Sur la rue Sherbrooke, en plein milieu de journée, le soleil brille et assomme un peu. La circulation est hasardeuse, les camions et autobus poussent dans le dos du cycliste. Heureusement qu’à l’ouest, vers la rue Atwater, la pression des automobilistes n’est pas aussi imposante que vers les grandes artères, comme St-Denis et St-Laurent. En bon cycliste, l’homme pédale avec ardeur, sac au dos, il a un objectif en tête, c’est clair. À la lumière, il s’arrête, souffle un peu. Il sue, beaucoup, mais ce n’est pas ce qui pourrait le ralentir. De toute façon, il fait toujours plus chaud une fois arrêté. C’est un des désavantages certains du vélo: cette bouffée de chaleur qui le prend, quelques minutes après qu’il ait cadenassé son vélo. Cela le surprend toujours, même s’il devrait s’y attendre maintenant, mais il la trouve embêtante, cette bouffée, surtout quand elle se produit au moment précis où il tend la main à un nouveau client. Il voudrait avoir l’air toujours frais, comme si pédaler au centre-ville à un rythme moyen de 35km/heure n’était rien de plus qu’une promenade peinarde au parc Lafontaine.
En attendant, la lumière vient de changer, et le cycliste repart. De l’autre côté de la rue, une jeune femme attend pour traverser, elle a manqué le feu, ce qui la dérange, surtout qu’elle y était presque. Elle savait qu’elle n’arriverait pas à temps, mais a tout de même couru. C’est un détail inutile.
Donc, d’un côté, le cycliste, déjà sur ses pédales, son vélo bien engagé dans l’intersection. De l’autre, la piétonne, qui s’arrête dans son élan. Et elle tourne la tête pour suivre le cycliste. Tourne lentement. Et quand il lui fait dos, elle voit sortir, de son sac à dos, une tête de mannequin, avec le torse. Pas de bras. La tête et le torse sont bien logés dans le sac. Le cycliste pédale, et rien ne bouge.
Il y a des moments où s’arrêter à une lumière rouge donne des résultats intrigants.