La vie des livres est en charpie

La vie des livre est en charpie

La vie des livre est en charpie

Qu’est-ce qui m’attire autant dans les livres en lambeaux, les livres défaits, transformés, démolis, mis en déroute, attaqués de toutes parts?

J’ai passé le plus clair de ma vie adulte dans les livres. Je les ai lus, enseignés, étudiés; j’en ai écrits et édités plus d’une vingtaine. Je vis entouré de livres rangés dans plus d’une quinzaine d’étagères, les unes réparties à la maison, dans ma salle de travail, le salon ou le sous-sol, et les autres, distribuées à l’université, dans mon bureau et des locaux de recherche. Je les achète, je les prête, je les donne à lire.

C’est une vie de livres, une vie dans les livres, à tourner des pages, à sauter des lignes, à consigner des coquilles, à prendre des notes dans les marges, à souligner, à relire, à citer, à commenter et à reprendre.

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La charpie avance

Et maintenant, je m’amuse à les défigurer, à passer des pages à la déchiqueteuse, à dessiner sur les feuilles, autour du texte, à biffer des mots, à superposer des cubes, à détourner des écrits, à insérer des photos. Je prends certaines pages et je les glisse dans des photos. Le parasitage est double!

Je n’invente rien, je fais du sous Tom Phillips, Rober Racine ou Charlotte Gingras, pour ne nommer que mes favoris. Je reprends à la mesure de mes moyens leurs procédés. Je n’ai ni la folie des uns, ni l’obstination des autres. Je n’ai jamais su dessiner, c’est un défaut de fabrication.  Je suis un dilettante de la défiguration des livres. Un amateur qui complète ses écrits avec de ces pages transformées.

Est-ce je participe ainsi à un imaginaire de la fin du livre? Je tue le livre en défigurant ses pages et en minant sa forme même. Car, tout de même, j’arrache des feuilles et détruis des livres, je romps des colonnes vertébrales, dénature des pages couvertures, détourne des titres. Quand j’en ai fini avec un livre, il n’en reste plus qu’une pile de feuilles retenues par un élastique, tout juste bonne à mettre dans un bac de récupération (hum… voilà une belle association, le livre et le bac de récupération…).

Il y a dans ce travail une part de processus artistique. Je ne fais pas qu’écrire, je me sers du texte et des feuilles sur lesquelles il repose comme matériau artistique. Je détourne le regard de mon lecteur (et le mien par la même occasion) du texte vers la lettre, mais une lettre rabattue à sa matérialité. C’est un jeu de détournement qui repose sur un principe tout simple, enfantin. Le livre est une chose avec laquelle on peut jouer. Il est un objet du monde. Et comme tout objet, il peut-être altéré.

En fait, c’est moins un imaginaire de la fin du livre qui est déployé, qu’un mécanisme de survie du livre en culture de l’écran. Car c’est dans mon espace de création en ligne que j’imagine et publie ces figures de livre. Comme si j’avais besoin, tout en écrivant et en publiant à l’écran, de rappeler l’ordre du livre auquel cette activité appartient. Un ordre en partie défait et neutralisée – les pages ne se lisent plus–, mais maintenu malgré tout comme référence essentielle. J’écris à l’écran et accompagne cette publication de pages transformées, toujours identifiables comme pages, c’est-à-dire comme représentantes du livre et de sa culture, bien que devenues en grande partie illisibles.

C’est la vie des livres…

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Mettre une croix sur la vie des livres

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Un commentaire

  1. Francis
    Le 17 août 2011 à 9 h 49 min | Permalien

    Tu connais cet artiste qui sculpte les livres ?

    http://briandettmer.com/

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