Au Pays des Ha Ha!

Sur la rue Guizot, de l’autre côté du Parc des rêves, un ancien dépanneur tenu par des algériens, fermé depuis le milieu de l’été s’est peu à peu transformé en un véritable mystère urbain. Sa vitrine nord, recouverte de papier, s’est dotée d’une mappemonde imaginaire, une carte dessinée non de main d’homme, mais à la suite de quelque opération secrète, survenue au cœur d’une  nuit pluvieuse. Ce n’est pas un alphabet primordial qui a été dessiné, comme avec le granite, mais le contour de continents uniquement habités par des ombres et des spectres. On reconnaît des pays, une mer, des îles allongées, des isthmes et des baies.

Quel cartographe a tracé ces lignes? Quel géographe en proie à une imagination débordante? Nul ne le sait. Mais il n’est pas rare de voir des hommes, promenant leur chien à la brunante ou menant leur progéniture à l’école par temps frais, s’arrêter devant la vitrine et, pendant quelques instants, se mettre à rêver de voyages imaginaires. Vaines pensées faites d’eau et de papier, marques d’une mémoire improvisée, soumise aux assauts des intempéries. Désirs informes qui provoquent des sourires niais, vite cachés.

C’est le monde des Ha Ha!

On le visite sans préavis.

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La vitrine du Pays des Ha Ha!

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Pays des Ha Ha!

Pays des Ha Ha!

Pays des Ha Ha!

Pays des Ha Ha!

Pays des Ha Ha!

On ne rit pas dans le monde des Ha Ha!, même si les formes prêtent à confusion. On cherche sa voie avec circonspection. On ouvre les yeux, on prend de grandes respirations, on laisse mourir cette voix intérieure qui nous dicte de continuer notre chemin, et on plonge.

Sous la surface, les locaux sont insalubres. Dans le monde des Ha Ha!, le linoléum est déchiré, du papier journal souillé attend d’être ramassé, les murs sont recouverts d’affiches périmées de bière et de tablettes de chocolat. Ça sent la charogne. On imagine derrière les cloisons des carcasses d’animaux morts. On se frappe le visage pour se dire qu’on ne rêve pas. On échappe un soupir.

On voudrait continuer sa route, mais on reste suspendu aux lignes légèrement brouillées de la mappemonde. On se met à rêver de routes et de galions, de voiles frémissant au vent, d’une eau salée et chaude.

Dans le monde des Ha Ha! sommeille un monstre qui attend qu’on le réveille. Il faut marcher sur la pointe des pieds pour ne pas le faire sursauter et longer les murs pour éviter que l’ombre de son corps ne l’atteigne. C’est le contact des masses sombres qui provoque les crises.

Je me suis arrêté devant la vitrine du Pays des Ha Ha!, un matin de décembre froid, mais ensoleillé. J’avais le cœur lourd, un grondement informe brouillait mes pensées, je ne savais plus si la direction prise était la bonne. J’ai suivi du regard les formes naïves de la mappemonde, imaginant des continents entiers et des îles aux rivages torturés. J’avais déjà rêvé d’une île aux Pas perdus, projet qui n’avait réussi qu’à me plonger encore plus profondément dans une aporie. Je me méfiais donc de ces contours dessinés par inadvertance. Mais j’avais oublié jusqu’à quel point la géographie est une poésie en action. Jusqu’à quel point quelques traits suffisent à générer un monde. Et une fuite intérieure.

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Un commentaire

  1. Rachel Bouvet
    Le 21 décembre 2011 à 21 h 07 min | Permalien

    Waow ! des cartes géopoétiques comme on les aime…
    Je crois qu’en cherchant un peu, on y trouverait la région du Témiscouata et même, qui sait, la carte éphémère du lac que nous avions élaborée sur une pelouse de Notre-Dame-du-lac, après avoir traversé la municipalité de St-Louis-du-Ha! Ha! avec toute l’équipe de La Traversée…
    Je crois que tu devrais placer cet article et ces photos dans la section « Au retour du flâneur », qui porte justement sur le thème du Quartier.

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