L’homme, debout dans l’entrée du wagon, regarde l’autre qui, assis près de la porte, l’ignore. L’homme debout est vieux, non seulement de corps, mais mentalement. On le sent fatigué. Usé. L’autre n’a pas envie de se faire embêter, pas ce soir, il a fait sa journée, sourit, parlé, travaillé, et maintenant, il veut se reposer, reprendre son souffle pendant les 40 minutes de son trajet quotidien. Ce n’est pas compliqué, se dit David, l’homme qui est assis. J’ai bien mérité ce siège.
Mais Zvi, l’homme debout, voit les choses différemment. D’abord, il est vieux, alors franchement, ce jeune de 45 ans devrait se lever et lui offrir son siège. Les cheveux blancs, ça compte plus pour rien, dans mon temps, les jeunes avaient du respect pour leurs aînés…
…et je connais son discours, pense David. Les vieux, et les jeunes, et les 3 kilomètres à marcher pieds nus dans la neige pour se rendre à l’école, et la guerre, et le reste. Et l’hypothèque et les frais de scolarité et les cancers et les tours qui s’effondrent, il en fait quoi, le vieux, ça ne compte pas, je suppose?
Zvi continue de regarder David qui persiste à l’ignorer. Le regard du vieillard est lourd, chargé de haine, et David semble diminuer sur place, rapetisser à vue d’oeil même s’il résiste, parce que cette fois, ça suffit, toujours céder. Et puis il n’est pas si vieux que cela, probablement 60, 65 ans, il a un bon 20, 30 ans devant lui, alors franchement, il devrait y penser avant de demander déjà d’être traité autrement.
10, 15, 20 stations, ils en sont encore là. Sauf qu’autour de David, des sièges se sont libérés, et Zvi est resté debout, dominant physiquement David qui a résisté, surtout quand Zvi a rejeté d’autres sièges. Mais c’est ce siège-là que voulait Zvi, pas les autres. Le siège de David. Le siège qui lui est refusé.
Zvi quitte le train. À la station suivante, David se lève, sort à son tour, puis prend le train dans la direction opposée et revient sur ses pas 5 stations.