Le onzième homme. Apostille 7/7

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B. Gervais, "Les failles", 2002.

Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est inventé dans ce que nous racontons?

La vie est un brouillon. On s’empare de certains événements pour en faire des récits qu’on espère cohérents.

J’ai tenté de reprendre mon projet. De me remettre à écrire Le onzième homme. Mais il était trop tard. On ne se bat contre la vie secrète des événements. La mise en abyme dont j’avais été témoin, dédoublement qui s’était produit de lui-même, sans que je n’y puisse rien, m’avait fait comprendre que ce matériau résisterait dorénavant à toutes mes entreprises.

Le monde s’était mis en scène de lui-même.

J’ai plié l’échine et rangé mes notes dans une boîte de carton.

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Le onzième homme. “Lunchtime atop Ground Zero” 6/7

B. Gervais, « Lunchtime atop Ground Zero. Bis », 2002.

B. Gervais, « Lunchtime atop Ground Zero. Bis », 2002.

Me voici rendu au cœur de mon récit. J’entends rester le plus proche possible des événements. Je ne sais pas s’ils parlent par eux-mêmes, mais c’est un matériau d’une richesse qui m’étonne encore, après toutes ces années.

Qu’y avait-il de l’autre côté du garde-fou, aux abords du trou?

Qu’est-ce que je retrouve encore maintenant sur la photographie que j’ai prise spontanément? Lire le reste de cet article »

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Le onzième homme. “Lunchtime atop Ground Zero” 5/7

B. Gervais, "Tout autour du trou", 2002.

B. Gervais, "Tout autour du trou", 2002.

Quels récits nous racontons-nous maintenant? Quelles images nous fascinent? Quelles zones de tension se profilent?

Il ne s’agit pas de s’isoler dans une tour d’ivoire à rêver de gratte-ciels et de vertige, mais d’affronter le trou et ses vestiges. Il faut se colleter aux difficultés que pose la compréhension de ce qui se passe immédiatement sous nos yeux. Non pas refuser le spectacle, mais pousser à l’extrême sa logique afin d’en imaginer les limites.

Il ne faut pas se retirer, mais plonger. Se donner, s’ouvrir, se laisser aspirer par les événements.  Quitte à s’y perdre corps et âme. Lire le reste de cet article »

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Une douleur infinie

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Le onzième homme. “Lunchtime atop Ground Zero” 4/7

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À Marsac, je croyais m’immerger dans mon travail et enfin oublier tout ce que j’avais laissé à Montréal, l’université, mon emploi du temps surchargé, les événements. Je parlais à Allène presque tous les jours, au téléphone ou par courrier électronique. Je me sentais loin, mais la campagne française du Tarne et Garonne, avec sa temporalité relativement calme, une fois les récoltes terminées, était apaisante. Je cueillais les dernières figues des arbres dans la cour arrière, sortait chercher mon pain derrière l’église et partait en Clio visiter les châteaux avoisinants, profitant des marchés pour m’approvisionner en viandes, légumes et vins.

Il a fallu, bien entendu, que l’histoire me rattrape sous la forme d’un nouvel attentat.

Le 21 septembre 2001, en matinée, un stock d’environ 400 tonnes de nitrate d’ammonium a explosé à l’usine AZF en périphérie de Toulouse. L’explosion a laissé un immense cratère, entraîné la mort de trente personnes, fait 2 500 blessés et de lourds dégâts matériels dans la ville rose.

La détonation a été entendue jusqu’à 80 km de Toulouse, mais je mentirais si je disais que j’ai ressenti le tremblement qui a suivi l’explosion. Le choc a surtout été intérieur.

Ça recommençait.

Les premiers reportages parlaient d’un attentat terroriste. Des musulmans avaient été retrouvés qui semblaient suspects. Les autorités menaient une enquête. Nous n’étions plus en sécurité nulle part. Lire le reste de cet article »

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Le onzième homme. “Lunchtime atop Ground Zero” 3/7

"Charles Ebbets atop a Skycraper", 1932

« Charles Ebbets atop a Skycraper: 'Resting on a girder' », 1932

J’aimais beaucoup aussi la photographie représentant Ebbets tout en haut du Rockefeller Center. Il y est accroupi, en équilibre à la croisée des poutres, sans aucun harnais ou filet de sécurité. Il porte un chapeau de feutre, tient une cigarette au bec. Son attention est tout entière tournée vers son sujet, qu’on imagine aisément être les onze hommes dégustant leur lunch. On voit en arrière plan, à travers le smog, la ville s’étendre à l’infini. Un édifice, peut-être l’Empire State Building, se profile au loin. Sa masse n’est pas imposante, mais il paraît très haut, comme un sommet enneigé.

La posture d’Ebbets dégage force et souplesse. On dirait un aventurier. This is a man atop of the world, se dit-on en regardant le cliché. Et cet homme capte le monde à l’aide de son appareil. Sans hésiter.

D’un simple clac de l’obturateur. Lire le reste de cet article »

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Le onzième homme. « Lunchtime atop Ground Zero » 2/7

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Charles Ebbets, « Lunchtime atop a Skycraper », 1932.

Ne plus pouvoir s’extraire du réel.

C’est bien ce qui m’est arrivé cette année-là.

Je ne sais plus ce que j’ai fait le reste de cette journée du 11 septembre 2001. J’ai sûrement beaucoup parlé au téléphone. À mes amis et parents.

Nous avons eu, Allène et moi, de longs échanges infructueux sur ce que je devais faire. Les aéroports étaient fermés, les vols cloués au sol. Je me sentais comme un enfant entouré de ses valises qui attend à la porte de l’orphelinat que ses parents adoptifs viennent le recueillir. J’étais prêt à partir, mais aucune voiture ne s’arrêtait devant la grille.

En écoutant les bulletins de nouvelles, j’ai compris que le seul moyen de prendre l’avion était de me rendre à l’aéroport et d’y passer tout mon temps. Jour et nuit. Seuls les passagers désespérés recevaient l’autorisation de partir.

Je voulais que mon congé sabbatique commence enfin, j’avais déjà depuis quelques mois l’esprit ailleurs. Il n’était pas question que je reste à Montréal. C’aurait été un échec. Et il n’était pas question non plus que je laisse les événements décider de ma destinée. J’avais un roman à écrire. Des pages à remplir. Le onzième homme m’attendait. Et de pied ferme.

Il a fallu que je campe deux nuits de suite à l’aéroport avant de pouvoir gagner ma cause et d’embarquer sur un vol d’Air France.

L’atmosphère dans la cabine était fébrile. Étions-nous en sécurité? Quelque chose allait-il se passer? Les hôtesses de l’air multipliaient les vérifications, les cartes d’embarquement devaient être en tout temps visibles. Aucune file d’attente n’était permise aux abords des toilettes. Le repas fut servi froid.

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En voie d’extinction

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Le onzième homme. « Lunchtime atop Ground Zero » 1/7

B. Gervais, « Lunchtime atop Ground Zero », 2002.

B. Gervais, « Lunchtime atop Ground Zero », 2002.

Les faits sont les figures de l’histoire, tout comme les figures sont les faits de la fiction.
E. L. Doctorow

Nous étions, Marc et moi, à New York. C’était le 21 février 2002. La date n’est pas innocente. Nous avions décidé de nous rendre à Manhattan afin de voir par nous-mêmes le trou. Nous ne disions pas Ground Zero, mais le trou.
Nous logions à l’Edison, sur la 47e rue, tout près de Broadway et des marquises des salles de spectacles. Nous avions choisi de partager une chambre afin de réduire les coûts. Les rideaux en partie délavés sentaient le tabac refroidi et le robinet de l’évier de la salle de bains coulait.
Je m’en foutais. Je voulais voir le trou. Et c’est là que, pour la première fois de ma vie, j’ai ressenti la force des événements. Ou, pour être plus précis, l’impact de la vie secrète des événements. Lire le reste de cet article »

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Le regard de l’autre

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Sait-on jamais quel est le regard de l’autre?  Comment est-on vu? Ce que l’autre pense de nous?

Pour une fois, je le sais. Et l’autre, dans ce cas-ci, c’est René. René  Audet. C’est lui qui me regarde. Et voici ce ce qu’il voit.

C’est de ça que j’ai l’air… Misère!

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