Les nombres des Failles

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Les Failles de l’Amérique, mon roman de 2005, joue sur les séries et les échelles: les tueurs en série, les tremblements de terre, et plus précisément le séisme de Santa Cruz de 1989, les séries de Fibonacci et le nombre d’or, tels qu’ils apparaissent dans l’établissement du Modulor, le système de mesure utopique développé par Le Corbusier, la multiplication des entrées d’un journal, etc. J’ai voulu aussi que la forme du roman reprenne cette logique de la série.

Au début des huit chapitres des Failles, on trouve une fenêtre d’information Macintosh (fenêtre du système d’exploitation de 1988) fournissant les données numériques du texte. Comme le roman est constitué des entrées du journal que le narrateur, Thomas Cusson, rédige sur son ordinateur, chacun des chapitres représente un document Word et comporte un nombre précis de caractères et d’espaces.

failles-fibo-1-1Je voulais que le roman connaisse une progression mathématique régulière, façon de mimer sur le plan formel la progression d’une échelle de mesures, telle que l’échelle de Richter. Mais au lieu de prendre une série exponentielle, j’ai choisi la série de Fibonacci. Mon personnage entreprend de rédiger une thèse sur le Modulor de Le Corbusier, il n’est que justice que les chapitres reprennent les principes à la base de ce système de mesures. D’autant que Thomas essaie de constituer un Modulor de la conscience.

Une série de Fibonacci se constitue à partir d’une principe mathématique simple. Dans la série A, B, C, D, etc. : C = A + B ; D = B + C ; etc. Le nombre d’or, ou phi (ϕ), un nombre irrationnel (1, 618034), est obtenu quand on divise le dernier nombre par le précédent (on obtient au début des approximations de ce nombre, mais les divisions se font de plus en plus précises comme la série progresse). Le nombre d’or est un principe artistique et architectural connu depuis l’Antiquité grecque.

Dans Les Failles, le contenu et la dimension des chapitres ont ainsi été établis en fonction de la série de Fibonacci, avec une marge d’erreur de 5%, compte tenu des aléas de l’édition, de la correction, des retraits, etc.

Le chapitre 1 comporte 16 663 signes (caractères et espaces)
Le chapitre 2, 27 691 signes
Le chapitre 3, 45 590 signes
Le chapitre 4, 74 406 signes
Le chapitre 5, 119 602 signes
Le chapitre 6, 193 691 signes
Le chapitre 7, 316 492 signes

Chaque fois, on obtient une approximation du nombre d’or (1,634013 pour les deux derniers ; 1,6194628, pour les deux précédents). Cette progression constante donne au roman son dynamisme. Plus on progresse dans le récit, plus les chocs et tremblements se font nombreux et les perturbations imaginaires de mon narrateur, importantes.

Mon problème a commencé quand il s’est agi de rédiger le huitième et dernier chapitre. Si je respectais le principe que je m’étais donné, il devait contenir 512 084 signes, soit autant que les deux derniers chapitres réunis, ce qui veut dire près de deux cents pages imprimées. Le roman était déjà très long et, surtout, il arrivait à sa fin, narrativement parlant. Je me suis donc cherché une porte de sortie.

faille-fib-3-4La première porte visait à réduire l’ensemble des signes des chapitres afin d’obtenir un chapitre 8 plus petit. Cela voulait dire déplacer des entrées, raccourcir des scènes, etc. La seconde, qui a été choisie, a consisté à créer un apax. Le principe de cette exception m’est venu du tremblement de terre de Santa Cruz, qui sert de cadre enchâssant au roman. L’histoire se termine, en effet, le jour du tremblement de terre du 17 octobre 1989. Ce fait est établi dès l’incipit du roman.

Longtemps on a cru que le tremblement de terre mesurait 7,1 sur l’échelle de Richter. Puis, après quelques années, les géologues en sont arrivés à la conclusion qu’il mesurait plutôt 6,9. Je me suis servi de ce fait pour générer mon exception. Il n’y a pas dans Les Failles de chapitre 8, il y a après le 7, un chapitre 6,9. Un chapitre en retrait, qui n’est qu’une fraction du chapitre 7. De fait le 6,9 fait uniquement 211 779 signes, soit uniquement 67% du 7, tout en étant plus important que le chapitre 6. C’est un chapitre qui est « interrompu » avant la fin par un séisme à la fois intérieur et géologique.

Le hasard a bien fait les choses. L’amplitude du séisme de Santa Cruz m’a permis de jouer avec les nombres et de terminer le roman dans les temps. Ma contrainte initiale a permis de générer une forme singulière, mais elle m’a aussi servi à produire un apax, qui est une singularité encore plus grande.

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2 commentaires

  1. Simon Brousseau
    Le 4 février 2010 à 22 h 40 min | Permalien

    Tout simplement fascinant. Je ne te connaissais pas ce côté oulipien. Tu travailles souvent avec ce type de contraintes ?

    • Bertrand Gervais
      Le 6 février 2010 à 12 h 11 min | Permalien

      Oui, il y a toujours des contraintes, même si elles ne sont pratiquement jamais affichées…

Un trackback

  1. [...] borne du roman, j’ai imposé sa réalité par une structure en progression « sismique » (cf. Les nombres des Failles), mais aussi en la ramenant au début de chacun des chapitres. Le chapitre deux s’ouvre sur une [...]

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