce que j'appelle le 'surnihilisme') existe donc [...]", Une apocalypse tranquille, p. 110», Kenneth White, nomade intellectuel, poète du monde, p. 170, cf. également p. 191-193; Robert Brechon, «Vers un yogui occidental», Critique, vol. 35, n° 383, 1979, p. 355-367.

Référence (voir aussi)

Principales occurences

Atlantica, p. 215; Les affinités extrêmes, p. 209; Une apocalypse tranquille, p. 190; L'esprit nomade, p. 73; Les limbes incandescents, p. 120, 152; Le monde d'Antonin Artaud, p. 185; Le poète cosmographe, p. 18, 21, 29, 45-46, 98; Une stratégie paradoxale, p. 160; Segalen, théorie et pratique du voyage, p. 98; Cosmose, p. 85.

Matrice, matriciel

Définition

1- Dans un des premiers ouvrages de l'auteur, les «collines matricielles» désignent par métaphore le monde premier. C'est aussi le pays de l'enfance.

 

2- Désigne ce qui est premier, essentiel et structurel: «J'aime à avoir simplement un nom "de baptême", que j'appellerai le nom matriciel (le nom de Kenneth est païen) et un surnom qui indique une qualité», En toute candeur, p. 35; «Je ne pense pas en terme de patrie, ni même de matrie. Matrice, peut-être, mais avec un élan, non une nostalgie... surtout un idéogramme, ou peut-être un psychocosmogramme», Le poète cosmographe, p. 77.

Citations

«Parler du monde de la terre, l'appeler les collines matricielles, c'est suggérer qu'une vie immédiate est encore possible. Une vie immédiate, au-delà des médias et des intermédiaires, au-delà même de la civilisation; mais c’est là définir la poésie telle que je la conçois», En toute candeur, p. 25.

 

«Le présent volume constitue le prolongement (et la dissémination) du livre En toute candeur paru au Mercure de France en 1964, selon un processus que l’on pourrait indiquer brièvement ainsi: du monde matriciel à la terre de diamant. De l’un à l’autre, le chemin est celui d’une poésie itinérante», note de l'auteur en introduction à l'édition Eibel de Terre de diamant, p. 9.

 

«Le résultat est en fait moins une thèse au sens de "maîtrise" d'un domaine donné que l'ouverture d'un champ, la découverte d'espaces matriciels, de parcours possibles, de lignes d'horizon», L'esprit nomade, p. 11.

 

«Nous avons vu le même mouvement s'amorcer chez Camus: même besoin d'une configuration, même besoin d'accord, même besoin de monde, même entrée dans un champ qui n'est plus celui de la philosophie éternitaire ni celui de la dialectique, mais un champ matriciel», L'esprit nomade, p. 35.

 

«Comment dégager une figure à la fois plus radicale et plus extravagante, capable de traverser des champs matriciels divers - vers un "nouveau monde"?», L'esprit nomade, p. 40.

 

«Pour George Borrow, les lieux les plus poétiques (c'est-à-dire existentiellement fertiles et intellectuellement stimulants) étaient les dingles, de petits vallons (quelles matrices y attendent l'esprit?) et les "croisées de quatre chemins" (quelle possibilité, là, de connexions interculturelles?…)», L'esprit nomade, p. 87.

Commentaires

Le premier chapitre d'En toute candeur s'intitule «Les collines matricielles».

Cheminement critique

Jack Doron: «Le soi, la partie la plus cachée, vitale de la psyché, ne se perçoit qu’au dehors, et c’est à juste titre que l’on peut parler de "figure du dehors". Le propre de la démarche géopoétique est de saisir dans l’univers des choses, du paysage, la matrice, le contenant de notre fonctionnement psychique qui est représentable, entre autres, sous la forme du paysage archaïque. Nous avons ainsi un renversement du fonctionnement psychique: ce qui est le plus à l’intérieur est inaccessible par le dedans, mais il est par contre représentable comme "figure du dehors", c’est-à-dire comme forme organisatrice de notre fonctionnement psychique», «L’appel du vide» dans Le monde ouvert de Kenneth White, p. 98; Fabio Scotto, «De la matrice au monde: les chemins de la candeur» dans Autour de Kenneth White, p. 99; Anne Bineau, Horizons de Kenneth White, p. 46-47; Frédéric Dufourg, Le monde ouvert de Kenneth White, p. 144.

Référence (voir aussi)

Principales occurences

Une apocalypse tranquille, p. 111-112, 115; L'esprit nomade, p. 11, 35, 40, 87; À la fenêtre de Fagniez, p. 18; La figure du dehors, p. 208; En toute candeur, p. 21, 25-27, 31, 35; Les limbes incandescents, p. 169; Le lieu et la parole, p. 28, 126, 129; Le plateau de l'albatros, p. 215; Le poète cosmographe, p. 77; Terre de diamant, p. 9; Le visage du vent d'est, p. 24.

Monde

Définition

«Il m'est arrivé à plusieurs reprises de proposer la définition suivante: un monde (convenant à la biologie humaine, s'entend) émerge du contact entre l'esprit humain et la Terre. Quand le contact est intelligent, sensible, subtil, on développe un monde au sens fort de ce mot: un espace où évoluer pleinement. Quand le contact est stupide, brutal, à la place d'un monde, on a une accumulation d'immonde», Géopoétique et sciences humaines, coll. «Latitudes», n°6, p. 15. 

 

«A la base du mot monde, comme à celle du mot cosmos, on trouve la notion de beauté et de fertilité. Il est significatif que, pour nous, la connotation esthétique du mot cosmos n'existe plus que dans le mot "cosmétique" et que, pour ce qui est du mot monde, nous n'avons retenu, dans le sens esthétique, fondateur et fertilisant, que le négatif: immonde. Or, un monde, c'est ce qui émerge du rapport entre l'esprit et la terre. Quand ce rapport est inepte et insensible, on n'a, effectivement, que de l'immonde. Pour qu'il y ait monde au sens plein du mot, un espace commun appelant une vie dense et intense, il faut que le rapport soit, de la part de tous, sensible, subtil, intelligent», Le plateau de l'albatros, p. 25.

Citations

«Je ne parle jamais que de présence au monde», En toute candeur, p. 20.

 

«"Ce que tu as appelé monde, lit-on dans Zarathoustra, il faut commencer par le créer - ta raison, ton imagination, ta volonté, ton amour, doivent devenir ce monde." Et, de l'autre côté du monde, en Orient, dans la Brihadaranyaka Upanishad, on lit ceci: "La vie n'aura servi à rien à celui qui quitte le monde sans avoir réalisé son propre monde"», La figure du dehors, p. 52.

 

«Nous avons grand besoin d'une poésie qui "ait un monde"», La figure du dehors, p. 163.

 

«Le nomade intellectuel [...] se préoccupe nettement plus du monde en tant que tel (comme notion et comme présence) que ne le faisaient et ne le font encore, et les interprètes idéalistes, et les matérialistes transformateurs», L'esprit nomade, p. 19.

 

«Et je définirai ce que j'entends par "un monde où vivre" en grec: c'est une rencontre d'eros (énergie vitale), de logos (parole dense et intense) et de cosmos (belle totalité)», Géopoétique et sciences humaines, coll. «Latitudes», n°6, p. 45 (cf. Erotocosmologie).

Commentaires

Pour White, la question du rapport au monde est la grande finalité: «Je me situais au bout de l'idéalisme, au bout de la métaphysique, mettant un pied devant l'autre sur la page-plage où était inscrite, en lettres de lumière, cette phrase: "Ce que tu cherches, c'est un monde."», Cahiers de géopoétique, n°4, p. 32. Dans un ouvrage consacré à son pays natal, White reprend cette citation tirée d'Hölderlin: «La phrase de son livre Hyperion: "Was du suchst ist eine Welt" (ce que tu cherches est un monde), transcrite sur un bout de papier, était épinglée au-dessus de ma table de travail», Ecosse, le pays derrière les noms, p. 42.

 

Pour lui, tout l'enjeu de ce rapport à établir repose sur l'établissement d'une poétique: «"Welt ist nie sondern weltet" dit Heidegger - le monde n'est jamais, il doit être créé, "worlded", ce qui signifie aussi dans une large mesure créé avec des mots, "worded"», Une stratégie paradoxale, p. 126.

Cheminement critique

Michèle Duclos, Kenneth White, nomade intellectuel, poète du monde, p. 255-264; Arnaud Villani, «L’œuvre complète comme pensée du monde», Europe, dossier sur Kenneth White, juin-juillet 2010, p. 242.

Référence (voir aussi)

Principales occurences

Les affinités extrêmes, p. 126; Une apocalypse tranquille, p. 14; Ecosse, le pays derrière les noms, p. 42-43; L'esprit nomade, p. 10, 19, 35, 75, 100, 140; En toute candeur, p. 20, 25, 29; La figure du dehors, p. 52, 163; Le grand rivage, p. 11, 51; Le plateau de l'albatros, p. 25, 73; Le poète cosmographe, p. 15, 30, 182-183; Une stratégie paradoxale, p. 144, 176; Carnet de bord, n°4, p. 2; Géopoétique et sciences humaines, coll. «Latitudes», n°6, p. 15, 45.

Monde blanc

Définition

«Le "monde blanc" fut d'abord pour moi un concept purement géographique, indiquant l'espace circumpolaire (arctique et subarctique), espace dont, à un moment donné j'avais besoin, afin d'échapper au bruit multicolore de notre civilisation», préface à une anthologie de textes eskimos et amérindiens intitulée Le monde blanc, itinéraires et textes, PAP, 1989.

 

Au-delà de la géographie, dans une perspective plus poétique: «Ce terme signifiait peut-être en tout premier lieu une affirmation du moi (toujours la coïncidence du nom) vis-à-vis du monde social. Ensuite, le désir d'explorer l'espace intérieur que recouvre ce moi (Thoreau: « N'est-ce pas que l'intérieur reste blanc, comme un espace blanc sur la carte?"). Le "monde blanc" était aussi l'intensément réel dont parle Gunn: une expérience de la réalité incandescente, ou bien encore une vision d'une limpidité totale», La figure du dehors, p. 22.

Citations

«Mais où diable est-il donc, cet espace réel? C'est ce monde blanc encore spectral, espèce d'abruti. Le monde blanc (le nommer, c'est déjà trop) - cet insaisissable amalgame, fuyant comme du mercure, d'existence multiple et de non-existence. Ne va pas te figurer qu’il y a une issue géographique!», Les limbes incandescents, p. 119.

 

«Ce qui deviendra plus tard la notion, l'intuition, la philosophie, le mythe du monde blanc - dont de vagues prémonitions peuvent naître dans l'expérience initiale - est concentré essentiellement dans la chair érotique au contact des choses et des éléments: les remous de l'eau, le vol absolu des oiseaux, le corps souple du lièvre, la terre humide, les fleurs qui s'ouvrent, le tronc mince et cryptique du bouleau argenté, les lourdes grappes de baies des sorbiers des oiseaux, les seins d'une fille...», Approches du monde blanc, p. 19.

 

«A l'intérieur aussi de la culture celte, et je suis tombé là-dessus par hasard, mais c'était un concept, une idée que je m'étais déjà formés, on trouve cette notion de "monde blanc", et le monde blanc, pour parler un peu rapidement, c'est un peu le paradis celtique, mais c'est un paradis qui justement n'est pas perdu et qu'il ne faut pas espérer: il est là mais il s'agit d'avoir assez de vision pour le voir», Cosmose, p. 79.

Commentaires

Cette notion centrale a pendant des années préfiguré celle de géopoétique: «A vrai dire, je ne parle même plus de "monde blanc", ou en tout cas de moins en moins. Cela dit, j'étais à la recherche d'un vocabulaire, de métaphores destinées à exprimer non seulement des concepts, mais toute une expérience sous-jacente pour laquelle aucun nom ne me satisfaisait», Filigrane 2, p. 111. «C'est quand j'ai vu que l'on prenait ce concept poétique pour un mythe, ou un absolu religieux (quand ce n'était pas une option ethnique!), que j'ai cessé de l'employer», Autour de Kenneth White, p. 36. White a trouvé très tôt une confirmation de son intuition dans l’ancienne culture celte: «Sur la côte ouest de l'Ecosse, j'ai commencé à approfondir un peu la culture celte, et j'ai trouvé avec un frisson de reconnaissance que le terme utilisé dans la culture celte [...] pour le champ d'énergie le plus intense, c'est le monde blanc: finn mag, en gaélique, gwenved, en gallois», Fanal, p. 11.

White a repris plusieurs fois l’expression dans des titres de chapitre ou de recueil: Le monde blanc; Poèmes du monde blanc (En toute candeur); Approches du monde blanc (1976); Signes du monde blanc (Terre de diamant, Eibel, 1977).

Cheminement critique

Michèle Duclos: «Kenneth White propose un mythe simple, universel, extensible dans l'espace, inscrit dans l'expérience ordinaire de chacun de nous et qu'il baptise Monde Blanc. Cette appellation seule déjà inscrit l'homme, par l'intermédiaire du Poète et de son nom (White=Blanc) dans une terre, dans son terroir, le premier nom de l'Ecosse étant Alba, terre des collines blanches», Rivages, p. 59. Michèle Duclos, Le monde ouvert de Kenneth White, p. 59; Kenneth White, nomade intellectuel, poète du monde, p. 34-39-225; Jean Delacour, «Qualia et monde» dans Kenneth White et la géopoétique, p. 124-126; Régis Poulet, Kenneth White et la géopoétique, p. 145-147; Pierre Jamet, Le local et le global dans l'oeuvre de Kenneth White, p. 282-302.

Référence (voir aussi)

Principales occurences

Approches du monde blanc, p. 19; Une apocalypse tranquille, p. 64; Dérives, p. 152; Ecosse, p. 43-44; L'esprit nomade, p. 278; La figure du dehors, p. 19, 22, 77, 211, 230; Les limbes incandescents, p. 34, 119, 148, 162, 169; Le lieu et la parole, p. 89, 114, 119; Mahamudra, p. 71; Le monde blanc, itinéraires et textes, p. 9; Le poète cosmographe, p. 11, 15, 17, 23, 77, 80, 94, 145-146, 199; La route bleue, p. 92; Le visage du vent d'est, p. 157; Cosmose, p. 79; Fanal, p. 6, 11.

Monde ouvert

Définition

«Mais le géopoéticien pense en termes de monde, et plus précisément en termes de monde ouvert. Or, tout lieu est ouvert, toute localité est ouverte, si on sait la lire. Un peu de savoir hydrographique, géologique, zoologique, linguistique y suffit. N'importe quel ruisseau mène à travers rivière et fleuve, à l'océan. En examinant la roche locale, on peut entrer dans l'orographie du monde. Le ciel de n'importe quelle localité est traversé par des oiseaux migrateurs. Toute langue a de très longues racines. Voilà un début de cheminement réel», Géopoétique et sciences humaines, coll. «Latitudes», n°6, p. 36.

 

«Parlons plutôt, plus sobrement, d'une extériorité, du nécessaire maintien d'une extériorité, dans un monde devenu par trop enfermé (psychologisé, sociologisé, vulgarisé). Parlons d'un au-delà des codes, d'un au-delà de l'identité. Parlons d'un voyage dans le monde ouvert. Dans un espace situé à l'écart des lieux communs, et dont la cartographie ne sera jamais complète», Le passage extérieur, p. 7.

Citations

«On trouve aussi dans ce texte, de manière latente, une poétique, la poétique du monde ouvert, qui côtoie le chaos, qui fréquente le tout indivisible», L'ermitage des brumes, p. 95.

 

«C'est la géologie et la topologie, la géographie et la cartographie de cette atopie que je développe, de manière poético-philosophique et dromo-erratique (dérivante) dans mes livres, y voyant le seul moyen de faire de notre monde enfermé dans ses contradictions et ses controverses, un monde ouvert», Dialogue avec Deleuze, p. 54.

 

«Avec sa lecture des lieux, son sens de l'espace, sa recherche d'un langage à la fois topologique et biocosmopoétique, la géopoétique travaille à l'ouverture du monde, à l'élaboration du concept de "monde ouvert"», Europe et géopoétique, coll. «Latitudes», n°3, p. 17.

Commentaires

On trouve cette expression, mais dans un sens purement politique, chez les géographes anarchistes Onésime et Elisée Reclus: «"A l'exception du Tibet, de la Corée et de quelques régions écartées des montagnes, l'Asie Orientale fait désormais partie du monde ouvert. Quels seront pour l'humanité tout entière les résultats de cette annexion d'un demi-milliard d'hommes au mouvement général de l'histoire?" (Elisée et Onésime Reclus, L'empire du milieu, Paris, Hachette, 1902, p. 25)», cités par Kenneth White, Segalen, théorie et pratique du voyage, p. 80.

 

L'exposition consacrée à Kenneth White et à son œuvre porte pour titre général: Monde ouvert, proche de celui de son anthologie poétique personnelle parue chez Gallimard (Un monde ouvert, collection Poésie, 2007). Open World est également le titre des ses Collected Poems 1960–2000, POLYGON, 2003. Dans un autre registre White a donné longtemps un séminaire à Paris IV intitulé Poétique du monde ouvert, (voir Le champ du grand travail, p. 34).

Cheminement critique

Michèle Duclos établit un lien entre cette notion et celle de monde blanc, «premier concept synthétique inventé par White et l'une des grandes images paradigmatiques de son itinéraire intellectuel pour indiquer le "tout" dont il avait eu l'intuition très tôt au contact du paysage écossais. Une image qui est rapidement sortie du cadre écossais. Même si, par la suite, le poète ayant constaté qu'elle était souvent interprétée à tort en termes mythologiques, religieux, métaphysiques, y renoncera et continuera à animer ce concept par les termes tels que "monde ouvert", voire avec des réserves, "nouveau monde", ou simplement "monde"», Kenneth White, nomade intellectuel, poète du monde, p. 34. Plus loin dans son essai, elle en précise la portée: «On comprendra mieux la nature de la révolution ontologique inscrite dans le sémantisme du vocable "monde" par cette orientation qualitative que White lui confère. Avant tout, et l'expression se fait de plus en plus fréquente, le poète en appelle à un "monde ouvert", ouvert sur une autre manière de vivre, de penser et d'écrire qui prend à revers toute l'anthropologie classique et moderne», Kenneth White, nomade intellectuel, poète du monde, p. 258.

Référence (voir aussi)

Principales occurences

Les affinités extrêmes, p. 20; Le chemin des crêtes, p. 32, 87; Dialogue avec Deleuze, p. 54; Déambulations dans l'espace nomade, p. 18; L'ermitage des brumes, p. 95, 100; L'esprit nomade, p. 59, 190; La figure du dehors, p. 91; Hokusaï ou l'horizon sensible, p. 96; Isolario, p. 8; Le champ du grand travail, p. 21, 25, 37; Les limbes incandescents, p. 163; Le lieu et la parole, p. 18; Le poète cosmographe, p. 199; Le passage extérieur, p. 7, 191; Rivages d'Occident, p. 5; Richard Texier. Latitude atlantique, p. 60, 144; Une stratégie paradoxale, p. 147; Segalen, théorie et pratique du voyage, p. 23; Europe et géopoétique, coll. «Latitudes», n°3, p. 17, Géopoétique et sciences humaines, coll. «Latitudes», n°6, p. 30, 36; Géopoétique et arts plastiques, p. 14.

Mondification, mondifier

Définition

Le terme existe en français dans le langage médical (nettoyer, déterger). White lui apporte un sens littéral nouveau.

 

«La poésie est créatrice d'univers. Si elle est loin d'être mondialiste, au sens économico-politique que l'on donne à ce terme, elle est si je puis dire, mondifiante, elle est porteuse d'un monde vivable, désirable, dont les bases sont souvent totalement différentes de celles de la société ambiante», extrait du discours inaugural de la 25ème Biennale de Poésie, Liège, 2007.

Citations

«On entre alors dans le grand champ de la géopoétique, qui est monde en émergence: mondification, beaucoup plus intéressante et excitante que toute fiction», Le champ du grand travail, p. 74.

 

«En revenant à la base de la métaphysique, à savoir la division entre le sensible et l'intelligible, on pourrait dire, en termes abstraits, que ce qui est en jeu aujourd'hui, que l'enjeu du monde actuel, le moteur de la mondification en cours, si je puis dire, c'est une intelligence sensible, une sensibilité intelligente, qui soit autre chose qu'un esthétisme éthéré (avec pour contre-partie une vulgarité crasse), et un intellectualisme alambiqué (avec pour contre-partie un positivisme plat, un réalisme borné). Un nouveau rapport intelligent-sensible ne peut venir que d’une rencontre avec le dehors», Autre Sud, n°45, juin 2009, p. 37.

 

«Inlassablement, Reclus a poursuivi son oeuvre mondifiante et géopoétique, en dehors des cénacles et des corporatismes, en dehors des enfermements professionnels et des programmes officiels...», Les affinités extrêmes, p. 20.

Cheminement critique

«Par cette approche d'un monde qui n'est pas un donné "objectif" mais une manifestation d'énergie dynamique et plurielle, White retrouve nombre de poètes et d'autres de ses penseurs favoris, à commencer par Heidegger pour qui le monde se "mondifie"; mais aussi les épistémologues contemporains dont nous avons vu qu’ils ont cessé de considérer le cosmos comme un donné immuable et objectif», Michèle Duclos, Kenneth White, nomade intellectuel, poète du monde, p. 257.

Référence (voir aussi)

Principales occurences

Le champ du grand travail, p. 74; préface, Hélène Sarrasin, Elisée Reclus ou la passion du monde, Éditions du Sextant, 2003, p. 13; Autre Sud, n°45, juin 2009, p. 37; Géométrie-géographie-géopoétique, coll. «Latitudes», n°4, p. 32.

Mondomanie

Définition

Néologisme: «Platon distinguait quatre types d’homme: l’appétitif (celui qui rapporte tout à lui-même, comme un enfant); l’animé (l’homme de cœur, l’homme de l’agitation); le rationnel (celui qui vise une maîtrise de la vie et de l’univers) et le démoniaque (celui qui suit son daimon, une puissance sur-personnelle qui le relie à ce qui, obscurément, l'entoure). Le poète est à mon sens, un démoniaque, disons un mondomaniaque, qui suit sa mondomanie, c'est à dire son désir de monde», Une apocalypse tranquille, p. 33.

Citations

«Nous avons déjà vu notre lettré-voyageur-poète proposer des concepts tels que "logique érotique". Il y en avait d'autres, tels que surnihilisme, mondomanie… Il considérait ces termes comme des concepts laxatifs, conçus pour assouplir le fonctionnement de l'esprit», Le plateau de l'albatros, p. 55.

Cheminement critique

«Toujours épris de jeux sur le langage, White se réclame d'un monde qui ne soit ni "mondain", ni "immonde", il se proclame "mondomaniaque"», Michèle Duclos, Kenneth White, nomade intellectuel, poète du monde, p. 258. Voir aussi Pierre Jamet, Le local et le global dans l'oeuvre de Kenneth White, p. 186.

Référence (voir aussi)

Principales occurences

Une apocalypse tranquille, p. 33; Le plateau de l'albatros, p. 55.

Médiocratie

Définition

«[…] A mon sens, si le langage de l'idéologie ambiante est "démocratique", nous ne vivons plus en fait dans une démocratie, mais quel que soit le régime politique, dans ce que j'appelle une médiocratie […] Disons, pour résumer, que notre vie sociale se situe dans une cacotopie marquée par un amorphisme généralisé, un gadgétisme grandissant, et un étiolement concomitant des esprits. Dans la vacance laissée par une pensée qui n'ose plus penser, une pensée pasteurisée, s'engouffrent toutes sortes de théosophies, de spiritualismes et d'occultismes. Pour résumer encore plus brièvement, en l'espace de deux mille ans, nous sommes allés de Dionysos à Disneyland», extrait du discours inaugural de la 25ème Biennale de Poésie, Liège, 2007.

Citations

«Mais à la différence de ces livres, il est de nature plus politique, voire polémique, se situe plus près d'un contexte socio-culturel et s'attaque directement, ici et là, à ce que j'ai appelé, dès l'époque d'Une apocalypse tranquille, la médiocratie: une maladie, infantile souhaitons-le, de la démocratie», Une stratégie paradoxale, p. 7.

 

«Dans un contexte général qui dégénère à vue d’œil, dans une société où, à quelques exceptions près, la classe des intermédiaires (tous les semi-intellectuels du "milieu culturel", tous les semi-semi-intellectuels de la presse et de la télévision) finissent par créer ce que j'ai appelé une médiocratie (c'est le "triomphe de la médiocrité" dont parlait déjà Zola, élevée à une puissance politique), qui voue une haine viscérale à tout ce qui va à contre-courant, à quiconque représente une valeur de résistance et qui est porteur d'une recherche et d'une création réelles, je suis très loin d'ignorer que l'on peut parfois avoir l'impression que toute tentative de pensée évoluant hors-normes, toute oeuvre d’envergure semblent relever, plutôt que d'une possibilité de transformation radicale réelle, d'un baroud d'honneur», Une stratégie paradoxale, p. 18.

Commentaires

Avec Les affinités extrêmes (2009), Kenneth White a voulu donner un manifeste anti-médiocratie: «Ayant gardé en tête certains manifestes significatifs du passé (je pense au "fantôme errant de l'Europe" de Marx et à l’"essor intellectuel" de Breton), je propose ce livre comme un manifeste anti-médiocratie, la "médiocratie" étant, dans mon vocabulaire, une caricature de la démocratie où le médiocre est la valeur de référence», Les affinités extrêmes, p. 10.

 

Dans un article récent intitulé «Face à la médiocratie», il précise: «Pour le désigner, j’ai inventé il y a quelques années le terme de médiocratie. J’ai su par la suite que ce mot avait été employé dès le début du XXe siècle par le philosophe Alain – mais dans un sens différent. Chez Alain, "médiocratie" ne signifie en fait rien d’autre que le gouvernement des médiocres. Que cela existe, c’est certain. On n’a souvent pas à chercher loin», La Revue des Ressources, 8 avril 2011.

Cheminement critique

Kenneth White, «Face à la médiocratie», La Revue des Ressources, 8 avril 2011.

Référence (voir aussi)

Principales occurences

Les affinités extrêmes, p. 10; Une apocalypse tranquille, p. 15; L'esprit nomade, p. 261; La figure du dehors, p. 201; Le champ du grand travail, p. 57-58; Le lieu et la parole, p. 53-54, 114; Le monde d'Antonin Artaud, p. 11; Le plateau de l'albatros, p. 23, 126; Une stratégie paradoxale, p. 7, 15, 18, 165, 171, 204, 226; Van Gogh et Kenneth White, p. 70.