Délire (1/9 – Un défaut de fabrication)

délire-01

Rien, quand on y réfléchit, ne peut inciter à vouloir être le premier dans une course de chevaux.
Kafka

Je m’appelle Robert G. Reid et je ne touche plus à rien. Je vis dans le noir. Le noir le plus complet. Le noir des yeux fermés. Le noir noir. J’avais trois fenêtres et elles sont condamnées. Je l’ai fait moi-même. Avec de la planche et du papier journal. Je m’entretiens avec Teth, elle me raconte des choses. Mes bibliothèques sont vides. Sauf pour un vieux dictionnaire.

Je vis dans un demi sous-sol. Mon appartement a la forme d’une lettre de l’alphabet. Je ne réponds plus à la porte. Au début, on sonnait aux deux heures. Maintenant, des semaines entières passent sans la moindre interruption. J’ai des vivres pour les prochains mois.

Teth a le don des langues. Je ne vois jamais ses lèvres remuer, mais j’entends tout. Elle me parle avec ses yeux. Ils sont disciplinés. Je ne sors plus. Teth le fait pour moi; elle m’alimente en rumeurs.

Je suis essoufflé.

Teth est menue. Je la serre dans mes bras, pour m’endormir. Elle me dit des mots de réconfort. Je m’assoupis. Mes rêves ne sont guère agréables. Teth le sait et elle veille. Elle est mon bouclier. Quand j’ouvre les yeux, je vois les siens, brillants, qui percent mes peurs. Je ne lirai plus jamais.
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Un défaut de fabrication (the return)

Vue de la fenêtre

Vue de la fenêtre

Je croyais en avoir fini avec « Un défaut de fabrication », après les textes que je venais de mettre en ligne, série inspirée par la découverte de Pierre Alechinsky, plus précisément de son statut de gaucher contrarié. J’avais toujours aimé ce qu’il fait, son art à la limite de la bédé, ses dessins alambiqués, ses figures brouillonnes, sans savoir que nous partagions un passé commun, un même rapport au jeu des mains rivales.
Il semble que non.
Déjà, à Paris, au mois d’avril, j’avais été impliqué dans un échange plutôt amusant avec Renée. En compagnie d’Alexandra, nous étions dans un café d’inspiration marocaine tout près de Beaubourg,  pour discuter de projets à venir. J’étais assis côté banquette, à gauche d’Alexandra; Renée lui faisait face. Elle a tendu la main pour prendre son verre de vin, a hésité, regardé Alexandra et lui a demandé si celui du centre était le sien. Alexandra a opiné de la tête. La scène aurait pu passer inaperçue, mais, comme Renée s’apprêtait à porter son verre à ses lèvres, je lui dis :
- Je ne savais pas que tu étais gauchère.
- Pourquoi dis-tu ça?
- Il n’y a que les gauchers pour s’inquiéter de prendre le bon verre. Si tu prends ton verre de la main gauche, tu finis par le déposer en face de toi, vers la gauche, ce qui correspond à la droite de la personne en face de toi. Les deux verres se confondent aisément.
Elle parut embarrassée.
- Et tu sais ça comment?
- Pour la même raison que toi. Je suis aussi gaucher.
- Attends! Ça fait plus de cinq ans qu’on se connaît!
- Normalement, je remarque quand les gens prennent leur stylo de la main gauche.
- C’est parce que je n’écris pas de la main gauche! J’ai appris à écrire de la droite. À la petite école.
Aucun de nous n’avait remarqué la dominante gauchère de l’autre, parce que nous avions eu la même éducation. Tous les deux, nous avions été forcés d’écrire de la droite et de vivre en droitier. Lire le reste de cet article »

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L’ingrat (texte ailé)

avion da vinci
Le géomètre a un fils qui périra noyé.
Marcel Labine

Altitude : 243 mètres
Température : 4° C
Distance parcourue : 16 180 mètres
Durée du vol : 6 h, 32 min

Camicos, Camicos, où es-tu?
Cocalos m’attend et je suis fourbu.

Jusqu’ici, tout va bien.
La cire tient le coup. Je n’ai perdu que 11% de mes plumes, bien en-deçà des prévisions. Mes bras commencent à être fatigués, c’est vrai, mon triceps droit surtout et mes intercostaux gauches, mais rien d’inattendu. Il me reste encore six dragées, du miel en abondance et une moitié de cervelas au vin résineux des coteaux de Cnossos.

George Frederick Watts

George Frederick Watts

Ma carrière a consisté à parer à l’imprévisible. Les longues semaines d’entraînement sur le sable frais de la demeure d’Astérion n’ont pas été inutiles, malgré les plaintes constantes de cette carie de fils, de cette craie blanche et fade qui me sert d’héritier. Moi, l’inventeur du fil à plomb et de la vrille, de la colle de poisson et de la hachette, moi qui ai su animer les statues de la Grèce et tromper le taureau blanc de Poséidon, qui ai dessiné les plans des plus beaux palais du monde et imaginé le Labyrinthe, ce joyau qui a fait ma fortune,  j’ai pour fils cet aède sans cervelle qui ne sait pas respecter les consignes.

Si seulement il pouvait voler en ligne droite, comme je le lui ai montré, nous pourrions économiser nos forces. Mais non, cet incapable d’Icare ne cesse de briser la ligne. Il volette çà et là, dessine des rhizomes et des spirales, des formes géométriques irrégulières qui me laissent hagard. Il a drapé son corps d’un velours incarnat qui se teinte de reflets cuivrés dès qu’il s’expose aux rayons du soleil. Je crains que nous ne nous fassions repérer. J’ai beau lui crier de descendre, il ne m’écoute pas. La jeunesse n’a que faire des vieux boucs et de leurs frayeurs. Talos avait la même arrogance. Il avait osé s’approprier mes plus subtiles inventions, les bras du compas et les dents de la scie. Mal lui en prit.

Le Labyrinthe. J’ai bien fait de prévoir deux façons d’en sortir, sinon nous y croupirions encore. Le fil et la plume. Les plus belles inventions sont les plus simples.
Un fil, qui l’eut cru!

Vents du sud-ouest : effet de convergence.
Mer : vagues déferlantes et récifs.

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Le contemporain et la crise: une relation nécessaire?

Si on veut lire le texte que j’ai écrit en marge de mon entrée « Le sacrifice selon le DVG« , on  peut se reporter au site de l’OIC, où il a été publié.

En voici les premiers paragraphes:

Quand j’ai lu pour la première fois René Girard au début des années 80 (dans un cours donné par André Vanasse sur la poétique de Dostoïevski), la portée de ses hypothèses sur le désir triangulaire, ainsi que sur le bouc émissaire et la crise sacrificielle dans les sociétés antiques m’avait grandement impressionné. J’admirais l’efficacité de ses thèses et l’éclairage immédiat qu’elles apportaient sur un état social sur lequel je ne m’étais pas encore interrogé, mais qui a, depuis, pris place au cœur de mes recherches. Cet état, c’est la crise et la violence qui lui est associée.

Je n’ai pas travaillé sur les sociétés anciennes à la manière de Girard, j’ai opté plutôt pour les formes contemporaines de la littérature et de la culture, mais la notion de crise m’a semblé pouvoir s’appliquer d’une façon tout aussi efficace. J’avais remarqué, par exemple, qu’on ne cessait de la reprendre, cette notion, et de la réintroduire à tout propos : crise de tout et de rien (crise du pétrole des années 70, crise de la masculinité des années 80, crise de la fin du livre des années 90, crise du passage à l’an deux mille, crise économique, crise politique – je donne ces exemples pour montrer le spectre très large de son utilisation). Elle apparaissait vraiment comme un leitmotiv. À tout moment, pour tout sujet, la crise était invoquée, façon de marquer l’urgence d’une situation et la nécessité d’agir. Frank Kermode avait déjà déclaré à cet effet que « C’est une particularité de l’imagination de se croire toujours à la fin d’une ère. » Ce à quoi, on se doit de répondre : c’est une particularité de l’imaginaire contemporain de se croire toujours en état de crise.

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Personne ici n’a de charme 8: la beauté par l’intégrité organique

charmeperso-8(photo: The Decemberists à Montréal; B. Gervais, 2011)

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Le sacrifice selon le DVG

Je continue mon exploration du Dictionnaire visuel Google. Après les figures de style et les formes de l’invisible, j’ai été intrigué de savoir ce que le DVG avait à montrer sur la question du sacrifice et du bouc émissaire. Que pense le DVG de la crise et du pharmakos?

C’est simple: n’importe quoi, comme d’habitude… des images sans véritable rapport… Des manifestations du commerce et de la publicité.  C’est la preuve que des images sont utilisées pour tout et à toutes les sauces. Je dis « utilisées », car je ne suis pas encore fixé sur la nature des relations iconotextuelles établies par le DVG.

Or donc,

Bouc émissaire

boucémissaire1

Mort sacrificielle

(il y aura toujours une femme nue dans une pose sexy)

mortsacrificielle

Pharmakos

(est-ce que quelqu’un peut me dire le rapport entre le pharmakos et le cabinet de toilette?)

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sacrifice rouge

sacrificerouge

sacrifice vert

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Anthropophagie

(L’autre, on commence à le manger par les pieds, c’est évident.)

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Personne ici n’a de charme 7: j’aimerais ça… avec toi

À Jonathan Lamy. Et aux amis du Off-ciel 2011.

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Les figures de style selon le DVG (Dictionnaire visuel Google)

Une nouvelle bordée? Pourquoi pas…

Et pour une réflexion sur la part du visible dans notre culture, on peut lire mon entrée de carnet sur le site de l’Observatoire de l’imaginaire  contemporain.


Prosopopée

prosopopée

Oxymore

oxymore

Litote

litote

Anacoluthe

anacoluthe

Hypallage

hypallage

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L’Immatérialité selon le DVG

Immatériel

immatériel

Invisible

invisibile

Vide absolu

vide absolu

Intangible

intangible

Irréel

irréel

Rien

rien

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Le néant (selon le DVG)

Qu’est-ce que le DVG?

C’est le Dictionnaire visuel Google.

Ou si vous préférez, la page de résultats « images » d’une interrogation sur le moteur de recherche de la divine compagnie.

Ce matin, en me réveillant d’une nuit d’insomnie, je me suis demandé: tiens! À quoi ressemble le néant? Je me suis rendu à mon ordinateur, qui reste ouvert en permanence, et j’ai interrogé le Dieu Google. C’est édifiant.Les augures n’auraient pas mieux dit.

Amen

le néant

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