Une destinée toute faite: présence du 11 septembre 2001 dans Palindromes

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Le Lower Manhattan Project s’intéresse aux usages et aux procédés de fictionnalisation et de mythification des attentats du 11 septembre 2001, en littérature et au cinéma. L’un des enjeux de cette recherche est de comprendre les fonctions narratives des attentats. Sont-ils, par exemple, un horizon? Un futur inéluctable? De nombreux romans et films se terminent sur les attentats, comme s’ils étaient la conséquence ultime et nécessaire du récit (John Updike, Spike Lee, etc.). Sont-ils plutôt un point de départ? D’autres fictions se déploient en effet à partir des attentats et de leurs impacts sur la vie des personnages (Don DeLillo, Lynne Sharon Schwartz). Une présence sourde? Un roman comme celui de Jonathan Lethem, Chronic City, mentionne un trou situé de manière vague dans « the lower part of the island » et associé à un brouillard. Un motif réutilisable? Des récits exploitent les transports en commun comme arme de destruction, etc.

Palindromes, film de Todd Solondz de 2005, offre une version inédite de l’utilisation des attentats : celle d’une destinée toute faite, prête à être utilisée. Un tel usage renforce la signification des attentats comme mythe d’origine.

Quand Aviva, l’héroïne de ce film (jouée par différentes actrices), arrive chez les Sunshine, famille de chrétiens fondamentalistes aux idées très arrêtées sur la religion et l’avortement (c’est une famille d’accueil où les enfants recueillis souffrent tous d’une maladie qui les a conduit à être rejetés par leur famille d’origine), elle qui est en fugue doit expliquer ce qu’elle a vécu. Elle décide, plutôt que de raconter la vérité – ses parents l’ont forcée à se faire avorter et elle s’est enfuie –, d’inventer de toutes pièces un récit pathétique. Elle aperçoit sur le mur une photographie des deux tours du World Trade Center et commence son récit : ses parents sont décédés dans l’effondrement des tours, elle a été hébergée par ses grands-parents. Ceux-ci sont décédés.  Elle a été recueillie par des gens qui ont abusé d’elle, etc.

Les attentats du 11 septembre sont devenus une destinée bon marché. Un récit déjà tout fait, facile à partager, qui convainc facilement, parce qu’il est connu de tous. Il devient une référence, en fait il s’impose comme un imaginaire spécifié. Un ensemble organisé et convergent de figures, offrant un répertoire de récits possibles (deuils, abandons, crises).

Aviva s’approprie, le temps d’un bref récit, cet imaginaire et sa force est telle que son récit extraordinairement stéréotypé convainc sans peine son public (la mère et un de ses enfants). Il la place d’emblée et sans hésitation du côté des victimes. Il possède une crédibilité instantanée. Palindromes n’a rien d’un récit sur les attentats du 11 septembre, son discours porte avant tout sur l’avortement et, surtout, sur le mouvement pro-vie et ses actions hypocrites, voire terroristes. Mais ce bref passage par les tours du WTC montre l’efficacité symbolique du processus de mythification des attentats qui a lieu depuis dix ans.

Le 11 septembre est un récit partagé par tous et une ressource narrative d’une grande utilité puisqu’il permet en quelques mots à peine d’imposer un destin, hautement signifiant. Le fait qu’Aviva soit jouée par plus d’une actrice (sept incarnent l’héroïne) vient confirmer cet usage, puisque ce destin est partagé. Il est singulier, mais il apparaît comme un récit potentiel, offert à de multiples actualisations.

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