La main, le souffle
  • Archives
  • avril6th

    J’arrive à ce point du travail où il me faut revenir sur ce qui est déjà écrit pour affiner le roman. Mon éditrice a beaucoup aimé « la chose », ainsi que je l’appelle, mais il y a du travail à faire sur la deuxième partie. Je sais pourquoi: le projet a été si longtemps un recueil de nouvelles qu’il était inévitable qu’un moment vienne où les nouvelles déjà écrites insistent et s’imposent dans le roman. Melanie, Maya, l’histoire de Frank, ils ont longtemps été l’ancrage du projet. Ce vers quoi le roman allait: donner une voix à ceux qui restent. Des nouvelles du deuil, comme le suggérait le premier sous-titre. Des nouvelles du deuil, parce qu’après la chute de la dernière tour, pendant que les débris étaient ramassés, passés au filtre, pendant que les grues et les torches défaisaient les tours, il y avait des corps, sous les débris, et des gens qui, quelque part dans leur maison, attendaient.

    Les personnages de cette deuxième partie ne sont pas du genre à crier sur les toits, à revendiquer quelque chose. Mais ils sont patients. Troublés par les événements. Et ce qu’ils ont à dire, ce n’est pas au monde, mais à celui ou celle qui est disparu que cela s’adresse. 8 endeuillés. 8 voix.

    Je tiens à eux. Mais il me faut sacrifier quelque chose, je le sens bien. Mieux les intégrer au roman. Alors j’essaie de couper, mais n’y parviens pas. J’essaie de transformer cette partie, de lui donner une trame narrative unique, d’enlever les multiples voix, et il me semble trahir mes personnages.

    Je dois sacrifier le livre que j’ai eu en tête pendant des années pour donner une voix au livre qui en est né. Je le comprends. Mais je ne sais pas comment y arriver. Je me sens comme lorsque je savais devoir tuer un personnage sans parvenir à me convaincre de le faire. Alors je retourne au livre à venir, j’y retourne en essayant d’entendre non pas ce que j’avais rêvé mais ce que l’écriture m’a révélé, lentement mais sûrement, au cours des derniers mois. Peut-être n’est-ce pas un si gros sacrifice: si la chose avait pu être un recueil de nouvelles, elle le serait restée.

    Je me répète cela. Je me le répéterai jusqu’à ce que j’aie réussi à faire naître de ce que j’ai devant moi un roman. Et j’ai l’intuition (ou l’espoir) qu’alors, il me sera impossible d’imaginer le roman autrement que ce qu’il est.