« Your Brother Called »

(Texte paru initialement dans Contrejour. Cahiers littéraires, no 22, automne 2010, pp. 55-56.)

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J’ai conservé peu de photos de la fin des années soixante-dix, époque où je faisais mes études en lettres, et c’est par hasard que j’ai découvert celle-ci dans une boîte au sous-sol.

La photographie était cachée dans un lot de lettres reçues, de cartes de souhait périmées et de brouillons de toutes sortes, jetés pêle-mêle dans une enveloppe brune au rabat déchiré. J’allais tout remettre sagement dans la boîte, quand mon attention a été attirée par un billet, rédigé d’une écriture enfantine. Le message, transcrit sur un papillon à l’entête du Dan Panorama Haifa, était adressé à Gervis Bertron, chambre 1009 : « your brother called. Your mother very sick. She’s been in the hospital St. Luc. No 2812121. » Le message était daté du 17 août 1998, à 15h30. Cela faisait  douze ans.

danpanoramaHélène est morte un mois plus tard d’un cancer du foie. Après une vie de malentendus et de silences, nous nous sommes réconciliés dans les couloirs de l’hôpital. J’attendais que tu reviennes, m’a-t-elle dit.

Glissée derrière le billet de l’hôtel, collée là par quelque magie sympathique, il y avait cette photographie en noir et blanc. J’ai dû y penser à deux fois avant d’en retrouver les circonstances. Elle avait été prise aux environs de Ste Marguerite du lac Masson et datait de la fin de l’automne 1978, lors d’un rare moment d’accalmie. Déjà, à cette époque, je ne parlais plus à ma mère, qui ne comprenait rien à mes choix. Ma rébellion était lourde et entière. J’en retrouve des échos dans ce visage barbu qui n’est plus le mien depuis longtemps.

Que ces deux moments de mon passé aient réussi à se lier dans le fouillis d’une boîte depuis longtemps abandonnée m’a grandement étonné, comme si la vie secrète des souvenirs répondait à une logique indépendante de toute volonté, mais j’en ai accepté sans broncher le verdict. Derrière toute réconciliation se cache une rupture. Le passé est fait de cordes qui tendent à se nouer dans l’obscurité.

J’ai pris la photo et le billet, incapable de me résigner à les séparer.

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2 commentaires

  1. Le 16 décembre 2011 à 3 h 10 min | Permalien

    Il donne des frissons, ce texte. Il noue des choses, des tensions, des souvenirs, des erreurs, des regrets, des mouvements que nous portons tous en nous. Vous devez le savoir, évidemment. Comment ne le sauriez-vous pas ? Mais il était impossible de passer ici sans vous le dire.

  2. Miss O'Green
    Le 16 décembre 2011 à 15 h 59 min | Permalien

    @Isabelle Pariente : mets-zzzz-en!

    « J’attendais que tu reviennes »

    On revient jamais véritablement d’une rébellion lourde et entière, n’est-ce pas…

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