Nouveau regard sur «le vieux style!»

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Tout ce travail ascendant n’a qu’un seul but : cerner ce qui constitue l’esthétique de l’image, ce sur quoi elle repose et comment elle se définit, afin de comprendre son évolution et le rôle qu’y jouent les médias. En abordant, dans les deuxième et troisième chapitres, l’œuvre de Beckett avec ces prémisses en tête, en examinant comment « l’image pure » apparaît dans les textes, au théâtre puis dans les différents médias investis par l’auteur, nous verrons que celle-ci prend un certain virage à un moment très précis. Depuis longtemps, la plupart des critiques s’entendent sur le fait que le théâtre beckettien comporte deux grandes périodes, soulignant un changement radical dans le minimalisme des late plays (souvent appelé le late style). Pourtant, tous ne situent pas au même moment l’origine de cette transformation et peu d’entre eux ont osé avancer l’idée que celle-ci puisse être tributaire du travail de Beckett avec le cinéma et la télévision. C’est toutefois ce que laisse entendre Enoch Brater, en affirmant : « That Beckett is technology-minded can be seen in his handling of the sophisticated stage machinery that goes into making the apparent simplicity of his late theater images9 ». Il nous semble évident que le « style tardif » débute alors que l’auteur conçoit sa première œuvre pour le cinéma, et va en s’accentuant — vers le pire ou l’amoindrissement — à mesure qu’il conçoit ses pièces télévisuelles. Nous aimerions même démontrer que ce point tournant peut se situer au cours de l’année 1963, année particulièrement significative pendant laquelle Beckett écrit presque simultanément la pièce de théâtre Comédie10 et le film Film11, qui constitue sa première expérience concrète avec ce médium. L’influence des médias sur l’esthétique beckettienne s’avère dès lors indéniable, de très nombreux critiques ayant déjà souligné en quoi la pièce Comédie se voit hybridée par l’utilisation d’un langage plus cinématographique que théâtral. De ce fait, même les textes qui s’ensuivent laisseront voir l’influence des médias, comme l’indique James Knowlson au sujet d’Imagination morte imaginez12 : « La fascination qu’exercent ces pages tient aux mouvements de l’imagination en regard de ces divers éléments, à la façon dont elle entre, sort, s’élève, scrute, redescend et se déplace dans la rotonde comme l’œil mobile d’une caméra minuscule13 ». 

  • 9. Enoch Brater, « Shades for Film and Video », Beyond Minimalism. Beckett’s late style in the theater, New York, Oxford University Press, 1987, p. 12.
  • 10. Samuel Beckett, Comédie, version française de Play [1964], traduit de l’anglais par l’auteur, Paris, Éditions de Minuit, 2009, p. 8-35.
  • 11. Samuel Beckett, « Film », version  française de Film [1967], traduit de l’anglais par l’auteur, Comédie et actes divers, Paris, Éditions de Minuit, 2009, p. 111-134.
  • 12. Samuel Beckett, « Imagination morte imaginez » [1965], Têtes mortes, Paris, Éditions de Minuit, 2007, p. 49-58.
  • 13. James Knowlson, Beckett, version française de Damned to fame: The Life of Samuel Beckett, traduit de l’anglais par Oristelle Bonis, Paris, Solin Actes Sud, 1999, p. 673.