(extrait du premier acte)
Route à la campagne, avec arbre.
Soir.
Google, assis sur une pierre, essaie d’enlever ses caméras. Il s’y acharne des deux mains, en ahanant. Il s’arrête, à bout de forces, se repose en haletant, recommence. Même jeu.
Entre Éric Lint.
GOOGLE (renonçant à nouveau) : Rien à faire.
ERIC LINT (s’approchant à petits pas raides, les jambes écartées) : Je commence à le croire. (Il s’immobilise.) J’ai longtemps résisté à cette pensée, en me disant, Eric, sois raisonnable. Tu n’as pas encore tout essayé. Et je reprenais le combat. (Il se recueille, songeant au combat. A Google.) Alors, te revoilà, toi.
GOOGLE: Tu crois ?
ERIC LINT : Je suis content de te revoir. Je te croyais parti pour toujours.
GOOGLE: Moi aussi.
ERIC LINT : Que faire pour fêter cette réunion ? (Il réfléchit.) Lève-toi que je t’embrasse. (Il tend la main à Google.)
GOOGLE (avec irritation) : Tout à l’heure, tout à l’heure.
Silence.
ERIC LINT (froissé, froidement) : Peut-on savoir où Monsieur a passé la nuit ?
GOOGLE: Dans un fossé.
ERIC LINT (épaté) : Un fossé ! Où ça ?
GOOGLE (sans geste) : Par là.
ERIC LINT : Et on ne t’a pas interrogé ?
GOOGLE : Si… Pas trop.
ERIC LINT : Toujours les mêmes ?
GOOGLE: Les mêmes ? Je ne sais pas.
Silence.
ERIC LINT : Quand j’y pense… depuis le temps… je me demande… ce que tu serais devenu… sans moi… (Avec décision) Tu ne serais plus qu’un petit tas de circuits imprimés à l’heure qu’il est, pas d’erreur.
GOOGLE (piqué au vif) : Et après ?
ERIC LINT (accablé) : C’est trop pour un seul Dieu. (Un temps. Avec vivacité.) D’un autre côté, à quoi bon se décourager à présent, voilà ce que je me dis. Il fallait y penser il y a une éternité, vers 2001.
GOOGLE: Assez. Aide-moi à enlever cette saloperie.
ERIC LINT : La main dans la main on se serait jeté en bas du World Trade Center, parmi les premiers. On portait beau alors. Maintenant il est trop tard. On ne nous laisserait même pas monter. (Google s’acharne sur ses caméras.) Qu’est-ce que tu fais ?
GOOGLE: Je me libère. Ça ne t’est jamais arrivé, à toi ?
ERIC LINT : Depuis le temps que je te dis qu’il faut les enlever tous les jours. Tu ferais mieux de m’écouter.
GOOGLE (faiblement) : Aide-moi !
ERIC LINT : Tu as mal ?
GOOGLE: Mal ! Il me demande si j’ai mal !
ERIC LINT (avec emportement) : Il n’y a jamais que toi qui souffres ! Moi je ne compte pas. Je voudrais pourtant te voir à ma place. Tu m’en dirais des nouvelles.
GOOGLE: Tu as eu mal ?
ERIC LINT : Mal ! Il me demande si j’ai eu mal !
GOOGLE (pointant l’index) : Ce n’est pas une raison pour ne pas te boutonner.
ERIC LINT (se penchant) : C’est vrai. (Il se boutonne.) Pas de laisser-aller dans les petites choses.
GOOGLE: Qu’est-ce que tu veux que je te dise, tu attends toujours le dernier moment.
ERIC LINT (rêveusement) : Le dernier moment… (Il médite) C’est long, mais ce sera bon. Qui disait ça ?
GOOGLE: Tu ne veux pas m’aider ?
ERIC LINT : Des fois je me dis que ça vient quand même. Alors je me sens tout drôle. (Il sort son iPad, en regarde l’écran, y promène sa main, le secoue, le remet dans sa poche.) Comment dire ? Soulagé et en même temps… (il cherche) … épouvanté. (Avec emphase) E-POU-VAN-TÉ. (Il sort à nouveau son iPad, en regarde l’écran.) Ca alors ! (Il tape dessus comme pour en faire tomber quelque chose, regarde à nouveau l’écran, le remet dans sa poche.) Enfin… (Google, au prix d’un suprême effort, parvient à enlever ses caméras. Il regarde dans les viseurs, y promène sa main, retourne les caméras, les secoue, cherche par terre s’il n’en est pas tombé quelque chose, ne trouve rien, passe sa main à nouveau sur ses viseurs, les yeux vagues.) Alors ?
GOOGLE: Rien
ERIC LINT : Fais voir.
GOOGLE : Il n’y a rien à voir.
ERIC LINT : Essaie de les remettre.
Google (ayant examiné ses caméras) :
Je vais les laisser refroidir un peu.
ERIC LINT :
Voilà l’homme tout entier, s’en prenant à ses caméras alors que c’est son trépied le coupable. Ca devient inquiétant. (Il sort encore une fois son iPad, en regarde l’écran, y passe la main, le secoue, tape dessus, souffle dedans, le remet dans sa poche.) Ça devient inquiétant. (Silence. Google agite son trépied, en faisant jouer les roulements à billes, afin que le lubrifiant y circule mieux.) Un des larrons fut sauvé. C’est un pourcentage honnête. Gogo…
Google :
Quoi ?
ERIC LINT :
Si on se repentait ?
GOOGLE
De quoi ?
ERIC LINT :
Eh bien … (Il cherche) On n’aurait pas besoin d’entrer dans les détails.
GOOGLE :
D’être né ?
Eric Lint part d’un bon rire qu’il réprime aussitôt, en portant sa main au pubis, le visage crispé.
ERIC LINT :
On n’ose même plus rire.
GOOGLE :
Tu parles d’une privation.
ERIC LINT
Seulement sourire. (Son visage se fend dans un sourire maximum qui se fige, dure un moment, puis subitement s’éteint.) Ce n’est pas la même chose. Enfin… (Un temps) Gogo…
GOOGLE (agacé) :
Qu’est-ce qu’il y a ?
ERIC LINT : Tu as lu la Bible ?
GOOGLE :
La Bible… (Il réfléchit) J’ai dû y jeter un coup d’œil.
ERIC LINT (étonné) :
A l’école des Dieux ?
GOOGLE :
Sais pas si elle était de ou avec.
ERIC LINT :
Tu dois confondre avec Internet.
GOOGLE :
Possible. Je me rappelle les cartes de la Terre Sainte. En couleur. Très jolies. La mer Morte était bleu pâle. J’avais soif rien qu’en la regardant. Je me disais, c’est là que nous commencerons notre service de cartographie. Nous localiserons. Nous serons heureux.
ERIC LINT :
Tu aurais dû être poète.
GOOGLE
Je l’ai été. Ça ne se voit pas ?
Silence.