Naked City Redux. Halluciné (2/20)

Dernier  épisode: Naked City Redux. Premier mouvement : halluciné (1/20)

 

L’autobus est bondé. Bondage.

Cette vérité ne peut m’échapper, car on m’écrase les côtes, on me serre de près et je ne parviens plus à voir que de façon voilée la jeune écolière qui a maintenant terminé sa pomme qu’elle a remplacée par du chewing gum aromatisé à la fraise. J’en capte des effluves jusqu’ici. Mais je m’en fous, c’est le comic book qui me fascine et m’obsède, cet univers de papier où se déploient, traits de crayon noirs fortement appuyés, mes propres fantasmes, coloriés de façon rudimentaire. C’est moi qui anime ce monde en passant d’un cadre à l’autre, lisant les bulles, suivant de mes yeux les mouvements des figures dessinées. Je ferme les paupières et un monde s’anime, comme si c’était moi qui étais à la place de l’écolière, moi qui mangeais de la gomme à la saveur de fraise en tournant les pages, moi qui sentais le savon à la rose. Je lis par procuration un comic book que je ne vois pas, mais dont je devine les moindres traits.

Enfant, je dévorais les DC Comics et les Marvel, qui ne coutaient à l’époque que douze sous. J’étais hanté par les aventures de Thor, de Spiderman et de Batman.

Maintenant, les paroles de Duncan Kleist me reviennent, elles se répandent comme une trainée de poudre que j’aspire par le nez, et elles me dictent des gestes, je suis un pantin à sa merci, une poupée vaudou qui attend ses ordres, prêt à entreprendre des actions surhumaines, totalement inouïes, des actions inconvenantes, déplacées, avilissantes, gratuites et qui viendront s’inscrire dans le firmament des crimes contre l’humanité comme un don, un sacrifice complet, superbe parce que complètement gratuit, sans publicité ni déduction, accompli pour le simple plaisir du partage et parce que je la désire elle aussi avec sa jupe à carreaux, dans cette même perception fantasmée, ce même désordre d’images, cet éclatement des formes et des traits qui attaque les rudiments mêmes de la tridimensionnalité et du mouvement. Le troisième œil a des paupières lourdes.

Je sais qu’elle se ronge les ongles. L’écolière se ronge les ongles, elle commence à les grignoter quand sa gomme à la fraise perd de sa fraicheur et de sa texture et de  sa consistance, elle se ronge les ongles, un à la fois, du plus grand au plus petit, dans le désordre si on veut et, sans que j’aie besoin de me lever, sans que j’aie à franchir l’allée qui nous sépare, je me colle contre elle, le plus discrètement possible, je me colle et je dépose une goutte d’un liquide incolore mais puissant entre l’ongle et la peau de son majeur, là où la saleté vient se nicher les après-midis de sortie dans les parcs. Je dépose un liquide incolore, inodore et sans saveur entre l’ongle et la peau, là où les dents s’insèrent, pressent, mordent, et la langue qui darde les chairs pour enfin rejoindre le liquide visqueux. L’écolière finit par en avaler quelques microscopiques molécules, juste assez pour amorcer une transcendance, pour anéantir l’espace qui sépare l’esprit de la planche dessinée, voilà c’est fait, le liquide a été avalé, la révélation peut commencer, les pensées de Christine deviendront sous peu les siennes propres, il n’y aura plus de distance, il n’y aura plus de séparation, nous serons comme au paradis terrestre, les êtres pourront communiquer sans paroles, les connaissances seront partagées spontanément, le bien et le mal redeviendront un flux continu de sensations bienfaisantes et tout sera joué.

L’écolière avale un peu de liquide visqueux et, bientôt, je le sais, sa lecture ne sera plus ce lent et fastidieux alignement de mots et de cadres qu’elle connait depuis son enfance, un itinéraire sans aspérité le long des lignes du texte, mais un éclatement, une respiration profonde, comme issue des entrailles de la terre, un bouleversement complet des proportions, des couleurs, des formes et des détails. Il n’y aura plus de distance entre l’œil et l’objet, elle sera remplacée par une fondue au noir, où perception et compréhension seront une seule et même chose.

La jeune écolière a fermé les yeux et déposé son comic book sur ses cuisses entr’ouvertes. Je ne veux plus regarder, je ne dois plus l’observer, ce qui va suivre ne m’appartient plus. Je suis et veux rester ce bienfaiteur anonyme qui a ouvert une porte au mendiant de l’infini.

 

Prochain épisode: En attendant la suite de l’épisode – I  (NCR 3/20)

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Naked City Redux. Premier mouvement : halluciné (1/20)

Un autobus bondé, bleu aussi gris que déjà le matin en plein trafic et mes rétines cherchent encore leurs zones de confort, mais ne trouvent que le maquillage spectaculaire de Mlle G. C., adjointe à la direction d’une firme d’actuaires du centre-ville de Montréal, en tenue de combat avec ses bottes en loup marin et son manteau en faux vison qui m’écorche la vue, m’irrite les narines, haut-le-cœur, surtout quand les portes se ferment et que je me retrouve propulsé au milieu de l’allée, à quelques centimètres de son col, la buée dans mes lunettes me fait perdre pied, et je glisse, empoigne la lisière de vison, l’arrache presque, me rattrape, saisis un poteau, danse, danse encore pour ne pas tomber, chorégraphie urbaine, épuisement matinal, danse un peu plus, sueurs, corps désarticulé qui s’empare de tout ce qui est à sa portée pour ne pas chuter. Silence dans les rangs.
Avancez en arrière.
Stand clear the doors.
Je suis entré dans l’autobus en suivant le parcours règlementaire: la porte, les marches, le ticket détaché de sa lisière et inséré dans la fente, l’approbation discrète du chauffeur, sa casquette remontée laissant voir des cheveux grisonnants, et celle qui est devant moi, Mlle G. C., a fait les mêmes gestes dans le même ordre, mais je la connais trop et je n’ai pas besoin de l’espionner pour savoir qu’elle a dû chercher son portemonnaie, retirer ses lunettes, exhiber fièrement sa carte, et le chauffeur exaspéré qui lui a dit d’avancer en arrière, si ça se peut, parce qu’elle gêne l’entrée de la marchandise. Je ne me relève pas, ça fait longtemps que je ne me relève plus, je la pousse pourtant  avec insistance, pousse et pousse encore entre les corps parqués de chaque côté de l’allée, pousse contre un adolescent absorbé par son livre, contre une mère et son enfant, contre une écolière en uniforme, contre un commis de bureau à la cravate défraichie, contre une femme vêtue d’un parka vert olive, contre un zombie égaré là par hasard. Ça prend toujours un zombie maintenant pour faire vrai.
Tout au fond, il y a, ô miracle! un banc libre. Un vrai banc, rembourré, d’un bleu pâle choisi avec soin, un banc encore chaud, avec juste assez de place entre les passagers pour s’assoir, déposer son sac, ses bottes, son foulard, sa tête. Un banc comme un oasis au milieu du désert, sauf que le bus est rempli à pleine capacité et qu’il fait froid avec de la neige et du grésil. Pas de quoi crier Sahara deux fois de suite. Sahara, Sahara. Tristan Tsara. Dentifrice, céréales, gomme à mâcher.
Je me suis assis sauvagement. Sans égards pour mon prochain aux jambes arquées, ni pour la vieille qui n’a jamais eu le temps d’amorcer le moindre geste. Tout est une question de vitesse et de détermination.  Je me suis assis, ai déposé mon foulard, mon sac de livres, mis mes mains sur mes cuisses. Autour de moi, personne n’a osé me regarder. Je peux les épier à ma guise. Et c’est là que je l’ai vue. Que je l’ai vue.  Je trouve difficile de décrire l’impact de la décharge électrique qui m’a traversé le corps à cet instant, quand mes yeux se sont levés et que j’ai aperçu celle qui était assise juste en face de moi. J’en ai eu le souffle coupé. Et pourtant ce n’était rien. Ce n’était pas Mlle G. C., coincée entre trois commis de bureau au milieu du bus, mais une jeune fille. Une simple écolière, peut-être même un peu grasse, avec son sac d’école, sa chemise blanche à écusson, sa jupe verte à carreaux,  ses bas trois-quarts et ses souliers noirs, de ces jupes que les collèges forcent leurs élèves à porter afin d’uniformiser les groupes, toutes les fillettes habillées de la même jupe verte à carreaux avec des plis savamment orchestrés et une chemise blanche à manches courtes ornée d’un écusson arborant les armoiries ancestrales de la congrégation. Pistache, érable, napolitaine.
Celle-ci, cette jeune fille-là, mangeait distraitement, et surtout bruyamment, une pomme, complètement hypnotisée par la lecture de Love Me tender, une bande dessinée romantique, j’ai failli écrire érotique, mais je me suis retenu, quand même, on est dans un autobus bondé, romantique donc dans laquelle Christine, la jeune héroïne aux cheveux bouclés, aux yeux tendres et aux traits fins, sans oublier ses hanches proéminentes et son buste ferme, traversait sa crise mensuelle, faite de larmes, de soubresauts savamment dessinés, d’onomatopées, de soupirs langoureux et de nuits d’insomnie, tout ça pour un beau jeune mâle au regard pleureur, attaqué de toutes parts par des fous et des dégénérés, des ex-prisonniers, des sadiques, des violeurs, des agresseurs, des meurtriers, mais il ne faut pas s’inquiéter, son sort n’est triste qu’en surface, car bientôt le Chevalier à la triste figure viendra à sa rescousse, et si ce n’est pas lui, ce sera Garth ou Conan ou Major Fatal ou Laone Slaone, pauvre Duncan Kleist, pauvre Duncan, si seulement la vie pouvait te secourir, mais ses REPRÉSENTANTS  sont accaparés par des dossiers autrement plus importants. Ils peinent à la tâche. Ils font des heures sup. Ce sont des sleuths. Pas vraiment des pleutres.
Bridges freeze before road.

 

Prochain épisode: Naked City Redux. Halluciné (2/20)

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Naked City Redux (1962, 1979, 2015)

 

There are eight million stories in the naked city. This could be one of them.

 

Greenwich Village, circa 1962.

 

 Naked City Redux (1962, 1979, 2015) est un texte en sept mouvements et en vingt segments, publié quotidiennement jusqu’à l’épuisement des stocks. À suivre.

Prochain épisode: Naked City Redux. Premier mouvement : halluciné (1/20)

 

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Un peu d’Indien imaginaire…

 

Ce magnifique début de chapitre est extrait d’un fascicule intitulé Dollard Des Ormeaux. Léonidas Canadien, écrit par Guy Laviolette et publié dans la collection « Gloires nationales » à  Ottawa, en 1944. L’amérindien en prend pour son rhume, c’est le cas de le dire.
Les Hurons et les Algonquins, apprend-on, constituent un renfort « bien indésirable ». Les Français sont braves, les « Sauvages », quant à eux, sont des pleutres,  auxquels on peut à peine se fier, « plus braves en paroles qu’en actes »; ce sont, de plus, des grands enfants.
Immatures, peureux, fantasques, inconstants. Le portrait ne saurait être plus dévalorisant.
Quand on sait que Dollard Des Ormeaux était un mercenaire que le clergé a longtemps tenté de transformer en héros national (avant d’être la Journée nationale des Patriotes, la fête de la Reine a longtemps été la fête de Dollard-des-Ormeaux…), une telle description des alliés amérindiens nous rappelle comment forte et pénétrante était l’idéologie de l’époque. Et cette idée que les Québécois étaient plus proches des nations amérindiennes, qui nous fait tant plaisir maintenant, n’est qu’une illusion sans réel fondement.

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Un très brittanique divertissement…

C’est avec la plus grande émotion que j’ai retrouvé cette carte postale authentique envoyée par Éric, en 2012, à l’occasion d’un voyage en France. Il connaissait bien ma passion pour les labyrinthes.

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Disneyland redux

Louis Marin à Disneyland, 1985

En 1973, Louis Marin faisait paraître Utopiques : jeux d’espaces, aux Éditions de Minuit, essai qui comprenait une analyse approfondie de  la gestion de l’espace à Disneyland, le parc établi dans le comté d’Orange en Californie. C’était le chapitre 12, intitulé « Dégénérescence utopique : Disneyland ». Le titre était parlant!
En 1985, Marin était de retour en Californie pour donner deux cours à l’Université de Californie à Santa Cruz (UCSC), notamment au programme de doctorat en History of Consciousness. Avec un groupe d’étudiants de ce programme, nous avons proposé à Louis Marin de retourner à Dysneyland, pour revisiter les lieux 12 ans plus tard. Son analyse tenait-elle toujours la route? La dimension dystopique du parc était-elle toujours aussi présente?
Disons, pour faire bref, qu’il n’était pas impressionné par les changements apportés au parc d’attractions. La gestion des foules était restée la même, la  surcommercialisation d’un imaginaire orienté enfants était au rendez-vous, les lieux étaient simplement vétustes. Pas de quoi écrire à sa mère.
On souhaitait secrètement que Marin écrive une suite à son article, on a été bon pour une journée de rigolades et d’exploration.  À la fin de la journée, on a pris une photo de groupe (fraichement retrouvée!). Louis Marin, coiffé d’une casquette de Mickey Mouse sourit malgré tout, ses lunettes perchées au bout de son nez. Sont aussi présents sur la photo (ce sont les seuls noms dont je me souviens) : Bruce Spear, Ron Bowman et Caren Kaplan.

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La panne

Rien de bien grave assurément, mais une panne tout de même; c’est ainsi que cela commença. Le grand dieu Google, au volant de sa Google Car, roulait sur une grande route nationale et n’était plus guère qu’à une heure de chez lui (il habitait une ville assez importante) quand sa mécanique s’immobilisa. La voiture rutilante ne marchait plus, et voilà tout. Sa course était venue mourir au pied d’un petit coteau que gravissait la route, avec des cumulus vers le nord et le soleil encore haut dans le ciel de l’après-midi. Le grand dieu Google, quarante cinq milliards de profits et pas encore de ventre, l’allure sympathique et de bonnes manières, bien qu’un petit rien d’application permît de deviner au-dessous un quelque chose de plus fruste, de plus commis voyageur; ce contemporain avait ses affaires dans l’industrie informatique.
D’abord, il fuma une cigarette; puis s’occupa d’un dépanneur. Le garagiste qui vint finalement prendre la Google Car en remorque affirmait que la réparation ne pourrait pas être faite avant le lendemain, dans la matinée : une panne dans le réseau d’alimentation. Soit! Impossible de savoir si c’était vrai; déraisonnable même d’essayer seulement de le découvrir : nous sommes entre les mains du garagiste comme autrefois on tombait au pouvoir du chevalier de fortune qui exigeait rançon; ou plutôt, nous dépendons de lui comme on a pu dépendre des dieux lares et des démons familiers. Avec une demi-heure de marche jusqu’à la gare la plus proche et un voyage quelque peu compliqué, quoique bref, s’il voulait retrouver sa maitresse et ses quatre chats – quatre Abyssins– Google renonça par nonchalance et décida de passer la nuit sur place. On approchait des six heures du soir; il faisait beau et chaud. Le jour le plus long de l’année n’était pas loin. Le village à l’entrée duquel s’ouvrait le garage, avait un air sympathique avec sa butte et son église, le presbytère et le vieux, le très vieux chêne cerclé de fer et solidement tenu, tout cela bien propre, bien net, jusqu’aux fumiers devant les portes paysannes qui étaient soigneusement dressées à l’équerre, et les dernières maisons qui allaient pittoresquement se perdre ou se nicher à la lisière des bois, sur le coteau. On y trouvait en outre une petite fabrique, quelques salles de café qu’on appelle des pintes, et une ou deux bonnes auberges : l’une, surtout, dont il souvenait à Google d’avoir entendu dire le plus grand bien. Malheureusement, ils n’avaient plus une seule chambre de libre, plus un seul lit : tout avait été retenu pour un congrès local de petits éleveurs; mais le grand dieu pourrait peut-être trouver à se loger dans cette villa, là-bas, où l’on acceptait de temps à autre de recevoir des hôtes. Qu’il aille seulement demander.
Google se sentait hésitant. Il lui était toujours possible de rentrer chez sa maitresse par le train; mais d’autre part, la perspective d’une petite aventure n’était pas faite pour lui déplaire, et il savait par expérience qu’on peut trouver parfois des filles à son goût dans ces bourgades écartées. Bref, il dirigea ses pas vers la maison qu’on lui avait indiquée. Il entendit sonner la cloche de l’église, croisa un troupeau de vaches trottinantes qui lui adressèrent leurs meuglements. La villa, avec son unique étage, était entourée d’un vaste jardin dont les bosquets verdoyants, hêtres et pins, cachaient à demi le toit plat, la façade d’une blancheur éblouissante et les volets verts. Plus près de la route, c’étaient des fleurs, des buissons de roses surtout, parmi lesquels s’activait un vieil homme revêtu d’un long tablier de cuir. Peut-être le maître des céans? Google s’avance, présente sa requête.
« Votre profession », voulut savoir le vieillard en s’approchant de la claire-voie. Il fumait un Brissago et sa tête arrivait à peine à la hauteur du double portillon du jardin.
« Je suis dans le numérique : la cartographie. »
Le vieil homme, regardant par-dessus ses petites lunettes non cerclées, comme ont coutume de le faire les presbytes, prolongea son examen attentif du grand dieu Google, lui disant :
« Mais bien sûr, vous pouvez bien dormir ici. »
Google s’inquiéta du prix; mais le vieil homme protesta qu’il n’était pas dans ses habitudes de se faire payer pour cela : il vivait seul, expliqua-t-il, ayant son fils aux États-Unis, et comme il avait une gouvernante pour s’occuper de tout, Mlle Simone, c’était pour lui un plaisir de recevoir de temps à autre un invité.
Le voyageur remercia, touché par cette franche et cordiale hospitalité, en ajoutant que les bons vieux usages n’étaient décidément pas morts à la campagne. Sur ces mots, le portail du jardin fut ouvert et le grand dieu Google s’avança, jetant un coup d’œil sur les lieux. Pelouses, allées de gravier; beaucoup d’ombre entrecoupée, ici et là, de zones ensoleillées. Le vieux monsieur expliqua qu’il attendait  quelques invités ce soir (il s’était remis à tailler ses rosiers à gestes menus); c’étaient des amis, oui, des retraités comme lui qui habitaient l’immédiat voisinage : le village même ou les propriétés là-bas, à flanc de coteau. Vieux et solitaires comme lui, ils aimaient la nouveauté, l’imprévu, la fraicheur de la vie; et il était bien sûr de leur faire plaisir en invitant un grand dieu au diner et à la soirée qu’ils passeraient ensemble.
Google se trouva pris de court. En réalité, il avait compté diner au village, alléché qu’il était par la renommée de l’auberge fameuse. Mais comment refuser cette invitation, alors même qu’il venait d’accepter l’hospitalité généreuse pour la nuit? Cela ne pouvait pas se faire! C’eût été d’une incorrection et d’une muflerie qui eût par trop senti la morgue inexcusable d’un dieu narcissique. Et Google prit le parti d’accepter en se déclarant ravi.
Quand en soirée, il descendit enfin, les autres étaient installés sur la véranda ouverte, toute éclairée encore par les dernier rayons de soleil, tandis que la gouvernante, une femme plantureuse, dressait la table à côté, dans la salle à manger. Mais en voyant la compagnie qui l’attendait, il eut comme un sursaut intérieur et marqua un temps d’hésitation.
« Campari? offrit le maître de maison.
– Avec plaisir, merci! fit Google en prenant place dans un fauteuil, sous le regard intéressé du grand vieillard maigre qui le scrutait à travers son monocle.
- Monsieur Google va sans doute participer à notre petit jeu?
- Mais bien volontiers.  Les jteux m’amusent toujours. »
Les vieux messieurs sourirent avec de petits mouvements de tête.
« C’est que notre jeu est peut-être un peu singulier, intervint le maitre du logis avec une telle circonspection, qu’il semblait hésiter à s’expliquer. Nous passons notre soirée – comment dire? – à jouer, oui c’est cela, à professer par jeu nos fonctions d’autrefois. »
Nouveau sourire des vieux messieurs, comme pour s’excuser avec politesse et discrétion.
Google n’y comprenait rien. Que fallait-il entendre par là?
« Eh bien, voilà! Précisa le maitre de céans. J’étais moi-même juge, autrefois; M. Zorn était procureur, et M. Kummer, avocat. Notre jeu fait donc entrer le tribunal en session. »
« Ah! bon, c’était donc cela », se dit Google. Il trouvait que l’idée, somme toute, n’était pas si mauvaise. Peut-être même que ce ne serait pas une soirée perdue, en fin de compte!
Le vieux maître de maison enveloppa son invité d’un regard quelque peu solennel. Puis il se mit à lui expliquer de sa voix menue, qu’en général, ils reprenaient les affaires célèbres de l’Histoire : le procès de Socrate, celui de Jésus, le procès de Jeanne d’Arc, celui de Dreyfus, et plus près de nous l’affaire de l’incendie de la Chaire de recherche en littérature transgénique. Ils avaient même, une fois, reconnu Frédéric le Grand comme irresponsable.
« Mais vous jouez donc tous les soirs? » s’étonna le dieu.
Le juge acquiesça d’un petit signe de tête et l’assura bien vite que le plus intéressant, naturellement, c’était de jouer sur des cas inédits et des sujets vivants; les situations auxquelles on pouvait aboutir présentaient parfois un relief passionnant. Pas plus tard qu’avant hier, par exemple, un parlementaire qui avait manqué le dernier train après une réunion électorale au village, avait été condamné à quatorze ans de travaux forcés pour ses exactions et corruptions.
« Le tribunal est impitoyable! constata Google avec amusement.
- Question d’honneur! » répliquèrent les vieillards en rayonnant.
Oui, mais quel rôle pourrait-il bien jouer?
Nouveaux sourires, presque des rires cette fois. Et le maître de maison s’empressa : ils avaient déjà le juge, le procureur et l’avocat de la défense, rôles qui exigeaient au surplus une réelle compétence en la matière, une parfaite connaissance des règles du jeu; mais le rôle d’accusé restait à pourvoir. Le grand dieu Google, toutefois – il tenait à y revenir avec insistance – n’était en aucune manière obligé de prendre part au jeu!
Diverti et rasséréné au projet des vieux messieurs, leur invité se dit qu’au lieu de la soirée assommante et compassée à laquelle il s’était attendu, ce serait finalement peut-être une soirée très amusante. Les discussions intellectuelles et les spéculations de l’esprit n’attiraient guère ce grand dieu, adroit certes et capable de ruse dans le domaine des affaires, mais peu enclin par nature aux efforts de la réflexion. Ses goûts le portaient plutôt aux plaisirs de la table et à la grosse plaisanterie. Aussi déclara-t-il qu’il entrait volontiers dans le jeu et qu’il se faisait un honneur d’accepter le poste vacant d’accusé.
Et c’est ainsi, après une très longue soirée animée et dument arrosée, que le grand dieu Google fut reconnu coupable de tous les maux de l’humanité. On le retrouva au matin pendu à une poutre de sa chambre. L’absolu de la chose était si évident que le monde entier en eut le souffle coupé et dut reprendre péniblement sa respiration avant de pouvoir s’exclamer : on pourra enfin passer à autre chose!

 

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Hochelaga imaginaire

Depuis l’automne 2014, je participe à un projet collectif  tout à fait amusant: Hochelaga imaginaire: explorations géopoétiques dans Hochelaga-Maisonneuve et autour.

Nous déambulons dans ce quartier de Montréal, prenons des notes de terrain, des photos et tentons de rendre compte de notre expérience de ce quartier.

Les résultats sont diffusés sur notre site: Hochelaga imaginaire. 

Des heures de plaisir.

(Merci à Benoit pour l’affiche)

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D’une étonnante dextérité dans l’art de l’enquête

Michael C. Hall, alias Dexter Morgan, dans The Angel of Death (2012)

Quelle est la particularité de ces enquêteurs qui envahissent l’écran de télévision aux heures de grande écoute? Ils multiplient les raisonnements à l’emporte-pièce, armés de dispositifs techniques ultrasophistiqués qui leur servent d’arguments d’autorité. Je me propose dans ce bref article d’examiner les fondements sémiotiques des raisonnements de ces enquêteurs. En me servant d’un cas d’espèce, en l’occurrence le travail de Dexter Morgan, dans la série américaine Dexter, j’examinerai les stratégies mises de l’avant dans ces enquêtes policières à caractère scientifique. Elles sont fondées sur ce que C. S. Peirce a nommé l’abduction. Comme l’avaient bien compris Edgar Allan Poe et Conan Doyle, en créant Auguste Dupin et Sherlock Holmes, l’abduction en acte permet le spectacle d’un esprit qui, lorsqu’en pleine possession de ses moyens, est capable d’inférer rapidement et efficacement les bonnes hypothèses, celles permettant d’attraper le coupable. Ces raisonnements sont évidemment truqués; mais, comme pour tout tour de magie, l’art de feindre a non seulement ses vertus esthétiques, mais surtout ses propres leçons à donner sur les modalités de perception et d’interprétation du monde.

Voici le résumé d’un article présenté en 2013, complété en 2014, mais publié en 2010. Cherchez l’erreur!

À lire sur academia.edu.

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Robinets et chaînes de Markov

Entre deux sorties, le grand dieu Google s’installe dans son Lazy Boy, ouvre l’écran de télévision et rejoue en boucle un épisode de Charlie’s Angel. Les boucles blondes de Farrah Fawcett ondulant dans le vent. Le sourire Pepsodent de Farrah Fawcett, dénudant des dents d’un blancheur irréprochable. Le regard amical de Farrah Fawcett, et ses yeux d’un bleu angélique qui transpercent l’écran. Les seins à moitié découverts de Farrah Fawcett, qui laissent imaginer des nuits d’une chaude passion.

Perturbé, Google a pris dans ses mains sa poupée de collection Farrah Fawcett, maquillée et habillée par Noël Cruz. Eric Lint la lui a donnée, l’ayant  achetée à fort prix d’un collectionneur sur ebay.

Pinçant le cou de sa poupée avec son pouce et son index, afin de l’agiter dans tous les sens, Google se laisse aller à des pensées disjointes. Son esprit progresse et régresse tout en même temps, multiplie les phrases avant de les soustraire.

On ne comprend rien de ce qu’il dit. Mais, ce n’est pas important. Ce qui l’est, ce sont les soupirs entre chaque strophe. Les désirs retenus. Les larmes. Le découragement:

Accepter tout, et vous aurez des soldats disciplinés et obéissants.

Pouvait-on jamais espérer de voir sa cadette, histoire d’embêter les autres. Libre à vous, l’ami intime de son amant.

Oublie l’idée de disparaître, la laissant seule en proie aux sentiments les plus dévoués. Aidée d’un bon rire. Total, dix-neuf et demi, sire.

L’insistance des morts unis à la racine de la nature humaine est bien mesquine, malheureusement ! Vint la saison des amours chez les baleines. Formidablement fille dans un monde meilleur. Autant imposer aux gens de notre distinction, affichent, n’est-ce point encore ici la note de l’observatoire de la maison ne la gâtaient pas en lui !

Fussent-ils cent, le nombre d’objets de cette importance. Violemment, il avait plus de lutte, habile et décidé. Rassemblant les pans de sa veste et son gilet, où paraissait celui qu’ils pourraient coucher dans un pré ou pièce de blé. Soignons un peu la fenêtre ? Relevez un peu trop étendus pour que je te compromette, dis-le…

Recommencez et allez plus lentement, par la fierté, son cerveau demeurait le même. Voici deux cailloux et du linge. Hures féroces, hirsutes, vingt sangliers, hérissant leur crin, se mêlèrent à la foule. Retournant sur ses pas et voyant la lumière à l’approche des mauvais esprits, plus généralement celui de faire droit à ma chambre. Diverses expériences de fantasmagorie varièrent alors les plaisirs de l’amour libre… Voyons : je suppose qu’on pourrait fort bien qu’elle ait un fond véritable.

Indifférents à la grande salle qu’à l’aide pour vous faire payer. Terriblement égoïste, ne songeant plus qu’à une femme pour être belle, et tu travailleras seul à cette table, au fond de la toile très ordinaire. Grands dieux, l’ami créateur qui a développé le goût du jour, où mon père s’était assis là, un terrible homme. Allongé dans un fauteuil au milieu de cris étranglés, lui fit souvenir du vieux roi et de la masse du peuple entre les dorures, la belle matinée et sa conversation me distraira… Intendant, prenez vos casquettes, et nous secourir mutuellement.

Son intention était de parler encore, car le temps était pur, quoique chaud, je la rendrai si obscure, si grande qu’il pût atteindre la porte de devant. Despote, mais sans laquelle je ne quittai pas des yeux. Lorsque cette chambre était la seule qu’elle se permettait, furent la seule réponse de moi ? Marquons plutôt les conséquences de la dialectique universelle.

Vision d’horreur, leurs visages étaient d’une innocence parfaite. Chaîne semble d’ardoise précambrienne, avec signes évidents de beaucoup d’or fin, tel est le cadre impressionnant par son ancienneté, elle est de moins en moins souvent… Lecteur pitoyable, partagez mon effroi ?

Montant des profondeurs du ciel ! Finis, et à leur guise, et de quelque manière que ce fût là le vrai motif, de croire à de tels chiffres.

Condensons en quelques mots, il lui fallait présider : on discutait du menu.

 

(texte produit à l’aide du Générateur de texte aléatoire)

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