La main, le souffle
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  • novembre20th

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    Le cinquantième anniversaire de l’assassinat du président John F. Kennedy est l’occasion pour plusieurs médias de revenir sur les théories entourant cet assassinat. Oswald était-il seul? Y avait-il ce deuxième tireur? Qui payait Oswald? La survie de ces questions, 50 ans après les faits, et malgré plusieurs enquêtes, analyses et expertises médico-légales permet de réfléchir à la prégnance des théories du complot dans l’imaginaire américain.

    Dans un article pour Slate Magazine, William Saletan démontre que croire à l’une des théories du complot du 20e siècle (Roswell, l’assassinat de Kennedy, les attentats du 11 septembre 2001, etc.) conduit à croire à d’autres théories, en une sorte d’effet d’entraînement du doute.  »The more you see the world this way—full of malice and planning instead of circumstance and coincidence—the more likely you are to accept conspiracy theories of all kinds. Once you buy into the first theory, with its premises of coordination, efficacy, and secrecy, the next seems that much more plausible. »

    Dans les faits, les théories du complot séduisent parce qu’elles proposent un récit organisateur qui simplifie certains événements en leur donnant une agentivité claire: le grand méchant loup, le méchant Big Man.  »Conspiracy believers are the ultimate motivated skeptics. Their curse is that they apply this selective scrutiny not to the left or right, but to the mainstream. They tell themselves that they’re the ones who see the lies, and the rest of us are sheep. But believing that everybody’s lying is just another kind of gullibility », écrit Saletan.

    Tel est le motif principal des théories du complot: poser des questions qui, en réduisant les contradictions inhérentes à l’explication d’un événement historique complexe, proposent non pas des réponses, mais un doute. Car les théoriciens du complot sont beaucoup moins intéressés par les réponses qu’ils le sont par les questions.

    Pour lire l’article de Saletan, cliquez ici.

    Pour découvrir les travaux d’une équipe de psychologues sur les complots, The Psychology of Conspiracy Theorists, cliquez ici.

    Pour lire un article publié sur ce blogue à l’occasion de la visite du maître des conspirateurs, David Ray Griffin, cliquez ici.

  • décembre18th

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    Quand j’étais enfant, à chaque début d’année, les pompiers débarquaient à l’école et testaient notre rapidité à sortir des classes. Je me souviens des chronomètres, des tablettes rigides, du regard des pompiers alors qu’ils nous regardaient marcher-rapidement-sans-courir-en-file-indienne jusqu’au point de rassemblement. À partir d’un certain moment, ces exercices de feu n’étaient plus très effrayants, on s’y attendait, après tout, ils avaient tous lieu durant la semaine de prévention des incendies. Sauf l’année où, pour nous secouer un peu, ils ont décidé de faire passer un peu de fumée dans les tuyaux de l’école. En classe d’anglais, où nous regardions, hasard, un film en anglais sur les incendies, nous avons tous crié qu’il y avait de la fumée. L’enseignante nous a repris, en anglais, faut le dire en anglais, et nous avons crié très fort « smoke, room ». Nous sommes sortis, les enseignants, cette fois, étaient surpris, l’une d’eux s’est même coupée à la main en actionnant l’alarme d’incendie.

    Nous savions qu’en cas de feu, il fallait sortir, rapidement, ne pas se cacher dans un placard, ne pas courir ni pousser les autres. Les consignes étaient claires et logiques.

    En vieillissant, je me suis rendu compte que la menace changeait. J’ai grandi pendant les années où des visages d’enfants disparus ont commencé à apparaître sur les cartons de lait et où on nous a répété qu’il ne fallait pas suivre les hommes quand ils voulaient nous offrir des cadeaux ou des bonbons.

    Il y a eu, j’étais plus vieille, polytechnique, et le prof de la polyvalente qui verrouille la porte de la classe d’histoire le lendemain matin.  Mais c’était loin, tout ça.

    Notre vie était un peu plus simple, plus sûre, peut-être, ou à tout le moins, quelques lieux nous paraissaient sécuritaires: la maison, l’école.

    J’écoutais l’autre soir des témoignages d’enfants et d’adultes survivants de l’école de Newtown. Je m’avoue, sans problème, profondément troublée par ces meurtres d’enfants qui n’en finissent plus, comme si les adultes oubliaient, en cours de route, qu’on ne tue pas des enfants. On ne tue pas, c’est simple, mais si on veut se tuer, on le fait chez soi, pas la peine de répandre autour de soi tant de destruction. Mais je m’égare. J’écoutais les témoignages, donc, de parents d’enfants qui ont survécu. Chacun de ces parents disaient de leur enfant qu’il avait suivi les règles, « the drill »: s’il y a des coups de feu, tu te caches, tu ne fais pas de bruit, tu ne pleures pas. Si quelqu’un entre avec une arme à feu, tu cours très vite et vas avertir un adulte. Je les écoutais, donc, et voyais à quel point ils étaient rassurés parce que leur enfant avait fait ce qu’il fallait et n’était pas mort, même si la corrélation entre les deux est plutôt mince et arbitraire (les tueurs se soucient peu de savoir qu’un enfant fait ce qu’il faut. Ils tirent dans le tas, sans discriminer, ils sont égalitaires dans leur destruction).

    Je les écoutais, et me demandais comme on était passé des règles de prudence (sortir d’un immeuble quand il y a le feu, ne pas suivre des gens qu’on ne connait pas, etc.) à ce point où l’on considère non seulement normal mais souhaitable qu’un enfant de 5 ou 6 ans soit préparé à réagir à une fusillade. Je me disais que vraiment, au fond, cette fabuleuse liberté dont se réclament les Américains, elle n’est pas si fabuleuse que ça. Certes, l’ennemi n’est pas le même: il prend le visage de la folie, du désespoir, du défaut d’empathie, il ne se réclame pas nécessairement d’idées politiques. L’ennemi n’est pas hors des frontières, il est à l’intérieur. Et peut-être est-ce là que se trouve le danger: dans un pays où les enfants savent qu’ils ne sont en sécurité nulle part, même dans une école d’une banlieue cossue, dans un pays où rien ni personne n’est protégé de ce qu’on appellera folie parce qu’on ne peut le comprendre. À tout prendre, ne serait-ce pas « mieux » de vivre honnêtement en zone de guerre, où l’ennemi est connu, où le danger fait clairement partie du quotidien? Ne criez pas. Je me demande seulement comment on peut se targuer de liberté et de progrès quand les enfants sont tués dans leur classe pendant qu’ils écoutent quelqu’un leur raconter une histoire ou leur montrer à attacher leurs souliers.

    La fin du monde, celle dont avait peur la mère du tueur, n’arrivera peut-être pas. Mais ce qui se passe en ce moment, alors que les plus vulnérables sont les premiers atteints par la folie des autres, n’est-ce pas pire qu’une catastrophe nucléaire? Je ne sais pas. Je sais juste qu’il faut qu’on arrête de les enfants. De tuer. Je ne veux pas mettre un enfant au monde en sachant d’avance que je devrai lui apprendre que même en temps de paix, il doit savoir comment fuir les coups de feu, quitte à faire le mort en se couvrant du sang de ceux qui sont déjà atteints par les projectiles. Je ne veux pas que mon enfant, à 5 ans, soit déjà capables de concevoir cela.

  • juillet20th

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    Peu de temps après mon arrivée à Montréal, au tout début des années 1990, j’ai commencé à travailler dans un restaurant. J’avais 18 ans, c’était mon premier « vrai » emploi, et j’aimais le fait que, tout l’été, mon cerveau prenait une pause, sortait des livres, et se concentrait sur la fabrication des bloody cesars, espresso et shirley temples. J’y ai travaillé 3 ou 4 ans, je ne me souviens plus très bien. Mais je me rappelle, par contre, de ce matin où, à mon arrivée, j’ai appris qu’un serveur que j’aimais bien venait de mourir. Il n’était pas bien vieux, peut-être 30-35 ans, mais le sida venait de l’emporter. Je me souviens avoir parlé à un vieil ami de cette mort qui m’avait surprise et peinée. Lorsque je lui ai dit la cause du décès, il a répondu: « Il était gai? » Je m’en veux encore d’avoir répondu oui, comme si cela expliquait et justifiait tout, comme si la mort de cet homme aux prises avec une maladie comme le sida était moins grave parce qu’il avait « vécu sa vie », autrement dit avait peut-être été imprudent. Aujourd’hui, je rappellerais à mon vieil ami qu’il est difficile de se protéger quand on ne connait pas la menace, quand la menace commence à peine à être comprise. Je lui dirais aussi que peu importe, au fait, le genre de vie qu’avait mené ce collègue: il était mort, emporté par une maladie qui ne pardonne pas.

    J’ai repensé à cela, ce matin, en lisant des articles sur la tuerie au Colorado et en lisant les commentaires sur les réseaux sociaux. Je suis bien évidemment toujours choquée par la facilité avec laquelle il est possible, aux États-Unis mais aussi de plus en plus ici, de se procurer une arme à feu. Mais au-delà de l’horreur et de l’arbitraire d’un tel acte, c’est autre chose qui me frappe ce matin, autre chose que les multiples noyades d’enfants, cet été, ne peuvent faire autrement que d’aviver: au Colorado, des enfants sont morts dans cette fusillade. Mais que faisaient des enfants (dont un nourrisson) dans une salle de cinéma après minuit devant un film violent?, s’empresse-t-on de demander sur Facebook. Je ne sais pas, au fond, pourquoi des enfants y étaient. Mais est-ce vraiment ce qui compte? La chose la plus importante, dans tout ceci, est-elle vraiment la raison qui aurait poussé des parents à faire voir un film violent à des enfants, si tard le soir?

    Il me semble que non. Il me semble aussi qu’il est extrêmement facile de juger la mort, surtout des enfants, en questionnant le mérite ou les aptitudes des parents.

    Je le fais moi-aussi: mes parents n’ont jamais déplacé les produits ménagers dangereux pour éviter que nous y ayons accès. nous avons eu une piscine, chez moi, quand j’étais assez petite, et jamais nous ne nous en sommes approchés quand il n’y avait pas d’adulte.  Nous savions ce que nous n’avions pas le droit de toucher, où nous n’avions pas le droit d’aller. C’était, bien sûr, bien avant les barrières de sécurité, les bloque-toilettes et prises de courant, l’industrie du « baby-proofing ». Ni mon frère, ni moi (la fouilleuse et la téméraire) n’avons été blessés, empoisonnés, électrocutés. Alors oui, parfois, je m’étonne et m’insurge quand je vois qu’un autre enfant a échappé à la surveillance de ses parents. Puis je me rappelle qu’il faut à peine une ou deux secondes d’inattention. Que les parents n’ont pas besoin qu’on ajoute à la culpabilité bien naturelle qu’ils doivent ressentir devant une mort aussi absurde et cruelle.

    Juger de la mort, de la catastrophe, est un réflexe maintenant. « Moi, si j’avais été dans l’avion, j’aurais arraché le couteau aux terroristes et l’avion ne se serait pas écrasé », de dire une femme après les attentats de 2001. Peut-être est-ce notre peur devant la mort qui parle et nous fait dire n’importe quoi plutôt que d’admettre que les morts bêtes existent. Que la mort, quand elle frappe, et surtout quand elle est décidée par quelqu’un qui a mis la main sur une arme et se fout de la vie des autres, n’y va pas au mérite, ne punit pas, est entièrement, totalement, et d’une manière tellement terrifiante, aveugle.

    Dire « à quoi pensaient les parents d’amener des enfants voir un film à minuit », dire « voyons, surveiller un enfant, ce n’est pas si difficile, les parents auraient pu faire mieux », c’est la même chose, au fond, que de dire qu’une fille s’est fait violer parce qu’elle portait une jupe trop courte, ou qu’elle rentrait trop tard, ou qu’elle était trop belle, ou qu’elle était « facile ». C’est oublier qu’une femme, même nue, même soule, ne perd jamais le droit de dire non.

    C’est aussi, et surtout, penser que la mort et la violence ne touchent pas ceux qui font tout comme il faut. Ce serait rassurant, de penser ainsi. Mais la mort se fout des convenances et des règles, des bonnes intentions et des essais de perfection.  Les humains sont cons quand ils se rendent compte qu’ils peuvent tuer.

    Je mets un casque à vélo. Je m’attache en voiture. Je ne bois pas si je conduis. Je me tiens loin des drogues. Je protégerai mes petits avec la prudence d’une louve, leur mettrai des gilets de sauvetage, ferai tout pour éviter un accident. Mais je sais aussi qu’un accident arrive.

    On peut essayer de se rassurer comme on le peut, mais quand elle décide que c’est le temps, la mort se foutra toujours des barrières de sécurité, des règles de vie, des bonnes manières. Elle se mettra les coudes sur la table, rotera, et fera ce qu’elle veut. Parce que la mort est une salope.

  • avril29th

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    J’ai négligé ce blog, depuis mon retour de New York, parce que la vie se faisait compliquée, et qu’il y avait plus important que les mots du 11 septembre. Ils étaient toujours là, en toile de fond, mais s’agitaient, devant, le deuil et la perte. Et puis il y a cette grève, qui ravage mon Québec étudiant, et qui donne lieu à des excès, des idioties, des violences, de la manipulation.

    Des étudiants ont mis sur pied Fermaille, un “expiratoire de création”, un journal de grève. Je vous encourage à aller y jeter un coup d’oeil, ça vaut le détour. J’y publie tout juste un article, né de l’insomnie, que je reproduis ici:

    Je suis inquiète. Tous les matins, j’ouvre les yeux et espère une résolution. Tous les matins, je crains de lire qu’un étudiant a été tué. Je ne dors plus. La nuit dernière, après une autre émeute fomentée non par vous, mes amis étudiants, mais bien par des fauteurs de trouble qui utilisent tous les prétextes pour « s’amuser » — en serions-nous là si le Canadien avait fait les séries? C’est une question idiote, je sais, mais imaginez, les émeutes quand le Canadien perd, quand il gagne, c’est peut-être quelque chose comme une soupape dont ont besoin les Black Bloc, qui expliquerait qu’ils se tournent maintenant vers les manifestations étudiantes? —, la nuit dernière, donc, je n’ai pas dormi. J’ai lu. Je suis retournée voir mon cher René, lire ses mots, parce qu’il a dit, avant que cela me paraisse évident, il a dit ce qui nous arrive à tous. René Lapierre, dans ses essais/poèmes, nous regarde tous nous débattre et lucidement, tendrement, nous dit :

    « il n’y a pas trente-six moyens. Il ne s’agit plus de tenir, ni de lâcher. Quels sont vos commandements, d’où viennent vos ordres : faites attention, prenez soin, veuillez croire, et agréer, et recevoir, et cetera.
    Il faut les lire pour ce qu’ils sont.
    Les verbes chuchotent en secret des prières, raides de peur.
    Les temps ne sont pas des temps mais des mondes : l’évidence des passés, la tendresse des futurs.
    Tenir est un infinitif, il n’a rien dit de votre amour. » (Aimée soit la honte)

    On parle de vous, dans les médias, et les mots me heurtent, à chaque instant, parce qu’ils disent à quel point on méprise le savoir, le futur. Vous êtes le futur, vous tous, que vous soyez pour ou contre la grève, vous qui travaillez 30, 40 heures pour survivre pendant vos études, vous qui, après 11 semaines de grève, êtes cernés, fatigués, usés par ces mêmes mots qui répètent à chaque jour, de toutes les façons possibles, que vos sacrifices ne comptent pas. Nous sommes un drôle de peuple, qui craint ses richesses, a honte de ses succès, préfère le statu quo au changement. Nous avons honte, oui, de demander mieux. Ce n’est pas nouveau : il fait si froid dehors que nous préférons encore vivre pétrifiés à l’intérieur, dans notre petit confort, de crainte que ce ne soit pire. Mais vous, étudiants, n’avez pas honte. On vous a dit gâtés, enfants-rois, profiteurs, riches. Vous répondez sagement, simplement, non. Vous expliquez la réalité de ce que vous êtes, vous tournez vers les politiques vos regards critiques, et vous dites Non. Non, nous n’accepterons pas le sabotage complet des gains du passé. Non, nous ne retournerons pas dans la noirceur où seuls les plus riches avaient accès à l’éducation. Non, nous ne vous croirons pas quand vous nous direz que nous devrions avoir honte de demander, d’exiger de vous qui êtes au pouvoir transparence, cohérence, respect.

    J’ai, il n’y a pas si longtemps, fait parvenir à tous ceux qui se trouvaient dans mon carnet d’adresse un message accompagnant un document où avaient été colligés des témoignages de gens qui, comme moi, se sont endettés pour leurs études et qui, comme moi, payent le prix d’un système qui n’enrichit que les banques. Je signais : Annie Dulong, PhD, endettée et fière de l’être. On m’a demandé : pourquoi, fière de l’être? J’ai hésité. Et puis non, me suis-je dit. C’est bien là le nœud du problème. On veut que j’aie honte. On veut que je pense qu’il n’y a rien de pire que de croire qu’on peut, avec son savoir, ses connaissances, son éducation, apporter quelque chose à une société qui a plus que jamais besoin de gens capables de la penser. On veut que j’aie honte des années de vache maigre où la vache coutait franchement trop cher pour se trouver une place dans mon frigo. On veut que j’aie honte de cette pauvreté qui me poursuit depuis, à grands coups d’endettement et d’insécurité, parce que l’avenir des emplois permanents dont ont bénéficié les deux générations précédentes n’existe pas pour ma génération, pour la vôtre. Ils pouvaient réussir avec peu, se frayer un chemin à grand coup de travail, même sans éducation. Pas nous. La mobilité sociale n’existe plus vraiment pour nous, même avec une bonne éducation, nous sommes de la génération des précaires. Je suis endettée parce que j’y ai cru, à mon rôle dans cette société. Je suis endettée, et je me ré-endetterais demain matin, parce que je sais que nous tous qui nous battons aujourd’hui avons une voix. Je suis endettée, je n’en ai pas honte, mais je me demande, avec vous, s’il n’y aurait pas moyen de faire autrement.

    Ici, on continue à avoir honte. Elle vient de si loin, la honte, des prêtres qui nous disaient que nous étions nés pour un petit pain, que vouloir mieux, que vouloir plus, était un péché. Ils voulaient que nous soyons tous sages, des prisonniers modèles d’un système qui ne pouvait se maintenir qu’en nous affaiblissant. Leur survie en dépendait, eux, les plus riches, qui collectionnaient églises et richesses sur le dos de leurs « brebis ». Vous, mes amis étudiants, êtes les enfants de ceux qui, pour la première fois, ont dit non. Ils ne s’en souviennent plus, le confort rend amnésique, mais ce sont eux qui ont dit aux prêtres, à la manière de Bartleby, « I would prefer not to ». Je préfèrerais ne pas travailler toute ma vie dans la peur. Je préfèrerais ne pas les croire quand ils me disent qu’une femme qui choisit ce qu’elle veut pour elle-même, pour son corps, commet un meurtre. Je préfèrerais ne pas les croire quand ils essaient de me faire taire, de me retirer ma voix, sous prétexte que je devrais écouter les « grands ». Je préfèrerais ne pas les laisser me retirer la possibilité d’avoir le choix, pour tout ce que je serai, plutôt que de devoir me reposer sur le déterminisme social.

    Depuis le début, je suis inquiète, donc, parce que je les entends parler de vous comme si vous étiez encore des enfants, biberons à la bouche, alors qu’ils vous en demandent toujours plus, pour vous faire taire, vous ruiner de dettes, vous rendre dociles. Je suis inquiète, mais rassurée de vous voir aller, sans honte, carré rouge porté fièrement pour montrer que vous savez, d’une connaissance ancienne, que vous méritez mieux que l’îlot voyageur, les voyages en première classe des recteurs, les frais de fonctionnement qui ne paient que des cadres, rarement de nouveaux professeurs pour vous accompagner. Je m’inquiète des débordements, j’ai peur pour votre sécurité, et me rends compte que je ne crains pas de vous voir déborder, mais bien que ceux qui prétendent vouloir vous protéger réussissent à vous matraquer jusqu’au silence. Alors je me prends à espérer, en vous regardant, que vous saurez vous battre là où ma génération a baissé les bras trop vite. Que vous continuerez à utiliser les médias sociaux pour vous protéger des médias qui se disent objectifs mais ne voient que ce qu’ils veulent voir, n’entendent que ce qu’ils veulent entendre. J’espère, aussi, bien humblement, que vous savez à quel point vous êtes beaux dans cette force qui vous unit, dans cet avenir que vous nous donnez à voir.

    Et j’espère que vous continuerez à vous bâtir un monde où nous dépasserons enfin le « I would prefer not to » de la honte et commencerons à dire « Nous méritons ceci ».

  • janvier20th

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    J’ai consacré les 4 dernières années à travailler de manière intensive sur l’imaginaire du 11 septembre 2001. J’ai vécu à New York, lu des romans et des essais, regardé des films, observé un nombre incalculable de photographies, et écrit des conférences et un roman. Je ne sais pas pourquoi le 11 septembre est devenu un objet de recherche, mais c’est ce qui s’est produit. Et cela l’est encore.

    Je suis allée plusieurs fois visiter le nouveau mémorial à Ground Zero. Chaque fois, j’ai l’impression de visiter des gens que j’ai aimé: je reconnais leurs noms, sans les avoir vraiment rencontrés, je m’arrête et réfléchis. La disposition du mémorial, avec ses deux immenses bassins, me rappelle inévitablement ce qui était là, le matin du 11 septembre, et il me semble pouvoir voir tout à la fois l’avant et l’après, comme s’ils coexistaient sur le site.

    Je voulais voir le site la nuit. J’y suis allée un mardi soir, comme ça, même s’il faisait froid. Le vent était particulièrement violent. Tellement, qu’ils ont dû arrêter les trombes d’eau du bassin nord. Cela m’a semblé approprié, surtout lorsqu’on sait à quel point le vent a été un enjeu lors de la construction des tours: parce que le vent enroulerait les surfaces carrées des tours, créant de véritables vortex, ils ont conçu les tours pour qu’elles puissent tanguer, jusqu’à 2 mètres (si je ne me trompe pas dans la mesure), tout en haut, sans se briser.

    Je me suis promenée sur la plaza, la main glissant sur les noms. Autour de moi, des touristes se faisaient prendre en photo devant le mémorial, souriant. Je me suis rappelé cet homme, pris en photo alors qu’il tenait fièrement un morceau de débris le 11 septembre, son rire venant nier la destruction s’agitant derrière lui.

    Puis, j’ai aperçu l’intérieur du futur musée. Je savais qu’il y aurait deux tridents tirés des débris, je les avais vus être installés avant que la structure du musée soit érigée. Depuis, je les attendais.

    Même ainsi, extraits de ce qui les entourait jusqu’au matin du 11 septembre, ils étaient imposants. Je me suis approchée, jusqu’à presque toucher le verre de la façade, pour pouvoir les voir entièrement. L’appareil était pour une fois un obstacle. Tournant autour du musée pour voir les tridents sous tous les angles possibles, j’ai découvert, sur la face extérieure de l’un d’eux, identifié par « North Tower, 1), le mot « SAVE », peint à l’aérosol. Soudainement, ce qui avait donné à la tour nord son caractère imposant, ligne de fuite partant du sol pour se rendre tout en haut de la tour, révélait sa fragilité. Même l’acier ne peut survivre à tout.

    Comme tous ces gens que je n’ai jamais rencontrés, comme les personnages que j’ai créés sans qu’ils ne soient de vraies personnes dans les tours, ces tridents sont de vieux amis. Et ce soir-là, j’étais venue leur rendre visite.

  • décembre11th

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    À quel moment les images des tours en flammes s’effaceront-elles de nos esprits? à quel moment cesserons-nous, devant un gratte-ciel, d’envisager la possibilité de sa chute? Suis-je seule, depuis le 11 septembre 2001, à ne plus croire à cette « éternité » qu’on a longtemps associée à l’architecture, ces traces qu’on retrouve parfois longtemps après la disparition des peuples qui ont pensé, construit et habité un espace?

    Si les temps actuels nous apprennent quelque chose, c’est peut-être que les vieux dictons ne tiennent pas la route: les écrits restent, certes, mais plus sous leur forme papier. Et les gratte-ciels, eux, peuvent disparaître, rapidement, en quelques minutes. Je suis sûre que Minoru Yamasaki, cet architecte qui a pensé et construit les tours de New York, ne pensais pas qu’elles disparaîtraient aussi rapidement, en moins de 30 ans. Il imaginait sûrement laisser sa trace sur la ville, longtemps après sa mort.

    J’envie les Anciens, ceux dont on explore les ruines dans les déserts d’Égypte et d’Afrique. Leurs moyens étaient certes plus limités que les nôtres, mais leur travail d’artisan, lui, a dépassé les attentes. Et les attentats.

    Bref. Ce long préambule nait d’une question simple: à quel moment les images des attentats cèdent-ils le pas, dans nos esprits? La firme néerlandaise MVRDV vient de dévoiler un rendu pour « The Cloud », 2 tours résidentielles qui seront construites à Seoul. Les deux tours, aux formes géométriques simples et proches des tours du World Trade Center, présente toutefois, au trois quart de leur hauteur, « le nuage » à proprement parler, qui vient les unir et qui sera un espace atrium. C’est beau. Intéressant. Mais cela rappelle, résolument et sans aucun doute (au moins dans mon esprit), les tours en feu, voire plus précisément les explosions mêmes: cette boule de feu qui a envahi la surface de la tour, transformant les lignes dures en leur ajoutant cette sphère aux contours changeants.

  • septembre15th

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    J’étais à New York lorsque Barack Obama a annoncé la mort de Ben Laden. Avec des copines, malgré l’heure tardive, je suis partie voir sur Times Square ce que les Américains feraient de l’annonce. Moins de 40 minutes après le discours d’Obama, Times Square était déjà rempli: des hommes, des femmes, des appareils photos et des drapeaux. Oui, les drapeaux étaient en vente si rapidement que cela. Sur la place, des chants ont surgi: U.S.A., U.S.A. C’étaient des chants de victoire, ils me rappelaient les cris d’un aréna pendant un tournoi d’hockey, lorsque j’étais plus jeune. Ou ces multiples images des victoires des Canadiens, à Montréal. J’ai craint, un peu, les débordements, le vandalisme, les émeutes, mais l’humeur, ce soir là, était à la fête. De temps à autre, quelqu’un apparaissait qui ne savait pas pourquoi tout ce monde, tout ce bruit, un dimanche soir bien ordinaire. Il y avait alors quelqu’un dans la foule, heureux de partager la « bonne nouvelle ».

    Je ne pouvais m’empêcher de me dire que ces cris, ces hourras, ces célébrations, les Américains étaient les premiers à la décrier lorsqu’ils les voyaient chez leurs ennemis. Que pensait-on, de l’autre côté du monde, de cet assassinat ciblé d’un chef de guerre? À quelles conséquences s’exposaient les États-Unis? N’était-ce pas d’inciter à la violence que de célébrer de la sorte? Mais ce soir-là, l’humeur n’était pas à la réflexion, ni à la mise en perspective. Pour les New Yorkais, la mort de Ben Laden représentait la fin d’un cycle.

    Il était inévitable que cela arrive, j’aurais dû le prévoir: soudain, devant moi, j’ai vu un camion de pompiers. Les hommes, assis sur le toit, le long de l’échelle, souriaient, devenus les vainqueurs que chantait la foule. Plus que les Navy Seals ayant conduit l’opération, les héros de la mort de Ben Laden étaient, pour les gens massés sur Times Square, les pompiers.

    Ce que l’acteur Rob Lowe faisait là, assis avec les pompiers, je ne l’ai jamais su. Peut-être avait-il ce soir-là besoin d’être applaudi. Allez savoir.

    Je continuai à regarder autour, à photographier les gens qui photographiaient les pompiers. J’avais l’impression, la certitude, de voir là non pas un événement historique, mais des gens déterminés à faire de l’événement un événement historique. Pourtant, ce n’était pas tout à fait ça qui avait retenu mon attention.

    Je n’étais pas sûre de ce que j’avais vu. L’imaginaire américain a tellement d’affection pour ses images iconiques, tend tellement à les reproduire d’une manière en apparence inconsciente (un imaginaire inconscient est un drôle de concept…), que j’ai d’abord cru à une illusion. Il faut dire que je travaillais depuis un bon moment sur ces images qui ne cessent de surgir, sur ces échos entre les temps et les moments historiques, sur cette reprise des images dans les romans. J’ai donc pensé d’abord à un « trick of the mind », un de ces faux échos qui, lorsqu’un peu de temps a passé, ne tiennent pas la route. Les photographies sont restées sagement dans mon ordinateur, attendant que je revienne à elles, attendant que je sois sûre, en les retrouvant, de ce que j’avais entrevu.

    Mon cher ami Eric Lint s’intéresse aussi aux échos, aux rimes entre les événements, mais ce sont d’autres échos qui l’interpellent. Dans un texte, paru ce septembre dans un collectif que j’ai eu la chance d’éditer, Eric Lint/Bertrand Gervais s’interroge sur une sculpture construite à partir d’une photographie de Ebbets prise pendant la construction du Rockefeller Center. Fasciné par la photographie de Ebbets qui montre 11 hommes lunchant sur une poutre, très haut dans le ciel, comme s’ils ne risquaient de tomber, Bertrand a tenté d’en faire un roman. Puis le 11 septembre. Et une visite à Ground Zero. Où il tomba, interdit, sur une image inimaginable : près de la passerelle où, dès le 30 décembre 2001, il fut possible de jouer les touristes pour voir la destruction, Bertrand vit la sculpture faite à partir du cliché de Ebbets. Devant la sculpture, le sculpteur. Dans les mains du sculpteur, l’image d’Ebbets. Et devant le sculpteur, un photographe, immortalisant, au pied des ruines, à la fois l’œuvre, l’image du sculpteur, et sa filiation. Bertrand écrit : « L’image engage ensuite à un étonnant parcours temporel, depuis le passé lointain de l’érection du Rockefeller Center et le passé récent de l’écrasement des tours du World Trade Center, jusqu’au présent inattendu de ma présence en ce lieu, après une matinée de déambulations. Quelles cordes a-t-il fallu nouer toutes ces années pour faire en sorte que cette situation se réalise? Que je sois là, à ce moment précis, et que mon regard se porte là, à cet endroit précis où les nœuds forment des boucles? »

    J’avais lu ce texte, plusieurs fois, par intérêt mais aussi parce que je voulais l’inclure dans le collectif. Et puis, un soir de mai, je me suis rendu sur Times Square. On venait d’annoncer la capture et l’assassinat de Ben Laden. À la veille du dixième anniversaire des attentats de 2001, alors que je me consacrais entièrement à mon travail sur les répercussions de l’événement en fiction (et dans ma propre pratique), ce moment était aussi inespéré qu’incontournable. Sur Times Square, l’imaginaire américain s’agitait, à coups de cris de victoire, U-S-A, de chants patriotiques, de drapeaux et de prises de clichés. Et les pompiers jouaient le rôle qui leur revenait : dans l’imaginaire héroïque américain, les pompiers sont au 11 septembre ce que les travailleurs comme ceux saisis par Ebbets étaient aux années 1920 : l’avenir, la force. C’était leur moment, pouvait-on penser, après que ces pompiers aient perdu tant de leurs camarades dans les attentats, et après que plusieurs se soient retrouvés aux portes de la mort pour avoir passé autant de temps à chercher dans les débris de minuscules fragments de corps humains. Assis sur l’échelle de leur camion, les pompiers, bien cordés, accueillaient l’hommage qui leur était fait. L’ennemi numéro 1, le seul visage de l’ennemi connu, venait de disparaître. Dans l’imaginaire américain, cela se traduisait par une victoire, peu importe ce que cela pouvait signifier en termes d’avenir ou de politique internationale.

    J’ai pris quelques photos. Je suis demeurée hantée par ces pompiers.

    *

    En arrivant à New York, ce septembre, à la toute veille de la commémoration des attentats, la navette qui me conduisait à l’hôtel a remonté Broadway. La journée avait été dure, mon vol retardé de deux heures, et le parcours de l’aéroport jusqu’à Manhattan me prendrait un peu plus de deux heures. New York m’accueillait en me faisant mériter mon arrivée, en se rappelant à moi à coups de klaxons et de bouchons de circulation. J’avais faim, j’étais fatiguée, et si j’accueillais avec plaisir mon retour à New York, j’avais hâte de ne plus être dans cette navette.

    Je regardais partout. Et puis voilà que je l’ai vue. Installée sur un camion en plein Broadway, dans Soho, la sculpture qui a tant fasciné Bertrand était revenue, invitée par l’anniversaire qui s’en venait. J’ai vu quelque chose, ces rimes dont parle Bertrand, puis la camionnette a continué son chemin.

    Après, ce n’était qu’une question de temps pour que je fasse les liens. Je suis revenue sur Broadway, lorsque la mousson des premiers jours de mon séjour fut passée. La sculpture était encore là, le sculpteur vendait de petites reproductions, des images, des bibelots. De face, je la trouvais moins puissante que l’image d’Ebbets.

    J’ai traversé la rue. Je ne voyais pas ce que j’avais cru voir. Et puis là, alors que les hommes lunchant en haut du Rockefeller Center me faisaient dos, j’ai compris. Ce n’était pas la présence de Rob Lowe qui m’avait troublée. Pas plus que c’était l’image de Ebbets reprise par le sculpteur. C’était le point de rencontre de deux moments historiques distincts, réduits à une seule image qui se répète.

    11 pompiers, posant pour la foule. Je les ai comptés: ils étaient 11, comme dans la photographie d’Ebbets. Eux aussi, en hauteur.

    Alors voilà. En 2011, quelque part sur Times Square, les événements se mettaient encore une fois à rimer entre eux. La photographie de Ebbets s’agitait, derrière ces pompiers, derrière la sculpture de Furnari, elle continuait de déterminer un parcours, de déclarer des vainqueurs et des héros. Et comme mon ami Bertrand, j’avais été là, au bon moment, pour voir l’image répéter son histoire.

  • août23rd

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    J’ai passé 9 mois à New York, avec comme paysage tous les jours l’Empire State Building. J’ai suivi, par l’observation de l’ESB, la météo: on mesurait le sérieux de l’orage par l’étendue de la disparition de l’immeuble (seulement la cime, ou jusqu’à l’observatoire, ou plus bas encore), on saluait le coucher du soleil en voyant le rose envahir la façade de l’immeuble.

    C’était la même chose, évidemment, pour le World Trade Center, ses surfaces reflétant la lumière, sa cime disparaissant dans les nuages comme dans la photographie choisie pour orner la couverture de Falling Man, de DeLillo.

    Après le tremblement de terre qui vient de secouer la côte est des États-Unis sans conséquences catastrophiques, Amy Davidson du New Yorker réfléchit à ce qui fait tomber les gratte-ciels et s’interroge: « We are headed to the anniversary of September 11, 2001, for which we will doubtless be reminded many times how disastrous the beauty of that day, blue and bright, was for all of us: might the hijackers, with their limited flight experience, have missed at least one of the towers against a cloudier, uglier sky? » Peut-être ne cessera-t-on jamais de s’interroger sur la signification et le rôle de ce ciel bleu dans la « création » du 11 septembre 2001: le 11 septembre joue-t-il un si grand rôle dans l’imaginaire contemporain justement parce que ses images, le rouge des explosions contre l’immense bleu du ciel, sont aussi spectaculaires que belles? Que ce serait-il passé s’il avait plu, ou si, comme cela arrive souvent à tous les grattes-ciels de New York, les tours avaient été avalées par le brouillard? Les terroristes auraient pu rater leur cible. Les caméras auraient pu ne pas pouvoir montrer les tours en feu. Quelle mémoire garderait-on de l’événement sans la force de ses images?

    L’expression « Out of the blue », inspirée directement de ce ciel bleu, témoigne aussi d’autre chose: le côté imprévisible des attentats, voire gratuit et arbitraire. Out of the blue, cela veut dire aussi qu’il faisait trop beau pour que la catastrophe se produise, et, par extension, que ceux qui peuplaient les tours étaient trop innocents pour que l’attaque soit justifiée. Out of the blue, comme ces « acts of God », tremblements de terre, inondations, tsunamis, ouragans, comme toutes ces fois où la force de l’homme échoue à contrôler la force de la nature. Mais le 11 septembre n’est pas un « act of God ». Il n’est pas non plus un « act for god ». Le 11 septembre, qu’on veuille l’admettre ou non, est la conséquence de politiques, d’actes de guerre, d’actes colonisants, de frustrations réelles ou imaginées, de peurs, de luttes vieilles de 50, 100, 200 ans. Tout comme ces « acts of God » qui, souvent, résultent de l’empreinte de l’humain sur son environnement.

    Ce qui est étonnant, dit un auteur dont je ne me souviens plus du nom ni du livre à l’instant, ce qui est étonnant, ce n’est pas que cela ait eu lieu, mais bien que cela ait eu lieu à ce moment-là, avec ces conséquences-là. Je ne fais pas de la politique ici, ni ne souhaite défendre ou justifier qui ou quoi ce soit. Je dis seulement que la propension de l’humain, depuis aussi longtemps que l’histoire peut le raconter, a été de travailler très fort à s’auto-détruire, à lutter pour un bout de terrain, pour la main d’une femme, pour des raisons qui nous paraissent, avec le recul de l’histoire, n’être pas des raisons. Le 11 septembre n’était donc pas « out of the blue ». Même s’il a fait cruellement beau, ce matin-là.

  • juillet14th

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    À la fin de la journée du 11 septembre 2001, des pompiers ont hissé un drapeau américain sur les ruines fumantes. Le geste a été photographié. La photographie, en reprenant les traits de la photographie de Rosenthal à Iwo Jiwa, est devenue le marqueur de l’imaginaire héroïque américain: apposé contre la destruction des tours, le geste victorieux de la reprise de possession, geste teinté par un autre moment de l’imaginaire victorieux des États-Unis, a servi à modifier le sens des attentats.

    Le drapeau de cette photographie a été utilisé à plusieurs moments au cours des dernières années, pour marquer la « victoire » en Afghanistan, pour encourager les victimes d’ouragan, etc. Aujourd’hui, à quelques mois des célébrations du 10e anniversaire des attentats, le drapeau entreprend une tournée dans les 50 états des États-Unis. Il y sera recousu par différents représentants politiques et historiques: des membres de la famille de Martin Luther King Jr, un survivant de Pearl Harbor, etc. Le geste, hautement symbolique, consiste finalement à réparer les cicatrices du 11 septembre 2001 en l’inscrivant au cœur d’une logique de résilience et de victoire. Ils vont même jusqu’à utiliser du fil venant du drapeau sur lequel Lincoln a été déposé après avoir été atteint par balles.

    Pour lire l’article du New York Times, cliquez ici.

  • mai24th

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    Lutte

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    L’homme, debout dans l’entrée du wagon, regarde l’autre qui, assis près de la porte, l’ignore. L’homme debout est vieux, non seulement de corps, mais mentalement. On le sent fatigué. Usé. L’autre n’a pas envie de se faire embêter, pas ce soir, il a fait sa journée, sourit, parlé, travaillé, et maintenant, il veut se reposer, reprendre son souffle pendant les 40 minutes de son trajet quotidien. Ce n’est pas compliqué, se dit David, l’homme qui est assis. J’ai bien mérité ce siège.

    Mais Zvi, l’homme debout, voit les choses différemment. D’abord, il est vieux, alors franchement, ce jeune de 45 ans devrait se lever et lui offrir son siège. Les cheveux blancs, ça compte plus pour rien, dans mon temps, les jeunes avaient du respect pour leurs aînés…

    …et je connais son discours, pense David. Les vieux, et les jeunes, et les 3 kilomètres à marcher pieds nus dans la neige pour se rendre à l’école, et la guerre, et le reste. Et l’hypothèque et les frais de scolarité et les cancers et les tours qui s’effondrent, il en fait quoi, le vieux, ça ne compte pas, je suppose?

    Zvi continue de regarder David qui persiste à l’ignorer. Le regard du vieillard est lourd, chargé de haine, et David semble diminuer sur place, rapetisser à vue d’oeil même s’il résiste, parce que cette fois, ça suffit, toujours céder. Et puis il n’est pas si vieux que cela, probablement 60, 65 ans, il a un bon 20, 30 ans devant lui, alors franchement, il devrait y penser avant de demander déjà d’être traité autrement.

    10, 15, 20 stations, ils en sont encore là. Sauf qu’autour de David, des sièges se sont libérés, et Zvi est resté debout, dominant physiquement David qui a résisté, surtout quand Zvi a rejeté d’autres sièges. Mais c’est ce siège-là que voulait Zvi, pas les autres. Le siège de David. Le siège qui lui est refusé.

    Zvi quitte le train. À la station suivante, David se lève, sort à son tour, puis prend le train dans la direction opposée et revient sur ses pas 5 stations.