La main, le souffle

mai21st

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Un personnage par jour. C’est la contrainte que j’essaie de m’imposer : créer un personnage par jour. En observant les gens dans la rue, à la maison, à l’université, et en leur inventant un bout d’histoire, un bout de conversation. La voix des personnages, elle surgit souvent de quelques mots, d’un soupir, du bruit de leurs souliers sur le sol. Je me dis qu’il n’y a pas là beaucoup de différences avec la photographie : saisir un moment, un seul, arrêter une figure en mouvement, la suspendre, même si on sait que dans une minuscule fraction de seconde, elle se remettra à bouger et risque de faire s’écrouler la minuscule certitude qu’elle a fait naître en soi. Je repense à cette infirmière, aperçue un jour que j’accompagnais une copine à l’urgence. L’infirmière marchait, d’un point A à un point B, lentement mais sûrement, avec la patience et l’épuisement de celle qui devrait peut-être prendre sa retraite. En 4 secondes, je l’ai vue, l’ai entendue, dire « I’m too old for this », deux, trois fois, même si elle n’a rien dit, même s’il était impossible de l’entendre à travers les bruits de la salle d’urgence, les voix, les murmures, les plaintes, les sonneries d’alarmes et autres sons reliés au maintien de la vie. La vie devient si électronique, lorsqu’elle est menacée. Elle clignote, sonne, résonne, comme si ce n’était qu’ainsi, en accordant les battements de cœur à un instrument électronique, qu’il était possible d’éloigner la mort. Bref, cette femme, son pas lourd, fatigué, je l’ai entendue. Très vite, elle est devenue Lorna, comme ça, ce n’était sûrement pas son nom, elle devait s’appeler Sue ou Jean, Rhonda ou Christina, mais pour moi, elle était Lorna. En quatre ou cinq phrases, je l’ai racontée pour la copine qui avait bien besoin d’être distraite.

Un personnage par jour, donc. Pour maintenir une certaine activité créatrice maintenant que le roman est fini. L’éditrice aime le roman, il sera publié comme prévu en septembre. Excellente nouvelle. Je lui ai remis la chose que je ne retrouverai que lorsqu’il s’agira d’en corriger les épreuves. J’accepte qu’elle ne m’appartient plus. Du moins j’essaie. Pourtant, je ne peux toujours pas enlever les post-it roses et bleus sur lesquels j’ai inscrit les parties de Onze pour le transformer en roman. Mon mur sera si vide. Alors je pourrais tenter de remplacer les post-its du mur par des personnages, ici, des fragments, comme des souvenirs de voyage, des photos. Cela serait peut-être une bonne façon de revenir lentement à la maison, puisque mon séjour new-yorkais achève. Mais je ne garantie rien. Les contraintes et moi, nous ne nous entendons pas tellement bien. Cela fait maintenant deux mois que je joue avec l’idée d’un personnage par jour. Jusqu’à maintenant, je peux les compter sur les doigts de la main. Disons de deux mains. Guère plus. Mais vous m’aiderez peut-être à être plus disciplinée.

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