Figures de l’envoûtement. L’exemple de La Mort à Venise de Thomas Mann

(Extrait de l’introduction de mon article “Figures de l’envoûtement. L’exemple deLa Mort à Venise de Thomas Mann”, in @nalyses, Vol. 7, no 2. Printemps-été 2012)

Envoûtement et figure sont étroitement liés. Le Larousse historique nous apprend que le terme vient du latin « vultus », visage, puis de l’ancien français, « volt ou vout », « visage, image et en particulier les figures de cire représentant une personne à qui on veut nuire par une opération magique ». L’envoûtement est lié à la notion de figure et de figurine. La première acception du terme, dans leGrand Robert de la langue française, nous apprend qu’« envoûter », c’est « [r]eprésenter (une personne) par une figurine de cire, de terre glaise, etc. dans le dessein de faire subir à la personne représentée l’effet magique des invocations que l’on prononce devant la figurine ou des atteintes qu’on lui porte ». Au figuré, on obtient l’usage contemporain du verbe, qui est d’exercer sur quelqu’un un attrait, une domination irrésistible.

Fait intéressant, les verbes par lesquels on parle de l’envoûtement ont tous une double dimension cognitive et relationnelle : assujettir, captiver, charmer, dominer, ensorceler, fasciner, séduire, subjuguer. On y trouve en effet une relation de domination ou de subordination et un état cognitif altéré. La leçon est simple : on ne reste pas intact face à ce qui nous envoûte. La figure qui nous ensorcelle nous propulse dans des états d’esprit qui n’ont rien d’usuel. Et, très précisément, la figure nous incite à nous perdre dans sa contemplation. On peut comprendre cette action de façon mineure, comme le fait de s’égarer, de sortir temporairement de sa voie ou, de façon majeure, comme d’entrer en état de perdition, qui conduit à la ruine de l’âme par le péché.

Des situations d’envoûtement apparaissent en toutes lettres dans des romans aussi divers que La Mort à Venise de Thomas Mann, Nadja d’André Breton,Lolita de Vladimir Nabokov, The Body Artist de Don DeLillo, certaines des nouvelles les plus perturbantes d’Edgar Allan Poe (« William Wilson », « Ligéa », « L’homme des foules »), les récits de revenants et de fantômes, etc. On pourrait aussi ajouter que tout texte où figure un objet de désir — du roman d’amour populaire aux métafictions contemporaines —, tout texte qui met en scène une figure de l’imaginaire offre les prémices, par le biais d’une structure désirante, d’une situation d’envoûtement.

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