« Les neuf queues d’Hubert Gariépy » de Rémy Potvin : Q 2

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Je sais que tout ceci est mêlant, mais voici donc la deuxième queue d’Hubert Gariépy, qui est dans les faits sa troisième (si je me fie au texte de Rémy Potvin que je remercie à l’avance pour sa précieuse collaboration). Je trouvais que la deuxième manquait un peu de, comment dire de, enfin de, bon, je fais mieux de me taire. Après, juste pour vous avertir, ce sera la quatrième et la sixième.

Hubert et Rémy sont toujours au même bar, l’île noire, ils éclusent les bières comme dans un polar de San Antonio (qu’est-ce qu’il vient faire là, lui ?). Une autre femme remarquable passe tout près de leur table et Hubert reprend de plus belle son énumération.

— La troisième queue, reprend Hubert après une brève hésitation, c’est la queue de rechange.

— Comme un pneu ?

— En quelque sorte. C’est une queue de reprise.

— La première a une crevaison et on la remplace par une queue de secours ?

— Tu ridiculises tout.

— On dirait que tu cours après !

— Ma queue de rechange n’est pas là pour suppléer à un membre déficient, tu sauras, mais pour assurer le deuxième acte. Elle entre en action pour relancer les ébats, une fois le premier acte complété.

— Histoire de tirer un deuxième coup.

— C’est plus que ça. Le deuxième acte auquel je pense n’est pas mécanique ou narcissique, ce n’est pas la performance qu’il vise, mais l’ouverture, le don. C’est un acte gratuit, excédentaire. Il survient quand plus personne ne l’attend, mais il est là, comme un élément de surprise.

— Ce n’est qu’une façon de faire l’amour plus longtemps. Tu pourrais prendre du Viagra, et ça reviendrait au même.

— Je ne sais pas, je n’en ai jamais pris.

— Il paraît que tu peux le refaire aussitôt après, sans période de repos. Tu as fait ce que tu avais à faire et ton sexe est encore à l’attention. Le service n’est jamais interrompu.

— Ce n’est pas pareil… Pour moi, l’interruption est essentielle, elle permet d’établir un rythme, elle structure la séquence. Ce n’est pas un exploit qui est recherché, mais la culmination d’un rituel.

— Et si la femme ne veut pas ?

— Pourquoi ne le voudrait-elle pas ?

— Parce qu’elle en a eu assez…

— Qu’est-ce que tu racontes ? Pourquoi en aurait-elle assez ? Si tu lui promets un deuxième acte qui répond à ses besoins précis, pourquoi refuserait-elle ? Tu comprends, le premier acte est spontané, il se déroule sur lemode de l’urgence. Les instincts sont assouvis. Le deuxième est libéré de toute cette charge animale, il est pure émotion. Voluptueux.

Sado-maso. Ce que tu veux.

— Carole…

— C’est parce que tu ne sais pas t’y prendre. L’important est de lui donner ce qu’elle recherche, et pas ce que tu veux qu’elle désire.

— Trop compliqué, ton truc. Et puis, les deuxièmes fois ne sont jamais aussi intenses que les premières.

— C’est là où tu te trompes. Tu te souviens du film de

Christopher Nolan ?

Memento ?

— Je pensais plutôt à The Prestige, avec Christian Bale et Scarlett Johansson.

— J’ai moins aimé.

— Ce n’est pas grave. L’important, c’est la conception du tour de magie que le film met de l’avant.

— Le prestige, qui donne son titre au film.

— Exact. Un tour de magie comporte trois étapes. La première, c’est la promesse. Le magicien montre quelque chose d’ordinaire, un oiseau, un chapeau, une femme ligotée. Cette promesse est une forme d’érotisme, c’est montrer et cacher en même temps. L’oiseau est-il vrai, le chapeau, normal? Notre regard est attiré. La deuxième étape est le tour en tant que tel, la disparition de l’oiseau sous un foulard, la femme coupée en deux dans une boîte en carton. Cette étape est cruciale, l’acte est consommé, tu comprends. Il n’y a pas de magie sans tour de passe-passe. Mais le tour n’est pas complet, car il faut encore que l’oiseau réapparaisse, que la femme redevienne complète. C’est ça, le prestige, le dernier tour d’écrou, la partie du tour qui scelle le spectacle en donnant au public ce qu’il ne savait pas attendre. Si le prestige est réussi, la salle est définitivement conquise.

— Et alors ?

— Ma queue de rechange, ce n’est rien d’autre que ça, le prestige.

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2 commentaires

  1. p.
    Le 20 août 2010 à 13 h 12 min | Permalien

    Bon, je vais me citer moi-même, dans deux courriels que j’ai envoyés à une autre de tes étudiantes (dont je ne dévoilerai pas le nom), en lui faisant suivre ton billet. Parce que je ne veux pas écrire dans ton dos tsé :

    Courriel 1 : My God! Penses-tu que notre directeur de thèse a sauté une crink?

    (Je ne mets pas sa réponse tout de même haha!)

    Courriel 2 : J’avoue que le premier texte sur la queue 1 était raisonnable, mais celui-là, damn, ça fait peur un peu…Il dit « sado-maso », (le nom de l’autre étudiante) : « sado-maso ». Je capote! ;)

  2. a.
    Le 20 août 2010 à 21 h 24 min | Permalien

    Fiou! Elle ne m’a pas citée.

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