La main, le souffle

juin15th

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Elle revient d’un long voyage. Ou de faire les courses à l’épicerie. Je l’imagine d’une autre période, quand les voyages ne pouvaient faire autrement que d’être longs: traverser un océan, un continent. Des heures, des jours, sur des routes défoncées ou dans un wagon de train brinquebalant. Ce n’est pas son cas, bien sûr. Elle se promène dans une autre sorte de bateau, une grosse Cadillac blanche qui détone dans un quartier comme celui-ci. Elle a économisé longtemps pour sa voiture, toutes ces années passées dans un minuscule 4 1/2 au troisième étage, un appartement certainement trop petit pour elle et son mari, mais qu’ils ont gardé tout ce temps parce qu’ils voulaient économiser, justement. La grosse Cadillac blanche est venue remplacer une vieille Oldsmobile brune dont les ressorts avaient depuis longtemps cédé. Elle était aussi remarquable que la Cadillac, cette vieille voiture, mais d’une autre façon: on l’entendait arriver de très loin, son moteur hoquetant formant un écho avec les grincements de la carrosserie. Alors on peut comprendre la fierté de la femme pour sa Cadillac.

Elle revient, donc. On ne sait pas d’où. Mais au moment où la Cadillac blanche s’arrête devant l’immeuble, on entend déjà la femme crier « viens-t’en mon amour, ô mon amour, mon amour! » Elle le dit, le crie, mais d’une voix plus aigüe que sa voix normale, une voix qui mâche les syllabes et qui flirte avec le ton qu’on emprunte souvent avec les enfants. Mais elle ne dit pas « guiliguili ». Elle s’adresse à quelqu’un, et cachée derrière ma fenêtre, je ne sais pas à qui.

Les retrouvailles, dès qu’elle sort de la voiture, sont enflammées. Les « mon amour! » se promènent, accompagnés de « ô, j’me suis ennuyée de toi », rompant la tranquillité du Montréal matinal. Et puis, soudainement, l’interlocuteur se dévoile.

Il jappe.

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