Vers la fragmentation de l’image
Si cette rencontre entre Karmitz et Beckett permet de mieux comprendre les enjeux essentiels du processus de l’adaptation filmique, nous verrons plus en détail comment ce passage vers un nouveau médium permet à l’écrivain d’approfondir sa pensée esthétique. Bien que celle-ci soit complexe et comporte de nombreux éléments, nous avons choisi d’examiner la fragmentation de l’image, qui se dévoile avec plus de précision à mesure qu’elle traverse son œuvre. Au cœur de l’esthétique « abstrahisante » de l’auteur, cette façon particulière de « faire l’image » est déjà présente dans les textes ou sur la scène, mais nous croyons qu’elle se précise et atteint une nouvelle dimension dans les œuvres médiatiques, précisément parce que ces médiums offrent des procédés mieux adaptés aux besoins que soulève la concrétisation d’une telle vision. Comment s’exprime-t-elle, par quels moyens inspirés d’Eisenstein l’auteur parvient-il à se saisir du médium du cinéma ou de la télévision pour y investir ses idées? Quels sont ces procédés techniques, ces particularités de montage, et quelles sont leurs significations chez Eisenstein et chez Beckett? Comment ces procédés laissent-ils leur marque dans ses œuvres littéraires ou théâtrales, où s’entament certaines réflexions sur l’image? Afin de répondre à ces questions, nous avons voulu illustrer, dans le chapitre suivant, la fragmentation telle qu’elle se définit d’abord chez Eisenstein, tout en explorant certains procédés poétiques japonais dont le théoricien s’inspire. Nous verrons ensuite comment chaque procédé s’actualise chez Beckett et comment l’image pure se dessine à travers son œuvre littéraire et théâtrale.