Je me débats depuis deux semaine avec la structure du livre. Maintenant que la folie des conférences est passée, maintenant que je reprends une vie plus « normale » à New York, je n’ai plus d’excuse pour ne pas écrire. Et cela me rend très heureuse, et nerveuse. Sauf que je me retrouve confrontée à un problème bien simple: il ne s’agit plus tant maintenant d’écrire les nouvelles, les textes, l’un après l’autre, sans penser à l’ensemble, mais bien de commencer à penser à la chose comme tout. Et la chose n’est plus recueil de nouvelles depuis que Ginny Cooper et Leah se sont retrouvées dans le même escalier, et pas encore roman. Je me débats avec les personnages, parce que j’ai fait « l’erreur » de les construire seuls, isolés, et que maintenant, il me faut leur trouver des liens. Mais comment créer de tels liens sans forcer quelque chose? Devant chacun d’eux, je m’interroge, me demande si Eileen n’est pas Hélène, ou Louisa, si Andrew n’est pas à la fois le frère de l’une et l’amoureux d’Andrea qui ne s’appellerait pas Andrea mais autre chose. Une seconde, deux secondes, les liens font sens, et puis je trouve dans le texte quelque chose qui isole Andrew, ou Andrea. Pour résoudre ce quelque chose, il me faudrait accepter de sacrifier quelque chose du personnage, et alors ce serait forcer mes personnages à aller quelque part, à entrer dans une petite grille qui serait celle de cet étrange roman.
Dire qu’ils se trouvent tous le 11 septembre dans le World Trade Center est-il suffisant comme lien? Peut-être le World Trade Center en voie de destruction serait-il suffisant comme point commun. Ou alors ces relations croisées que je devine à peine pour le moment, et qui font que mes personnages semblent tous liés à quelqu’un du dehors, comme s’il ne m’était possible de les imaginer qu’ainsi, par le deuil de l’autre. Après tout, la « chose » devait avoir pour sous-titre « Des nouvelles du deuil ».
J’ai hésité pendant des mois à écrire ces personnages, parce que je résistais à l’idée de les faire souffrir et/ou mourir. Qui tuer, me demandais-je à chaque jour. Ce que je dois faire maintenant est un peu du même ordre : non plus tant qui tuer, que qui sacrifier « for the greater good », pour le livre en cours, pour leur donner plus de force par leur cohésion. Ce n’est pas vraiment plus facile, parce que je me suis attachée à eux, parce qu’il me semble les connaître. Et parce que je ne veux pas ni trahir ces personnages qui m’habitent depuis 3 ans, ni trahir le projet en lui-même.