La main, le souffle

mai23rd

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À tous les jours, Marcus se dit qu’il y en a qui n’ont pas de chance. Il y a ceux qui en ont. Et ceux qui n’en ont pas. Assis dans son ambulance, Marcus attend, jamais bien longtemps, d’être dépêché sur les lieux d’un accident, d’un meurtre, d’une agression. Il n’a pas beaucoup de pitié pour les criminels qui s’éliminent entre eux, parce que vraiment, ils courent après. Sauf le petit, un jeune de 14 ans qu’il a eu dans son ambulance et qui a eu le temps de pleurer et de le supplier pendant que Marcus l’installait sur la civière. Puis le garçon est mort, dans l’ambulance. Marcus a essuyé les larmes sur les joues du gamin, et entrepris, parce qu’il le fallait bien, des manœuvres de réanimation. En sachant que ça ne donnerait rien, sauf un peu de temps.

Au moins une fois dans chacun de ses quarts de travail, Marcus est appelé à intervenir à la sortie du Lincoln Tunnel. Chaque fois, son collègue et lui stationnent l’ambulance, exactement au même endroit. Parce que les gros accidents se produisent toujours là. S’il était ingénieur, ou urbaniste, Marcus ferait en sorte que la maudite courbe soit modifiée. Mais il est ambulancier, alors il ne fait que répondre aux appels. Ils le savent tous, à la caserne, que c’est une courbe d’enfer, même s’ils ne comprennent pas pourquoi parce qu’elle n’est pas si pire. Peut-être est-ce seulement qu’après avoir avancé à un mètre à l’heure, les automobilistes s’emballent quand le bouchon se défait soudainement.

Ce soir, à 23 :10, Marcus est à nouveau là, devant une voiture dont il faudra extirper un homme d’affaires qui rentre chez lui après une journée au boulot. Ou qui voulait rentrer chez lui. L’homme n’ira nulle part ce soir. Avec un peu de chance, il survivra jusqu’à l’hôpital. S’il y a un miracle, l’homme s’en sortira, mais sans ses jambes, Marcus voit bien à quel point elles ont été compressées sous la force de l’impact. L’homme murmure, et Marcus l’apaise doucement, ne s’éloigne que lorsque les pompiers arrivent avec les pinces de désincarcération. C’est pas de chance, mon pote, pense Marcus. Vraiment pas de chance.

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