Table ronde
RADICAL

«Globodrome», imaginaire du regard étendu

Jeudi 31 Mars 2016

Le 31 mars 2016, à la Cinémathèque québécoise, Joanne Lalonde, professeure au Département d'histoire d'art de l'UQAM et chercheure du RADICAL, a présenté la projection de Globodrome, un film de Gwenola Wagon (France, 2012).

Wagon, Gwenola. 2012. Globodrome.

Globodrome, imaginaire d'un regard étendu

Le film Globodrome, réalisé en 2012 par Gwenola Wagon, est une appropriation  transmédiatique du livre de Jules Verne, Le tour du monde en 80 jours, plus spécifiquement une reprise du trajet effectué par Phileas Fogg et son valet Jean Passepartout, les personnages principaux du roman. On y reprend l’idée du tour du monde dans un temps prescrit, un temps circonscrit, en mettant à profit les dispositifs de géolocalisation notamment ceux de Google Earth.

Le propos du film repose sur le principe de réduction d’échelle du globe, une réduction qui en faciliterait peut-être la saisie. Combinant géographie et astronomie à travers l’image de la sphère, Globodrome vise à démontrer que l’instrument de mesure oriente et modélise la collecte d’informations. L’artiste résume ainsi son film:

«Globodrome est un essai sur les représentations du monde à l’ère des satellites géo stationnaires, une enquête photographique, historique, géographique, topologique, anecdotique, politique interrogeant le statut d’un globe virtuel donnant à l’explorateur un regard déictique et transformant la Terre en un fascinant et dramatique méta univers.» http://globodrome.com/

Fogg, le héros du livre de Verne, est anglais, comme le narrateur en voix hors champ choisi par Wagon. Un Phileas contemporain qui nous présente ici sa vision du monde et des technologies et que l’on peut comprendre aussi comme un alter ego de l’artiste.

Dans le roman de Jules Verne, le personnage principal est très sédentaire, du moins jusqu’à ce qu’il tienne son pari de faire le tour du monde. Un sédentaire qui se déplace rapidement et qui saura mettre à profit le réseau moderne des transports de l’époque (chemins de fer et navigation). Il voyage avec grande efficacité et c’est tout là le défi qu’il a à relever: opter pour le chemin le plus court sans se laisser distraire.

Wagon reprend ici cette tension entre mobilité et sédentarité, dont l’incarnation parfaite devient la fenêtre de l’écran, peu importe le support sur lequel on regarde le film.  La miniaturisation du monde, son exploration en parfaite maitrise temporelle, trouve un aboutissement d’une efficacité difficile à surpasser avec Google Earth. Exercice de décodage et de spatialisation dira notre Phileas contemporain à la 16eme minutes du film, où à partir d’une vue en plongée il s’agira d’imaginer la vue ou la vie de l’intérieur, sans en avoir toujours la bonne résolution. Avec Google Earth on glisse on touche pour explorer la terre et toucher dans Globodrome signifie avancer, comme le rappelle  narrateur,  le verbe «digiter» signifie ramper avec les doigts. (16min 59)

Capture du film Globodrome de Gwenola Wagon (2012)

J’ai choisi ce film pour la confrontation entre monde de l’information et  monde tangible qu’on y retrouve, où les représentations numériques et les opérations qu’elles induisent participent à la multiplication des couches de sens qui recouvrent le monde et dont l’effet paradoxal ne sera pas tant de réduire l’espace temps, de 80 jours à 63 minutes, mais au contraire de l’étirer ou de le prolonger par la multiplication des  déambulations possibles.

J’ai aussi choisi ce film car il me semble emblématique de la constitution des représentations en arts numériques, notamment dans l’élaboration de dispositifs de prolongement de la vision où «le comment faire voir» et «le quoi montrer» se présentent comme un problème ou du  moins comme un enjeu méthodologique.

Plusieurs artistes actuels travaillent à une mise en scène ou remise en scène d’éléments tirés des informations Web, que ce soit John Rafman avec Google Street View ou encore des artistes du flux comme Renald Drouin ou Gregory Chatonsky dont les œuvres s’alimentent des sites de partage de données.

La question centrale que pose le film de Wagon à mon avis est la suivante: comment les outils de représentation transforment nos manières de penser et de raconter?

Capture du film Globodrome de Gwenola Wagon (2012)

On entend souvent que notre époque est celle d’une prolifération hors contrôle des images et des informations.  Pourquoi ne pas  faire alors de cette prolifération de données un nouveau matériel de création?

Ce souci de cartographier le monde et l’univers au-delà de sa compréhension directe par l’expérience, ce dont témoignait déjà la production de globes terrestres et célestes au XVIe siècle, demeure au centre des pratiques culturelles contemporaines. Ces œuvres, rappelons-le, cherche à mettre profit des outils techniques et scientifiques, que l’on pense à des images obtenues par drones, satellites ou caméras de surveillance à petite et grande échelles.

C’est ce même souci du regard étendu ou regard global, une curiosité d'occuper à la fois plusieurs espaces et de pouvoir penser le regard au-delà des contraintes géographiques ou physiques. Un regard qui s'élabore à partir d'un observatoire (le télescope, le GPS, le téléphone cellulaire) comme point de vue privilégié, un observatoire portatif du monde. 

Nous nous retrouvons au cœur d’un imaginaire du regard global, voire d’une utopie, qui fait de notre monde un petit monde devenu facile à saisir autant dans sa globalité que dans ses détails les plus intimes.

Pour conclure je dirai que cette œuvre relève un double défi, celui de la fluidité d’une histoire bien racontée et de la densité d’un conte philosophique.

 

Un mot sur l’artiste

Gwenola Wagon est une réalisatrice et artiste médiatique française. Co-fondatrice du projet Nogo voyages, du collectif Cela Etant elle réalise de nombreuses installations vidéos, des pièces filmiques et sonores en France et à l’étranger, plusieurs en collaboration avec Stéphane Degoutin: Hypnorama (2009-10), le Musée de l'imaginaire terroriste (2009-13), Cyborgs dans la brume (2011-12) et plus récemment World Brain (2015).

Sa thèse de doctorat soutenue en 2006 à l’Université Paris 8 portait sur les utopies du cinéma interactif. Elle est aussi diplômée de l’ENSAD de Paris et enseigne comme maître de conférence à l’Université Paris 8.

 

Découvrir Globodrome

Allez visiter le site de l'oeuvre et vous pourrez visionner certains extraits vidéo.

Lisa Tronca, auxiliaire de recherche du Laboratoire NT2 et de la Chaire ALN, a aussi étudié l'oeuvre de Gwenola Wagon. Vous pouvez l'écouter sur le podcast Radio ALN/NT2 et vous pouvez allez consulter la fiche du Répertoire ALH dédiée à Globodrome sur le site du Laboratoire.

Vous trouverez aussi un article de Philippe Gajan au sujet de la sortie en DVD de Globodrome dans la revue 24 Images n°176 Février/Avril 2016.

Vous pouvez aussi consulter la programmation de la Cinémathèque québécoise pour de plus amples détails sur le film et la projection qui a eu lieu le 31 mars 2016.

Pour citer ce document:
Lalonde, Joanne. 2016. « Globodrome, imaginaire du regard étendu ». Dans le cadre de Cycle RADICAL à la Cinémathèque québécoise. Table ronde organisée par RADICAL. Montréal, Cinémathèque québécoise, 31 mars 2016. Document texte. En ligne sur le site de l’Observatoire de l’imaginaire contemporain. <https://oic.uqam.ca/fr/communications/globodrome-imaginaire-du-regard-etendu>. Consulté le 1 mai 2023.