Dernier épisode: Naked City Redux. Sixième mouvement : l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (14/20)
Le REPRÉSENTANT est reparti en me laissant dans la main ce que je me suis empressé d’avaler.
Un comprimé comme une goutte de liquide incolore.
(silence lourd et rauque)
J’avais écouté d’une oreille distraite ce qu’il m’avait expliqué.
Je ne suis pas attentif aux choses de ce monde.
Ma mère ne cessait de me le reprocher:
Toujours dans la lune, toujours à rêvasser.
Tu ne feras rien de bon dans la vie, si tu continues à ne rien faire de tes jours.
Je ne l’ai jamais écoutée.
La lune est encore mon endroit favori.
Je m’y aventure dès que le vent se révolte,
Sur la face cachée, dans le noir et le froid et le vide et le blanc laiteux d’une matière volcanique inerte.
Je regarde les yeux dessinés sur les murs de ma cellule.
Parmi ces yeux, il y en a un que je ne retrouve plus.
C’est l’œil de Duncan, mort et enterré.
L’œil du poète de malheur qui a écrit son malaise en courtes phrases paroxystiques.
L’œil de Duncan Kleist.
Le sourire de Gloria Christmas, comme une récompense.
Duncan.
Il était un poète comme je suis un prisonnier.
Par un étrange concours de circonstances.
Un voyage de mille pas commence avec le premier dit le proverbe chinois ou népalais.
Je ne sais plus.
Tout au long de ses nuits de débauche, Duncan ne cessait de rêver à Gloria.
Sa beuverie l’occupait tout entier.
Gloria était son phare, lumière distante qui le guidait.
Si seulement il pouvait sortir de son marasme, de cette mer d’alcool, et la rejoindre, il serait sauvé.
Gloria.
Mais il fallait pour cela qu’il sorte de l’eau.
Il fallait qu’il crée de toutes pièces un nouveau monde.
Beau et pur.
Une véritable utopie au centre de laquelle Gloria se dresserait comme une déesse de l’amour et de l’abnégation.
Il s’est noyé, un poème à la fois.
(rauque)
Il est mort, frappé par derrière.
(The barman’s the culprit.)
Pourtant, ce sont ses propres travers qui l’ont tué.
Il est mort comme il a vécu, sans rien comprendre de ce qui se tramait véritablement sous la surface, entre les lignes, entre les pages, entre les séquences.
Le REPRÉSENTANT est parti.
La collégienne a été sevrée.
Duncan a été frappé à la tête et nage dans un bain de sang.
Gloria est un mythe sans fondement.
Un labyrinthe impossible à pénétrer.
Et ce bref moment de conscience est devenu insupportable.
Pendant ce temps, je me laisse bercer par un hymne à la mort.
Une voix lourde et forte me tient éveillé la nuit.
Et je crains que demain je me mette à pleurer.
Je crains que demain je me mette à pleurer.
Je crains que demain je me mette à pleurer.
Le décompte est commencé.
Ce n’est pas un hymne à la joie qui résonne, mais une sombre mélodie.
Confusion et dissolution me guettent.
Prochain épisode: Naked City Redux. Dernier acte: l’éclipse (16/20)