La main, le souffle

août23rd

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J’ai passé 9 mois à New York, avec comme paysage tous les jours l’Empire State Building. J’ai suivi, par l’observation de l’ESB, la météo: on mesurait le sérieux de l’orage par l’étendue de la disparition de l’immeuble (seulement la cime, ou jusqu’à l’observatoire, ou plus bas encore), on saluait le coucher du soleil en voyant le rose envahir la façade de l’immeuble.

C’était la même chose, évidemment, pour le World Trade Center, ses surfaces reflétant la lumière, sa cime disparaissant dans les nuages comme dans la photographie choisie pour orner la couverture de Falling Man, de DeLillo.

Après le tremblement de terre qui vient de secouer la côte est des États-Unis sans conséquences catastrophiques, Amy Davidson du New Yorker réfléchit à ce qui fait tomber les gratte-ciels et s’interroge: « We are headed to the anniversary of September 11, 2001, for which we will doubtless be reminded many times how disastrous the beauty of that day, blue and bright, was for all of us: might the hijackers, with their limited flight experience, have missed at least one of the towers against a cloudier, uglier sky? » Peut-être ne cessera-t-on jamais de s’interroger sur la signification et le rôle de ce ciel bleu dans la « création » du 11 septembre 2001: le 11 septembre joue-t-il un si grand rôle dans l’imaginaire contemporain justement parce que ses images, le rouge des explosions contre l’immense bleu du ciel, sont aussi spectaculaires que belles? Que ce serait-il passé s’il avait plu, ou si, comme cela arrive souvent à tous les grattes-ciels de New York, les tours avaient été avalées par le brouillard? Les terroristes auraient pu rater leur cible. Les caméras auraient pu ne pas pouvoir montrer les tours en feu. Quelle mémoire garderait-on de l’événement sans la force de ses images?

L’expression « Out of the blue », inspirée directement de ce ciel bleu, témoigne aussi d’autre chose: le côté imprévisible des attentats, voire gratuit et arbitraire. Out of the blue, cela veut dire aussi qu’il faisait trop beau pour que la catastrophe se produise, et, par extension, que ceux qui peuplaient les tours étaient trop innocents pour que l’attaque soit justifiée. Out of the blue, comme ces « acts of God », tremblements de terre, inondations, tsunamis, ouragans, comme toutes ces fois où la force de l’homme échoue à contrôler la force de la nature. Mais le 11 septembre n’est pas un « act of God ». Il n’est pas non plus un « act for god ». Le 11 septembre, qu’on veuille l’admettre ou non, est la conséquence de politiques, d’actes de guerre, d’actes colonisants, de frustrations réelles ou imaginées, de peurs, de luttes vieilles de 50, 100, 200 ans. Tout comme ces « acts of God » qui, souvent, résultent de l’empreinte de l’humain sur son environnement.

Ce qui est étonnant, dit un auteur dont je ne me souviens plus du nom ni du livre à l’instant, ce qui est étonnant, ce n’est pas que cela ait eu lieu, mais bien que cela ait eu lieu à ce moment-là, avec ces conséquences-là. Je ne fais pas de la politique ici, ni ne souhaite défendre ou justifier qui ou quoi ce soit. Je dis seulement que la propension de l’humain, depuis aussi longtemps que l’histoire peut le raconter, a été de travailler très fort à s’auto-détruire, à lutter pour un bout de terrain, pour la main d’une femme, pour des raisons qui nous paraissent, avec le recul de l’histoire, n’être pas des raisons. Le 11 septembre n’était donc pas « out of the blue ». Même s’il a fait cruellement beau, ce matin-là.

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