La main, le souffle

septembre10th

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Le 8 septembre, Laura m’a envoyé un message très succinct. « The Towers are on », en disait l’objet. L’expression m’a troublée. The Towers are on, comme si elles étaient éteintes le reste de l’année, toujours présentes mais cachées, plongées dans l’obscurité. Comme dans la superbe image de Art Spiegelman. Et il y a un peu de cela. Quelques jours par année, toujours à la même date, à l’automne, elles s’allument, redeviennent un point d’orientation à travers la ville. Du toit du Webster, sur la 34e, elles se confondent, deviennent un, les deux faisceaux bleus se perdent dans le ciel, comme s’ils étaient sans fin.

Le 9, je suis partie à leur rencontre, me rendant, la nuit tombée, sur le site. Mais avant, j’ai voulu aller voir ce que c’était, tout ce tralala autour du centre communautaire musulman. Il m’a fallu du temps pour trouver cette adresse, 51 Park Place. Park Place est une petite rue, une de ces rues comme le Lower Manhattan les aime, sinueuse, presque impossible à trouver si on ne la connaît pas. Rien à voir avec la grille qui commence plus haut. Park Place, donc. Finalement, pas si difficile à trouver, une fois que l’on sait ce que l’on cherche. Il suffit de suivre les camions des réseaux télévisés, les voitures de police. Un policier montait la garde, à l’entrée d’un immeuble abandonné, entre le marché Amish et un restaurant un peu glauque, pendant que de l’autre côté, des journalistes interviewaient deux hommes. J’ai supposé que l’un était un promoteur associé au projet, l’autre un représentant de la ville. Ou de l’opposition. En fait, je n’ai aucune idée de qui ils étaient. Je sais seulement une chose : l’immeuble en question passe inaperçu. Il est à la fois loin du World Trade Center, et proche. Et pour la première fois, j’ai eu peur. Peut-être est-ce à cause de ce battage médiatique, des policiers, etc., mais je me suis dit qu’il serait si facile pour quelqu’un de tout faire sauter. J’ai continué mon chemin.

Je connais bien Ground Zero maintenant. Je peux constater sa progression, en reconnaître l’évolution, comme on fait lorsqu’on observe un enfant aimé grandir. Hier, dans l’obscurité, je l’ai trouvé plus émouvant que jamais. Peut-être parce qu’il est de moins en moins Ground Zero, de plus en plus un site de construction comme les autres.

J’ai attendu que se lèvent les tours, comme on se réveille tôt pour regarder le lever du soleil. Mais hier, je les ai attendues en vain. J’ai discuté avec un gardien, près de Zicotti Park, là où aura lieu la commémoration, samedi. Lui aussi venait de se tourner vers le ciel, cherchant les tours. S’étonnant de leur absence. Will you be there Saturday?, m’a-t-il demandé. That’s what I’m here for. Je ne lui ai pas dit que je traînerais toute l’année autour du site, que Ground Zero était devenu avec les années ce vers quoi mes pas me portent, automatiquement. Pas plus que je ne peux expliquer à un ami d’enfance comment le 11 septembre est devenu aussi important pour moi.

Je sais seulement qu’hier, alors que dans le port on remettait les prix d’une régate annuelle, alors que j’entendais les bruits de la reconstruction, la musique d’un bar, les klaxons et les conversations, j’ai été émue, émue comme lorsqu’on retourne pour la première fois là où un être aimé vivait, et qu’on le cherche dans tous les coins de la maison, avant de se rappeler que non, il ne reviendra pas, et alors, c’est comme le perdre à nouveau.

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