Le blogue littéraire: nouvel atelier de l’écrivain

Le blogue littéraire est le nouvel atelier de l’écrivain et il s’impose de plus en plus dans les pratiques d’écriture. Le blogue est un espace de création textuelle authentique. Il est la contrepartie, en culture de l’écran, du journal intime ou du journal de création et représente l’une des principales formes de la renégociation des lieux de partage de l’espace littéraire, traditionnellement occupé par le livre et ses dérivés.

La fonction du blogue littéraire n’est pas simplement d’être une publication, voire une pré-publication, mais un espace accessible à tous, quoique discret, de création, de réflexion et d’écriture. Sa diffusion fonctionne sur un mode restreint, mais sa présence sur Internet lui assure une pérennité qui viendra, avec le temps, confirmer son intérêt et sa valeur, quelle soit littéraire ou non. Il peut donner lieu à des créations accomplies, à des œuvres en soi, personnelles ou collectives, mais sa fonction première est de permettre une exploration des modes d’écriture, de la même façon que le journal intime et le carnet d’écrivain le font.

La publication ou la mise en scène de ces écrits d’apparence personnelle ne gêne pas; au contraire, elle fait partie de l’équation. Ce n’est pas de l’exhibitionnisme, mais l’expression d’un principe identitaire nouveau au cœur de l’imaginaire contemporain.

Le blogue littéraire favorise, de plus, la création de micro-communautés littéraires, actualisées par les listes de liens à d’autres blogues. Ces micro-communautés engendrent parfois des jeux d’écriture collective ; mais, surtout, elles sont centrales au maintien de la littérature comme pratique culturelle majeure et, plus globalement, comme projet social.

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Un défaut de fabrication 3 : ralentir lecture

Pierre Alechinsky

Pierre Alechinsky

À Aix-en-Provence, où je me suis rendu en octobre, avec quelques collègues, pour participer à un colloque sur les fictions du 11 septembre, j’ai pu me rendre au Musée Granet où avait lieu une exposition sur les œuvres de Pierre Alechinsky. En visitant la boutique du musée, j’ai découvert un livre qui a relancé ma réflexion sur la contrariété du gaucher dans son devenir droitier. Ce livre, c’est Des deux mains, de Pierre Alechinsky, paru au Mercure de France en 2004. Le premier fragment m’a immédiatement interpellé, car il repose le même défaut de fabrication.

Ralentir lecture

« Deux amis décident de travailler ensemble sur une même feuille. Le temps passera rondement. Pas du tout comme d’habitude. L’un ne voudra jamais, à l’autre, montrer une hésitation. Ni l’autre à l’un. On connaît ces détours à se demander que faire et pourquoi. Chacun s’y autorise. Détours qui font que le temps d’une journée passe, file dans un brouillard de besognes sans avoir accompli ce que, vraiment, on aurait voulu. […]

Reprenons. Deux amis travaillent ensemble un dessin, une peinture, une estampe; l’objet obtenu par surprise semblera avoir été fait par un troisième personnage. Lequel n’est ni tout à fait l’un ni tout à fait l’autre. Je dois avoir écrit ça quelque part aussi.

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Un défaut de fabrication 2 : mon devenir droitier

Pierre Alechinsky, Soleil dans la tête

Pierre Alechinsky, Soleil dans la tête

« -Êtes-vous du nord?

-… du tout. Vous ne devinerez jamais. Parfois un client me prend pour un Suisse, souvent je passe pour un Alsacien ou un Luxembourgeois. Personne n’est encore tombé juste, à l’exception d’un ancien…

-Belge?

- Bègue, monsieur. Je fus bègue. On nous apprenait à parler ain-si : en ar-ti-cu-lant tou-tes les syl-labes, nous devions chanter les mots. »

Pierre Alechinsky, Des deux mains, Mercure de France, 2004, p. 26.27.

Au bout d’un an, j’ai pu commencer à écrire de la main droite. À conserver ma main gauche sur mes cuisses et à tendre le bras droit pour prendre mon stylo. J’avais, par contre, commencé à zozoter, ce que je ferai jusqu’au début de l’adolescence. Personne ne faisait le lien, et un médecin a même proposé l’hypothèse, amusante au demeurant, que ma langue était simplement devenue trop grosse pour ma bouche. Mon zézaiement disparaîtrait de lui-même quand le reste de mon corps rejoindrait le stade de développement de ma langue. Cela dura de longues années, et il fallut que mon père, chauve comme il se doit, me fasse prendre des cours de diction pour régler le problème. J’appris à déclamer des discours et à réciter des fables. Comme si j’avais un don de prémonition, j’avais choisi d’interpréter pour le spectacle de fin d’année, exercice imposé dans ce type de cours, la fable de la Fontaine, « Un homme entre deux âges,  et ses deux maîtresses ». Je ne me souviens plus du texte, simplement du dépit de ma mère qui trouvait mon inconscient trop futé et, surtout, de la terreur qui m’a envahi quand, sur la scène de l’école, les mots avaient commencé à m’échapper. Je voyais tous ces regards tournés vers moi, et j’ai dû fermer les yeux pour retrouver un semblant de calme et les premiers mots de la fable. Je les avais sur le bout de la langue, il fallait simplement que je pense à autre chose.

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Un défaut de fabrication 1

« Nul ne met en doute la bonté de la réforme qui laissa les gauchers, mes semblables, écrire à leur main. Les contrarier les eût précipités dans une population vague de bègues, de pervers ou de névrosés, dit la théorie »

Michel Serres, Le Tiers-Instruit, Éditions François Bourin, 1991, p. 21-22.

Sur les chaînes de montage, toutes les voitures sont égales.

Elles sortent les unes après les autres des griffes des machines, identiques pour l’essentiel et prêtes à être vendues. Rien n’y paraît lors des premiers kilomètres, voire des premières années, mais peu à peu apparaissent d’importantes différences. Les unes répondent correctement aux exigences de la route et des saisons, les autres ne résistent pas. Leurs pièces connaissent d’innombrables avaries, il faut sans arrêt les ramener chez le détaillant pour les faire réparer. Ce sont, comme le veut l’expression, des citrons.

Dans ma famille, mon frère et ma sœur étaient en parfaite santé; moi, j’étais le citron, ce que l’accumulation des problèmes, tout au long de mon enfance, semblait confirmer. Il s’était passé quelque chose sur la chaîne de montage. Il y avait comme un défaut de fabrication. Lire le reste de cet article »

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Soif de réalité

Fleur de correction à génération spontanée

Fleur de correction à génération spontanée

En travaillant sur le figural, je suis tombé sur cette citation, vieille de 25 ans, du philosophe Michel Guérin. Elle m’a ramené à cette réflexion que j’essaie de conduire sur le présent, sur notre « soif de réalité » contemporaine (le Reality Hunger de David Shields). C’est une réflexion qui  implique non seulement de déterminer la spécificité du regard contemporain, mais encore de comprendre ce que l’idée même de regard implique.
« Qu’appelle-t-on ‘réalité’? » se demande Guérin.  Il avance en guise de réponse que : « la réalité, c’est ce qui transcende le langage, existe en dehors de lui. La condition pour que je puisse nommer une chose, c’est qu’elle préexiste à son énonciation. Serait donc réel, à la fois ce dont je peux parler et cela qui existe indépendamment du langage. » ((Michel Guérin, Qu’est-ce qu’une œuvre?, Arles, Actes sud, 1986, p. 117). Nous ne sommes donc pas dans une conception solipsiste du langage. Il existe pour le sujet pensant une réalité autre que lui-même, qui est bien une condition sine qua non pour penser notre rapport au réel et, par extension, l’imaginaire contemporain. Lire le reste de cet article »

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Habiter l’événement : Les Failles et le 11 septembre 2001

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Santa Cruz, 1989

« Le sentiment de la catastrophe est sans doute la première figuration au plus profond de nous de la faille de l’imaginaire. »
Annie Lebrun

La fiction nous permet d’habiter toute sortes d’événements, des plus intimes aux plus officiels et historiques. Elle nous permet d’explorer les formes de l’agir humain. Paul Ricœur affirmait avec raison que la fiction est un laboratoire où nous explorons les possibilités de l’action humaine.
Mais est-ce que tous les événements peuvent être habités? Et avec la même facilité? Je pense aux attentats terroristes du 11 septembre 2001. Une des difficultés à habiter cet événement et à le représenter de l’intérieur en est le caractère compact. On peut difficilement s’insérer en pensée et en fiction dans cet événement, du fait de sa durée restreinte et de sa puissante charge émotive. On est avant, ou alors après. En amont, rien ne permettait de l’anticiper, et sa description initiale par de nombreux commentateurs comme phénomène inouï ou inimaginable en est l’indication la plus claire.  En aval, l’effondrement a déjà eu lieu et on est dans l’après-coup. La présence de ruines vient nous le rappeler. Une autre difficulté en est l’échelle. Ce n’est pas une attaque à échelle humaine, on l’a dit et répété. Ce sont des édifices qui ont été frappés de plein fouet et dont le spectacle de l’effondrement a transformé nos vies. Si on veut examiner les destinées humaines qui ont été du même coup soufflées, il faut changer littéralement d’échelle. Une troisième difficulté en est le caractère spectaculaire et déjà hautement médiatisé. Comment s’approprier cet événement? Comment l’habiter sur un mode restreint, celui des drames humains? Lire le reste de cet article »

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Personne ici n’a de charme 6: mouvement volitif puissant

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Ce sixième « Personne ici n’a de charme » sera posté dans le cadre de l’exposition Jenny Holzer à DHC / ART, à Montréal. Le destinateur en sera Robert McMillan à Sudbury.

L’envoi sera fait dans le cadre du programme ADRESSE, où « les participants sont invités à créer une carte postale qui sera mise à la poste dans un grand geste collectif à la toute fin de l’exposition. [...]  À la façon de l’artiste Jenny Holzer, philosophe et poète, le participant doit transmettre une pensée à la personne de son choix par l’entremise d’une carte postale. Sa pensée doit être une observation personnelle inspirée d’un comportement humain, d’un point de vue sur la culture ou d’une réflexion sur la société. »

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Figures de livre

Moi qui adore les figures de livres, les livres altérés, les projets à la Tom Philips ou à la Louise Paillé,  je suis ravi de voir que l’idée de livres transformés prenne la forme d’un projet collectif. C’est Gabriel qui a trouvé ce site. On le consulte à temps perdu. Le projet s’intitule Altered Books.  730 livres transformés ont déjà été mis en ligne. Je suis jaloux.

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L’élastique apocalyptique. Vie de Walter C. Flood

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W. C. Flood, dit le nouveau messie (archives personnelles)

(Cette vie de Wally Flood, comme ses intimes aimaient l’appeler, a été écrite il y a fort longtemps. Les événements sont racontés en ordre chronologique, afin de préserver l’aspect documentaire du récit, fondé sur une stricte observation des faits. Ces derniers se sont produits entre 1967 et 2000.)

31 décembre 1967

À la naissance de Walter Charles Flood, sa mère, Marlène, née Joubert, n’a pu s’empêcher de crier, entre deux contractions, que la fin du monde arrivait. Cette déclaration a fait une vive impression sur l’infirmière en chef, Mlle Antonine Lagacé, qui l’a noté dans son journal intime.

24 avril 1970

Un rapport de l’Hôpital général de St-Jean indique que le jeune Walter a été gardé sous observation pendant trois jours pour avoir mangé plus d’une douzaine de pages d’un livre. Son père, Alabaster Flood, a procédé à son admission à 17 h 37, craignant que son enfant ne s’étouffe, sa bouche encore pleine de papier. Le Dr Suzanne Valade était de garde. Elle a écrit que le père avait apporté le livre, en guise de preuve, une Bible des Mormons au contenu en partie arraché, Bible qu’il conservait depuis son tout premier voyage à Las Vegas. Les radioscopies n’ont rien révélé d’anormal et, fait étonnant, le papier n’est jamais ressorti à l’autre bout.

12 juillet 1973

Bell Canada avertit les Flood que des appels interurbains d’une durée totalisant onze heures et six minutes ont été effectués le 6 juin au numéro (606) 393 6660, qui appartient à  un service de rencontre, Little Angels Galore, de l’est du Kentuky. Les Flood refusent de payer la facture. La cause sera entendue à la cour des petites créances.

24 septembre 1974

Inquiets des nombreuses chutes de leur enfant, les Flood lui font passer un examen de  la vue. L’oculiste, M. Gustave Ford, trouve une myopie primordiale à l’œil gauche. Incertain de son diagnostic, il envoie les parents à un ophtalmologue de l’Hôpital Notre-Dame, M. Ismaël Turing, qui conclut pour sa part que l’œil droit est touché. Après moult vérifications, on déclare le jeune Walter atteint d’une rare myopie oscillante. Les jours pairs, il ne voit plus de l’œil droit, et les jours impairs, c’est l’œil gauche qui est atteint. L’hypothèse Ford-Turing vaut à ses auteurs un prix prestigieux de l’International Optometrist Association, qu’ils reçoivent en personne des mains de Billy Pilgrim, le président.

25 décembre 1975

Le jeune Walter reçoit une trompette, instrument pour lequel il se révèle avoir un talent inné. Il fonde au printemps de 1976 le corps de clairons « Le régiment des sept trompettes » qui gagne, dès l’été, le concours de fanfare de la ville de Brossard. Le régiment connaît un vif succès et passe à l’émission de télévision Les jeunes talents chrétiens du dimanche 27 août. La télégénie du jeune Walter est remarquée. « Quelque chose dans ses yeux… », note Adelard Novo dans l’édition dominicale du Journal de St-Jean (27 décembre 1975).
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Un repas chinois comme dans le bon vieux temps.

C’est fou ce qu’on trouve dans le fond des boîtes.

Ainsi, ce menu d’un restaurant du quartier chinois, circa 1985.

menu chinois

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